Si on ne regarde pas les matchs…

On pourra dire que nous, malheureusement, on les voit. Mais en imaginant que l’on soit en Australie en train de surfer avec des dauphins et des sirènes bourrées, et que l’on regarde le Teletext, on se dirait juste : «wouah ça avance bien, 1-0 contre la Jamaïque, 2-0 contre le Pérou, le prochain ça sera 3-0…». Oui mais non.

D’abord cela n’avait aucun air de Brésil. Certes c’est un bien joli petit stade, cette enceinte lucernoise. C’est propre, c’est carré, c’est rempli de gens tout sains qui bossent dans des entreprises où on offre un troisième pilier et un abonnement général pour aller au musée des transports voir des vieux trains. Bref c’est comme la ville elle-même sans les Japonais. Et sans le gros Lion qui chiale non plus. Car en première mi-temps il y avait plutôt des chatons sur le terrain qui courraient après une petite balle de laine. Des chatons bien élevés bien sûr, qui s’amusent avec les ficelles qui pendent et qui font dans leur caisse. Mais quand même de ceux qui dorment dans les 17 heures par jour (et se lèvent que pour bouffer). Alors avec onze bébés félins dans un pré, c’est un peu compliqué de faire peur à un adversaire, qui lui joue ses seuls enjeux de l’été (en gros une vieille prime de match en cas d’égalité). La pluie non plus ne donne pas une impression de Rio. Non, on a tout à fait conscience d’être à Lucerne, cette ville où on tira au sort les groupes de «notre» Euro 2008 à la maison. Vous savez celui qu’on devait gagner à la maison avec Ricardo Cabanas. Donc la ville la plus touristique de Suisse n’est peut-être pas le temple footballistique de la Nati espéré. Mais la pluie, les chatons, les ponts avec des peintures refaites-parce-que-les-vrais-elles-ont-brûlé-et-qu’il-faut-toujours-qu’on-croie-que-c’est-les-vraies-pour-les-Japonais, les jolis petits stades, ce n’est rien à côté des envies criminelles qui peuvent envahir le supporter honnête qui a eu le courage de se rendre sur place. Ces désirs de meurtres, elles naissent au fond du ventre quand on doit se farcir ces insupportables orchestres de guggen venus encourager la Suisse. Non mais sérieusement qu’est-ce donc que cette idée ? Un matin vous vous êtes réveillés et vous êtes dit «tiens, les gens ont envie de partager notre passion en plein dans les oreilles même si dans le fond ils n’en ont pas envie!» ? Ça, des gens comme Lagaff dans le cinéma ou Clara Morgane dans la chanson l’ont déjà fait et au niveau du chef d’oeuvre. Ou est-ce juste une volonté de se dire «eh si on faisait en sorte de couper toute vaine naïve velléité de créer un semblant d’ambiance de match international dans un stade juste avant que notre équipe parte à la Coupe du Monde» ?

Même les petites lesbiennes aux cheveux courts qui mettent des pulls à capuche tête de mort pour cacher leurs formes et qui tapent dans des tambours comme des esclavagistes galériens dans nos patinoires font plus plaisir. Les vuvuzelas lucernoises étaient déjà là pour la Jamaïque et on veut bien qu’il y ait des initiatives, mais la fois d’après laissez au moins une chance aux autres qui souhaitent exprimer leur incroyable talent dans le Stade de Lucerne. Je ne sais pas, un cracheur de feu ou des clowns qui font des ballons en forme de girafe. Parce que même votre playlist prouve que vous étiez venus pour nous pourrir la vie : «Just can’t get enough» (point d’exclamation), «all the small thing» de Blink 182 (double point d’exclamation)… «Indiana Jones» (triple). Genre là, si c’est une métaphore, je m’imagine en train de jouer sur le terrain, je ne la sentirais pas cette histoire…
Bref tout ça n’est cependant en aucun cas motif d’excuses pour le triste spectacle des 45 premières minutes de ce match. Pour des raisons aussi inexplicables qu’inquiétantes (qu’elles soient d’ordre comportemental ou de santé), Shaqiri n’était pas aligné au départ. L’absence de Tyrion Schwarzi s’est fait sentir et voilà qui est assez malheureux. En même temps, on aimerait que quelqu’un explique à Hitzfeld que Mehmedi ne sert à rien sur les côtés. C’est un attaquant axial, il ne sait pas défendre et il ne sait pas utiliser un couloir. En plus, Llewyn Davis sans sa guitare et son chat roux, ça a moins de charme. Au milieu, savoir que Xhaka (en club un numéro 6) est apprécié pour son aptitude à bien défendre soit. Mais alors en quoi Dzemaili présente-t-il un profil différent ? On n’essaiera donc jamais la possibilité de le placer devant ses deux collègues de Naples ? Le jeune Granit a été à nouveau une déception technique, collective et de rythme. Qui plus est, il était en permanence sur le point de vraiment péter un plomb et de se prendre un rouge à force de ne pas gérer son agressivité (on parle, bien sûr, de s’il ne s’agissait pas d’un amical en Suisse… un match de Coupe du Monde par exemple, avec un arbitre saoudien).
A l’autre bout du terrain, les rumeurs voyant Fabian Schär n’être rien d’autre que le troisième frère Degen sont, elles, bel et bien avérées. Fabian Degen a donc bien failli nous coûter un catastrophique drame si Von Bergen et Benaglio n’étaient pas là pour sauver les meubles. Rien ne va pendant 45 minutes, à part cette domination stérile. Imaginez un match du Barça où, à la place de Messi et Neymar, on mettrait Johann Vogel et Karagounis. Voilà ce qu’on obtient. On s’inquiète, on doute et commence à penser à autre chose. En mangeant des M&M’s, on se dit quand même que ce type qui faisait du parapente dans cette vieille pub des années 90 en gardant une poignée de dragées dans ces grosses mains moites pendant une heure juste pour prouver que ça fondait dans la bouche et pas dans la main était quand même un gros sale.
L’ambiance ne s’envole toujours pas (on en est à «Eye of the Tiger» pourtant). Bien sûr on se doutait que Volkswagen nous mentait un peu avec son stade à la Cetic Park et tous ses gens heureux. Mais on peut comprendre cette ambiance molle. Personne n’est rassuré car le sentiment qui traverse l’assistance est une vague prémonition de défaite contre l’Equateur.

Oui je sais, on me dira «oh mais oh ! On n’est jamais content ! Un peu de solidarité que diable !» (non c’est faux, plus personne ne dit «que diable» à part ceux qui disent encore «ça va-t-y?» et «non mais de qui se moque-t-on») Quoiqu’il en soit, je ne me voyais pas changer mon fusil d’épaule (ah oui pardon, il faut être patriote dans ces contextes où la susceptibilité nationale est de mise : «mon Fass 90 d’épaule»). Mais comme n’importe quel individu qui oubliera ce qu’il a vu dans trois jours pour ne garder que le résultat ce fut/sera le cas. Non, non pas seulement pour la fille à Petkovic, présente dans les tribunes et qui s’annonce comme un bon gagne pain pour le Blick (et permettra ainsi à Xenia Tchoumitcheva de ne plus envahir 95% de présence féminine dans le royaume médiatique suisse).
Mais parce que Shaqiri est venu changer les choses. Et créer les deux fameux buts qu’il fallait. Ceux qui font qu’on ne peut rien dire à part être satisfait car le boulot demandé a été fait : faire deux victoires sans encaisser. Bon ok. On rentre et on prépare nos klaxons pour la Coupe du Monde jusqu’à 21h59 ? Pas vraiment mais on ne peut pas faire la fine bouche. A l’inverse, on aimerait tellement aussi prendre conscience que ces préparations, on les fait pour soi-même et pas pour en jeter plein la gueule aux futurs adversaires. On aimerait tellement que l’on ne nous serine pas de comparatifs pitoyables dimanche lorsque la France atomisera la Jamaïque 3 ou 4 à 0, avec des «oh mais mon Dieu ! Ils sont trop beaucoup plus forts que nous ça veut dire !». Car le but était de se préparer. Alors voilà, le jeu cela n’a pas du tout été glorieux. Les sources d’inquiétudes sont multiples et les interrogations importantes. Et le côté indispensable de Shaqiri fait souci. Mais au final, on pourra aussi retenir que nos purges contre les équipes d’Amérique latine, on peut finir par les gagner. Au niveau des nouveautés encourageantes, c’est quand même un bon début. Il y a presque quelque chose d’intéressant dans l’idée que l’on ne se réjouit pas, en-soi, de voir la Suisse au mondial, mais qu’on est impatient de voir ce que cela va donner.
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

Suisse – Pérou 2-0 (0-0)

Swissporarena, 15 000 spectateurs (guichets fermés).
Arbitre : M. Stefanski (Pol).
Buts : 78e Lichtsteiner 1-0, 84e Shaqiri 2-0.
Suisse : Benaglio; Lichtsteiner (91e Lang), Schär, Von Bergen, R. Rodriguez; Behrami (46e Dzemaili), Inler; Stocker (72e Barnetta), Xhaka (64e Shaqiri), Mehmedi (87e Gavranovic); Drmic (64e Seferovic).
Pérou : Forsyth; Advincula, A. Rodriguez (60e Ramos), Callens, Flores; Ballon; Hurtado (65e Gambetta), Ramirez, Cruzado (83e Deza), Carrillo (83e Ruidaz); Benavente (53e Gonzales).
Cartons jaunes : 33e Behrami et Ramirez, 44e Hurtado.

A propos Robin Chessex 70 Articles
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7 Commentaires

  1. Robin Chessex, tes articles sur l’équipe de Suisse sont juste magnifiques (ah, le premier avec Gelson prêt à mettre des mines anti-personnel dans une garderie si Ottmar lui demande…)

    On se réjouit des suivants, continue comme ça !

  2. Merci pour cette analyse pertinente du match d’hier soir.
    ça fait trois ans maintenant que je m’égosille sur les réseaux sociaux que Xhaka n’a pas sa place en 10 mais plutôt en 6 et que Mehmedi n’a qu’une seule qualité: perdre la balle. En suisse on a pas de vrai 10 depuis feu Ciri Sforza…..

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