Une recette typiquement française : le classicon

Il y a deux semaines a eu lieu la rencontre que tout puriste et suiveur du championnat français attend avec impatience. Le genre de match qui permet à Canal + de justifier auprès de ses abonnés le prix de son abonnement. Le choc au sommet entre le PSG et l’OM. Après tout ce n’est pas avec du Angers-Dijon que la LNF (Ligue de Football Professionnel) est parvenue à réussir l’exploit de vendre son championnat pour la modique somme de 748,5 mio d’euros. Retour sur ce « classique » qui en a le nom mais pas forcément le prestige.

La 27ème journée du championnat a été particulièrement généreuse pour le supporter de la L1. Deux grosses affiches se sont jouées sur les pelouses de l’Hexagone : Lyon-St-Etienne et PSG-OM. Deux matchs sur lesquels les médias souvent s’affolent pour en gonfler l’importance à coup de termes bien ronflants comme « classico », « classique » ou encore « derby ». Le premier est le seul vrai derby en France disent les mauvaises langues. Et ils n’auraient pas tort. En France, ce qualificatif se trouve quelque peu galvaudé. La faute à l’histoire et à l’exception française en matière de foot. Et ce n’est pas l’emphase du CFC, de Téléfoot ou de eurosport.fr qui va y changer quelque chose.

Un esprit rationnel et neutre, chose dont sont dépourvus pour la plupart les ultras des clubs sus-cités, s’attache à définir au sens étymologique du terme le derby comme étant la confrontation entre deux équipes d’une même ville ou alors géographiquement proche. Et encore. Les conditions pour obtenir cette prérogative dépassent parfois la cohabitation spatiale. À Londres par exemple, tous les clubs de la ville n’entretiennent pas entre eux une animosité débordante, complexe et sur la durée pour justifier l’usage de ce terme lors de chaque rencontre. Un des critères de reconnaissance pour être un « gros » championnat est son attractivité, qualité qui n’est pas toujours mise au premier plan lorsque l’on pense à la L1. En France, toujours habitée par un certain sentiment d’infériorité en matière de ballon rond, on ne cesse donc de chercher « son derby », tampon d’entrée pour le bal footballistique des grandes nations de ce sport. Seulement, comme aucune ville de l’Hexagone ne peut se targuer de posséder deux équipes antagonistes en son sein, on bricole avec ce que l’on a sous la main. Les têtes dirigeantes du football français vont ainsi avoir une souplesse toute particulière tant géographiquement que lexicalement pour parvenir à créer le derby à la française. Les puristes, les vrais, argueront qu’une rivalité ne se fabrique pas, que l’histoire ne s’achète pas (n’en déplaise à Ineos). Mais à force d’y croire, PSG-OM est bien devenu un Classico ! Par quel tour de force en est-on arrivé là ?

Les autres se passent en ligue 1.

Canal + a mis l’argent sur le Tapie

Le premier match qui opposa l’OM au PSG se déroula lors de la saison 71-72. À cette époque, ce match n’était pas forcément plus excitant qu’un épisode de l’inspecteur Derrick et la crasse médiatique autour de ce match n’était pas encore jetée à grande eau sur le supporter de base. Le début de la rivalité entre ces deux clubs remonte véritablement au début des années 90. Quatre années plus tôt, le club phocéen est repris en main par Bernard Tapie. Avec cet homme, politique et business se couchent ouvertement en cuillère dans le même lit et peuvent même laisser de la place pour le football. Les guignols de l’info le disaient bien à l’époque « Nanard, il est partout, il est nulle part ». C’est donc un homme sulfureux, un brin égocentrique mais terriblement malin qui reprend les rênes de l’OM. Et avec réussite. Le club va parvenir à remporter quatre fois de suite le championnat entre 89 et 92. Entre-temps, un événement nouveau va survenir au début des années 90 et modifier la donne. Le PSG est racheté par le groupe Canal + en 91. C’est l’élément fondateur de cette rivalité naissante. Si vous avez lu mon dernier article sur Bordeaux, vous avez pu découvrir que ce club était performant dans les années 80 et donc principal rival de l’OM. Mais Bordeaux est rentré dans le rang dans les années 90 et n’était plus en mesure de rivaliser avec Marseille. Tapie cherche alors un nouvel adversaire capable de dynamiser ses troupes et d’insuffler un nouvel intérêt au championnat de France. Canal +, détenteur des droits de diffusion, saute sur l’occasion. Les médias se chargent du reste. Ce n’est pas un derby géographique mais médiatique qui est en train de naître. Les médias utilisent un champ lexical guerrier pour attiser l’animosité entre ces deux clubs. Le journal « L’Equipe » se fera une joie de participer à ce petit jeu. « Ce sera une guerre », disait David Ginola. « On va leur marcher dessus », répondait Artur Jorge.

La géopolitique américaine vue par le Kop Boulogne : le nord « abusant » du sud.

Et cet antagonisme nouveau va livrer tous les poncifs du genre : rivalité nord-sud, Paris contre la province, etc. Chaque match entre ces deux équipes va se livrer sous une tension extrême tant sur le terrain qu’en dehors. Depuis 1995, les forces de l’ordre ont procédé à pas moins de 400 interpellations des supporters des deux camps. Et il y a eu autant de blessés des deux côtés. Sur le plan sportif, ces duels ont livré des scénarios et des anecdotes assez surréalistes qui ont forgé la légende de ce match. Un exemple parmi tant d’autres : lors de la saison 99-2000 l’OM reçoit le PSG. Chaque équipe abrite un Leroy. Entre les deux, outre le partage du même patronyme, un point commun : le PSG. Ils y ont joué. Ils se connaissent. Le PSG va se prendre une raclée au Vélodrome 4-1. Pourtant le fait du match restera ce moment où Jérôme Leroy, l’ancien parisien, a confondu football et karaté. Il se jette les deux pieds en avant et tacle méchamment Laurent Leroy. L’agression est réelle, et Laurent Leroy réagit en s’en prenant à son ex-coéquipier. L’empoignade sème une confusion totale. On est loin d’un terrain de football. L’arbitre sort les deux joueurs, et le jeu reprend tant bien que mal.

Ce match est aussi l’occasion pour les joueurs et les entraîneurs de déployer des trésors d’imagination pour justifier une défaite contre « l’ennemi ». La palme revient probablement à Laurent Fournier, alors entraîneur du PSG en 2005 qui expliqua sa défaite de la manière suivante : « J’espère que la Ligue prendra ses responsabilités, car le Vélodrome est en sursis, je crois. On nous dit que notre vestiaire n’a pas été ventilé suite à l’utilisation d’ammoniaque, contrairement à celui des Marseillais. Ils nous ont dit qu’ils l’avaient même parfumé à la lavande ou au muguet pour ne pas que ça sente trop. Et ils pensent que l’on va croire cela ! Quand vous restez assis une demi-heure dans le couloir à attendre qu’on vous donne un vestiaire, qu’on vous met finalement dans deux pièces de 10m2 avec Clara Morgane qui passe à côté, des stewards qui fument la cigarette à côté de vous, (…) c’est un début d’échauffement assez particulier. Ce n’est pas une excuse, mais ça fait chier. » À défaut de régaler le public par du beau jeu au moins il le fait bien marrer.

Au milieu de la bêtise peut parfois fleurir la poésie. Et par ce terme je ne veux pas me gausser des classiques mais efficaces « Paris on t’encule ! » ou des « Luis, ta place est à l’asile ». Non, les supporters parisiens ont su faire preuve de tact et de culture en rendant hommage à un grand artiste du sud de la France, en déployant la banderole « Hommage à Pagnol. La gloire de nos pères. La chatte à vos mères ». La grande classe !

Banderole déployée dans le virage sud du stade Vélodrome suite au fauchage d’un supporter parisien par un automobiliste marseillais.

Paris, c’est strass et paillettes. Marseille, c’est stress et Payet

Cette boutade qui traîne sur le net résume assez bien l’évolution du « classique » depuis l’arrivée des Qataris. Dès lors, la rivalité entre le PSG et l’OM n’est pas vraiment parue à son apogée, tant les Franciliens partent largement favoris avant les rencontres. L’arrivée de Franck McCourt a certes redynamisé l’équipe marseillaise qui réalise un bon championnat pour le moment en luttant pour la deuxième place avec l’AS Monaco. Si les Qataris conservent une longueur d’avance sur Marseille et la concurrence, tant sur le plan sportif que financier, ces matchs gardent encore une saveur toute particulière pour le public français. Ce « classique » de la 27ème journée, n’a pas accouché d’un match mémorable. Les Parisiens ont fait le job en s’imposant chez eux sur le score sans appel de 3-0. Les Marseillais repartiront  sans doute avec le sentiment mitigé d’une défaite de plus dans la musette mais avec la satisfaction d’avoir pu blesser Neymar. Il n’y a pas de petite victoire car ce fait de jeu  compromet un peu plus les chances de qualification de Paris contre Madrid en Ligue des Champions. Un trophée sous forme de Graal que convoite ouvertement la direction du club parisien depuis des années sans jamais parvenir à l’atteindre pour le moment. Et c’est peut-être une des rares satisfactions dont peut s’enorgueillir le club phocéen : avoir atteint le sommet du football européen en s’imposant en 1993 sur le petit score de 1-0 contre le grand Milan AC. Un autre temps donc.

Pour les supporters, la lutte est pourtant loin d’être terminée puisque les réseaux sociaux sont devenus le nouveau jardin où s’écharpent supporters des deux camps. Si l’OM a longtemps trusté en tête dans le domaine, de manière large, le PSG a rattrapé son retard depuis l’arrivée de QSI à sa tête, et ce de manière exceptionnelle. Aujourd’hui, ils sont plus de 33 millions de personnes à avoir liké sur Facebook la page officielle du club de la capitale, contre 4.8 millions pour l’OM. Une nette différence qui s’explique par l’attrait récent à l’international qu’a su gagner le PSG ces dernières années, l’achat de joueurs 5 étoiles et des performances convaincantes en Ligue des Champions.

L’arrivée de nouveaux moyens financiers permettra-t-elle de contrebalancer le rapport de force ? On peut l’envisager, voire le souhaiter. En tout cas il est clair que c’est une excellente nouvelle pour la Ligue 1 et ses diffuseurs.

En guise de conclusion il est certain que la France n’a pas une culture foot très forte par rapport à d’autres pays. Mais ceux qui suivent depuis de longues années le championnat français ou s’intéressent à l’histoire du football n’ignorent sans doute pas qu’il existe pourtant quelques vrais derbys (ASSE-OL) ou en tout cas de grosses affiches « historiques ». Le problème c’est que depuis plusieurs années beaucoup de gros clubs « historiques » du championnat ont connu des difficultés et se sont retrouvés en L2, en National ou ont même disparu. Du coup la plupart des affiches historiques du foot français n’existent plus. Et les médias (surtout Canal + et BeIN) ne savent plus quoi inventer pour pimenter et vendre les soirées de L1, d’où ces classiques bidons et autres insupportables olympicos.

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