Veni Vidi Vardy

Alors que j’étais en train de réfléchir qui j’allais bien pouvoir vous présenter ce mois-ci en cherchant sur la toile si une Afghane du Panchir n’avait pas été championne olympique de saut à skis ou si un club de huitième division polonaise de handball n’avait pas remporté sa coupe nationale, le tragique accident d’hélicoptère du 27 octobre dernier sur un parking attenant au King Power Stadium qui a notamment coûté la vie à Vichai Srivaddhanaprabha (VS), propriétaire et président de Leicester City m’a soudainement remis à l’esprit que, sous sa houlette, cette équipe avait réalisé un bien bel exploit lors de la saison 2015-2016 en remportant la Premiership anglaise à la surprise générale. Je vous propose donc un nouveau « Un jour un destin » en forme d’hommage en ce mois de novembre 2018.

La belle histoire commence en août 2010 lorsque le milliardaire thaïlandais qui a fait fortune dans les duty-free (donc grâce aux clopes, aux topettes et aux parfums pour vos copines que vous lui avez achetés) reprend le club. L’équipe évolue alors dans le ventre mou de la Championship (D2 anglaise) après avoir végété quelques années en D3. Fallait déjà le faire pour aller racheter ce club d’une ville de 350’000 habitants coincée entre Coventry et Nottingham et plus connue pour ses Tigers, solide équipe de rugby, dix fois championne d’Angleterre et double vainqueur de la Coupe d’Europe. Les supporters des Foxes se demandaient alors si leur club n’allait pas servir de jouet à un Chagaev au curry rouge en puissance.

C’est finalement un incroyable raté qui va poser les fondements du conte de fées qui suivra. En effet, lors de la saison 2012-2013, les Foxes enchaînent les bons résultats en fin de saison et atteignent les play-offs lors de la dernière journée. En demi-finales, face à Watford, alors qu’ils avaient gagné le match aller 1-0, ils sont menés 2-1 au début des arrêts de jeu et virtuellement qualifiés pour la finale de promotion à Wembley. A la 97ème, ils obtiennent un penalty. La qualification est en poche. Mais le jeune français Anthony Knockaert le manque et sur la contre-attaque Watford marque et se qualifie. Leicester est K.O. debout mais ce cruel dénouement va agir comme un acte fondateur et forger dans l’esprit du club ce petit supplément qui bientôt fera la différence.

L’équipe va d’ailleurs outrageusement dominer la saison suivante, fêter une promotion directe en Premiership le 15 avril déjà et retrouver l’élite du football anglais 10 ans après l’avoir quittée. Mais l’apprentissage est difficile. Sauvée in extremis d’une relégation qui lui semblait pourtant encore promise à fin mars, elle réalise le meilleur sauvetage de l’histoire de la Premier League puisqu’aucune équipe n’avait jamais réussi à se maintenir avec moins de 20 points après 29 journées (sur 38 !). Nouvel acte fondateur donc. Il s’agit de passer désormais à la vitesse supérieure. Et tels un Pascal Mancini lancé à pleine vitesse, les Foxes ne vont pas prendre le chemin des écoliers et vont réaliser l’impensable la saison suivante. Un peu comme si Xamax devenait champion Suisse dans 18 mois.

Pourtant, la logique financière ne parlait pas vraiment en leur faveur. Avec 50 millions d’Euros dépensés à l’intersaison, les Foxes sont restés loin de clubs comme Manchester United par exemple (146 millions d’Euros investis). Plutôt que des noms, VS va miser sur des paris. A commencer par le nouvel entraîneur chargé de reprendre en main l’équipe. En effet, l’ancien entraîneur, Nigel Pearson, véritable tête brûlée, est pris bien malgré lui au cœur d’un scandale puisque son fils James va se retrouver filmé en pleine orgie sexuelle avec de jeunes prostituées dans un hôtel en Thaïlande. Pas de bol et démission inévitable. Tel père tel fils pourrait-on dire vu les antécédents du paternel.

Ce qui est sûr, c’est qu’on est en juin et que Leicester n’a plus d’entraîneur. Guus Hiddink et Martin O’Neil sont favoris. Mais Vichai va tenter un pari un peu fou en misant sur Claudio Ranieri qui vient de se faire virer de son poste à la tête de la sélection grecque, après une défaite à domicile face aux Iles Féroé, et qui est plus vu alors comme un has-been que comme un top manager. Côté joueurs ensuite, en signant Robert Huth, Christian Fuchs et Shinji Ozaka, on est loin des De Bruyne et Agüero (Manchester City), Ozil et Giroud (Arsenal) ou Hazard et Costa (Chelsea). Seule la signature de N’Golo Kanté pour 8 millions d’Euros semble être un grand coup même si l’ancien joueur de Caen n’était pas certain de devenir le joueur qu’il est devenu. Et miser sur Ryad Mahrez (ex-Le Havre) et Jamie Vardy (ex-Fleetwood Town) comme principaux acteurs offensifs, fallait y croire. Et pourtant, l’Algérien finira meilleur joueur du championnat et Jamie Vardy deviendra l’avant-centre de l’équipe d’Angleterre. Ranieri, qui n’était pas programmé pour gagner, va réussir à tirer le meilleur de joueurs revanchards et qui ont tous connu les ligues inférieures. Pas de melon donc. Juste du travail, de l’envie, une bonne dose de talent quand même et un brin de chance.

Dès les premières journées de championnat, les Foxes partent sur les chapeaux de roue. Jamie Vardy plante 13 buts sur les 11 premiers matchs en scorant au moins une fois à chaque sortie. Record de Van Nistelrooy battu. Mahrez distille caviar sur caviar, Kasper Schmeichel se souvient soudainement qu’il est le fils de Peter et toute l’équipe se met au diapason. Le mois de décembre sera somptueux. Le 5, Leicester prend pour la première fois la tête de la Premier League. Le 14, Vardy et Mahrez donnent le tournis aux Blues de Chelsea, tenants du titre. Le 19, à Goodison Park, Leicester s’impose 3-2 et passe ainsi Noël en tête. Ils étaient derniers un an plus tôt. Gary Lineker promet de présenter Match of the Day en slip si les Foxes finissent champions.

Les pintes ingurgitées pendant les fêtes ne viendront pas perturber la marche des renards. Le 13 janvier, à White Hart Lane, face à des Spurs qui semblent vouloir être leurs principaux adversaires pour le titre, Robert Huth (ex-Stoke City), marque l’unique but d’un match que Tottenham n’aurait jamais dû perdre. Ça commence à sentir bon du côté du King Power Stadium d’autant que l’objectif initial des 40 points devant assurer le maintien est d’ores et déjà atteint. Le 6 février, victoire 3-1 sur City devant un public de l’Etihad Stadium médusé, pour prendre 5 points d’avance sur Tottenham et Arsenal. La défaite dans les dernières minutes une semaine plus tard chez les Gunners n’entamera pas le moral des Foxes. Le 10 avril, le succès arraché avec les tripes 2-0 sur la pelouse de Sunderland, avec 2 buts de l’inévitable Jamie Vardy, qualifie les coéquipiers du capitaine Wes Morgan pour la première Ligue des Champions de son histoire. Ranieri essuyait ses premières larmes à l’heure de l’interview et Gökhan Inler, l’imposteur de la Nati, allait écrire la plus belle ligne de son palmarès malgré 5 petites apparitions seulement. Lors de la 36ème journée, Leicester fait match nul à Old Trafford. En match décalé, le lundi soir, l’équipe voit Tottenham mener 2-0 à Stamford Bridge et pense devoir vaincre Everton au King Power pour être sacrée. Mais Gary Cahill et Eden Hazard ne sont pas du même avis. 2-2 score final. Leicester est champion devant sa télé. Délire total.

Enième épisode d’une saison décidément pas comme les autres et qui restera longtemps dans les mémoires. Un sacre qui sera considéré comme le plus grand bouleversement sportif jamais vu, les bookmakers n’ayant jamais vu une aussi grosse cote l’emporter. 5’000 contre 1 au coup d’envoi. Dommage que je n’aie pas misé 100 balles.


Ainsi, pas forcément les plus beaux à voir jouer et agissant principalement en contre, les Foxes ont pourtant apporté de la fraîcheur à cette Premier League de plus en plus aseptisée et verrouillée par les grands clubs toujours plus riches et puissants. Et c’est au joueur de Manchester United Juan Mata que je laisserai le mot de la fin : « C’est une belle histoire qui adoucit le football actuel, qui est trop budgétisé et monopolisé par deux ou trois équipes dans chaque pays. Elle est aussi là la force de Leicester : avoir séduit tout le monde, y compris ses adversaires ».

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