Footbelgate : De rebondissements en coups de théâtre, que de questions !

Image de une : Copyright Pad’R. Dessin paru dans l’émission « La Tribune » (RTBF) le 22.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Une loi initialement destinée à renforcer la sécurité nationale est utilisée par le principal inculpé et va s’appliquer pour la toute première fois. Presque tout le monde est sorti de cabane, sous conditions, évidemment. Les inculpations s’affinent. Les ténors du barreau y vont de leur opinion. On y voit un chouïa moins trouble dans qui bidouille dans quoi, tout en continuant à nager la brasse dans un merdier sans nom. Et d’aucuns souillent leur pantalon.

[Rétroactes (pour ceux qui n’auraient pas lu ma chronique du mois dernier): le Footbelgate est un scandale né d’une banale enquête fiscale concernant plusieurs agents de joueurs, qui a fait apparaître que lesdits agents, mais aussi des dirigeants de club, des arbitres, des journalistes et des (ex-) joueurs auraient participé, à des degrés divers, à un vaste système de fraude fiscale et de corruption active et/ou passive. Vingt-quatre personnes se sont retrouvées en taule, inculpées à titre divers. Pour l’essentiel, elles sont désormais libres sous conditions/caution, mais ce n’est pas terminé, loin de là, et le microcosme du football belge retient son souffle.]

On passera rapidement sur le cas de l’agent Mogi Bayat, dont le dossier ne se limiterait, à ce stade, « que » à un dossier de fraude fiscale, de carrousel à la TVA et blanchiment, ainsi que sur les rocambolesques conditions de son arrestation – Madame Bayat se retrouvant avec un flingue sur la tempe.

On pourrait revenir sur les dossiers concernant les arbitres Vertenten et Delferière, tous deux accusés d’avoir falsifié des rencontres (pénalties-cadeaux/non sifflés, mansuétude pour des fautes justifiant un carton rouge et autres petites faveurs en échange de ristournes sur l’achat d’une bagnole ou d’une modeste liasse de biftons). Plusieurs choses sont cependant certaines à leur sujet: ils ont tous les deux attaqué l’Union belge de football (UB) pour licenciement abusif en tant qu’arbitres semi-pro et en outre, pour le second nommé, en tant que directeur financier de l’aile francophone de l’UB, d’autant qu’il bénéficie d’une protection privilégiée car il est représentant du personnel. Motif : violation du principe de la présomption d’innocence.

Je ne m’attarderai que très peu sur les cas des président et directeurs sportifs (non, non! Pas de faute d’orthographe : un président et deux directeurs sportifs, na !) des clubs de Malines et de Beveren, soupçonnés d’avoir tenté de falsifier la compétition avec la complicité agissante de l’agent Dejan Vejlkovic (lui, en revanche, je vais en parler un bout un peu plus loin).

Je passe également sous silence les agissements de deux ou trois journalistes dont le rôle, aussi gerbatoire fût-il, n’est finalement que très périphérique.

J’apporte, enfin, une correction à ma chronique précédente : si l’UB et la Ligue professionnelle ne se sont, jusqu’ici, pas portées parties civiles, ce n’est pas par paresse ou jemenfoutisme. Il se fait que leurs services juridiques respectifs n’ont pas encore eu accès à l’ensemble du dossier répressif et qu’elles sont donc privées de moyens d’agir.

Venons-en au gros morceau. Dejan Veljkovic. Apparemment un sacré marlou celui-là, modeste joueur du modeste club d’Alost dans les années 90, qui aurait selon un premier PV d’enquête qui a partiellement fuité « agi en concertation avec plusieurs clubs » pour notamment détourner et blanchir des capitaux, falsifier la compétition et, partant, s’en mettre plein les fouilles avec ruissellement vers de petites mains.

Son avocat a convaincu la justice de le libérer au titre de la récente loi sur les repentis, moyennant une réduction de peine. Il ne risquerait plus que cinq ans de prison avec sursis (au lieu de 15 fermes) et une amende de 80’000 euros avec sursis (au lieu de plusieurs millions fermes), au pénal s’entend, les amendes fiscales et les saisies de biens frauduleusement acquis faisant l’objet d’une éventuelle condamnation séparée. Cependant, l’application de cette loi à Vejlkovic pose plusieurs problèmes, juridiques et éthiques.

Promulguée en août 2018, elle définit le repenti comme « un inculpé, un prévenu, un accusé ou un condamné pour une quelconque infraction qui fait des déclarations substantielles, révélatrices, sincères et complètes sur les formes de criminalité les plus déstabilisantes pour la société » et avait pour objet premier de « remettre sur le droit chemin » des personnes détenant des informations sur l’affaire dite des « tueurs du Brabant », qui a fait près de 30 morts dans diverses attaques de supermarchés il y a déjà environ 40 ans et, surtout, des personnes qui pourraient élucider certains volets des attentats qui ont endeuillé Bruxelles en mars 2016.

D’après une amie juriste, le libellé même du texte pose un problème juridique : comment, sauf par un invraisemblable hasard, une « quelconque infraction » (par exemple griller un feu rouge ou mal stationner son auto) peut-elle influencer la sécurité de l’État et du territoire ou permettre de faire la lumière sur une affaire criminelle majeure, puisque c’est à ça que ça revient ? Se pose un gros problème de proportionnalité, étant entendu que si les déclarations de Vejlkovic ne sont pas substantielles, révélatrices, sincères et complètes, il tombe à nouveau sous la menace des sanctions initiales.

La loi d’août 2018 soulève ensuite un gros problème éthique, car elle organise rien moins que la délation. Et cafter, à l’école primaire ou plus tard, dans la vie, ça ne se fait pas, sans préjudice des objectifs premiers de la loi précitée. Dans l’argot des malfrats, Vejlkovic deviendra une balance, une donneuse. Alors, il est clair que certaines personnes mêlées de près ou de loin aux turpitudes milieu du foot doivent être en train de chier vilain dans leur froc et, en soi, ça ne me dérange pas, en espérant qu’elles se fassent choper et condamner.

Il est tout aussi est clair que le nettoyage du football belge, par rapport à celui des écuries d’Augias, s’apparente au treizième travail d’Hercule et que, au vu de ce qui se profile, il vaudra mieux y aller à plusieurs parce qu’il n’y aura qu’une main disponible par personne, l’autre servant à se pincer le nez. Ça non, plus, ça ne me gêne pas, pour autant que le boulot soit bien fait. Mais l’incitation au « Mon voisin s’appelle Lévy. Signé: un bon Belge », ça me dérange un max. Surtout si on met en regard la finalité initiale de la loi et la toute première affaire à laquelle elle s’applique.

Pour terminer sur une note un peu plus légère et je jure que je ne l’invente pas : logiquement soucieuses du respect des dispositions légales qui veulent que les inculpés n’ont pas le droit de communiquer entre eux, les autorités judiciaires avaient placé deux co-inculpés dans la même cellule. Doués, les mecs !

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