Le Joyon de la couronne

Depuis la création de cette rubrique, il m’est arrivé de faire honneur à ceux-qui surgissaient de nulle part pour s’imposer ou à ceux qui firent contre toute attente la course en tête, mais je ne crois pas avoir encore évoqué quelqu’un qui s’imposera au final pour 7 misérables minutes lors d’une course qui aura duré plus de 7 jours et au cours de laquelle il aura passé plus de 95% du parcours derrière son dauphin. Un truc de dingue.

Même si on parle là de voile. Un type de sport où le bateau a, par rapport à son skipper, presque plus d’importance qu’une F1 pour un pilote ou un cheval pour un cavalier. A coups de millions, ces bolides des mers qui surfent, voire volent par moments au-dessus des vagues, sont de puissantes machines de courses ultra sophistiquées et bardées d’électronique. Autant dire qu’on est loin des épopées à la Eric Tabarly ou Olivier de Kersauzon.

Déjà, ces bateaux sont tellement chers que, dans la catégorie reine, pompeusement dénommée classe « ULTIME », ils n’étaient que six au départ de cette Route du Rhum 2018. Des multicoques géants semi-volants capables de vitesses vertigineuses mais hyper fragiles. Quand tu vois le coût de ces machins, ça doit quand même faire chier de le niquer au moindre coup de grain. Et quand la météo annonce un gros coup de tabac dans le Golfe de Gascogne à peine quelques heures après le départ de Saint-Malo, ça sent l’hécatombe à plein nez. Un peu comme quand t’as Romain Grosjean sur une grille de départ d’un Grand-Prix de F1. Et ça n’a pas manqué. A peine quelques heures de navigation et BAM, Sébastien Josse explose l’étrave tribord au vent d’Edmond de Rothschild. Un de moins. Et quand cinq heures plus tard, Thomas Coville voit le bras de liaison de Sodebo Ultim’ se fissurer, un tiers du plateau a déjà quitté la course. Vive la concurrence.

Et ce n’est pas fini. En effet, dès la première nuit, Armel Le Cléac’h, à la barre de l’impressionnant Banque Populaire, chavire au large de Porto et Romain Pillard sur son Remade-Use it again! doit s’arrêter à La Corogne pour réparer une voie d’eau. T’as une course qui va durer un peu plus de 7 jours et après 1 jour t’as perdu déjà 2 tiers du plateau. Un peu comme si tu prends le départ du marathon de New York au milieu de 50’000 personnes et qu’après 5 bornes, t’as déjà 33’000 abandons ou qu’en finale du 100m de JO, il ne reste plus que Bolt et Gatlin sur la piste après 15 mètres de course.

Mais devant, les deux rescapés n’en ont cure et filent comme des avions sur Madère puis les Açores. François Gabart d’abord, en tête, filant au vent sur un MACIF dernier cri et révolutionnaire malgré un foil en moins et une rupture de safran; conséquence d’une traversée mouvementée du Golfe de Gascogne. Francis Joyon ensuite. Sur IDEC Sport, ex-Groupama 3 et ex-Banque Populaire VII, double vainqueur en titre avec Franck Cammas et Loïc Peyron soit dit en passant. Pas le bateau le plus récent mais tellement amélioré qu’il n’a rien à envier à son concurrent direct. La traversée de l’Atlantique voit Gabart d’abord creuser l’écart. Mais Joyon ne relâche pas son effort et maintient la pression sur le leader. A la tombée de la dernière nuit, dans de petits airs et alors que la Guadeloupe est à vue de marin, l’écart n’est plus que de 20 miles nautiques. A moins de 5 miles de l’arrivée, les deux bateaux sont au coude à coude. La dernière manœuvre permet à Joyon de passer Gabart et prendre pour la première fois la tête. Pour ne plus la lâcher. Et s’imposer au bout du suspense avec 7 minutes et 8 secondes d’avance après 3’542 miles dont 3’537 derrière son grand rival.

Bravo Francis donc. Et tout ça à 62 balais alors que Gabart n’en a « que » 35 et avec un bateau de 12 ans son aîné. Il a surtout évité de casser son bateau. Par chance un peu sans doute mais aussi car il n’a pas pris le risque de construire un nouveau bateau peut-être plus rapide mais moins fiable. Tel un vieux singe à qui on n’apprend pas à faire des grimaces en somme. Ou tel un frileux qui a eu la chance de sa vie.

Face à ce coup de tonnerre, certains ont vu la victoire de l’ancienneté et de la sagesse sur la technologie et la fougue. Moi j’y ai surtout vu que la voile me faisait presque autant rêver que la F1 et que le suspense ne dépendait que de chavirages ou de casses matérielles. Et encore vachement moins télégénique. Ainsi, autant limiter sa passion de la voile à la Coupe de l’America. Et uniquement les années où Alinghi l’a emporté bien évidemment.

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