Thibaut Pinot, en marche vers le Tour

Après avoir construit son palmarès en Italie ces deux dernières saisons, Thibaut Pinot revient sur le Tour de France avec ambition. Depuis son triomphe au Tour de Lombardie l’an passé, il semble maintenant prêt pour briller sur la plus grande course du monde.

Thibaut Pinot est un garçon têtu. Il a refusé pendant des années de venir s’entraîner en altitude, préférant rester installé dans son cocon douillet de Mélisey, son repaire depuis toujours en Haute-Saône. Cet hiver, il a pourtant fini par céder à la tentation du volcan Teide, toit de l’île de Tenerife dans l’archipel des Canaries, comme tous les grands coureurs cyclistes de son époque. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! A l’instar de Vincenzo Nibali, Alberto Contador ou Chris Froome, le Franc-Comtois a donc posé ses valises pendant dix-huit jours au célèbre hôtel Parador de Cañadas, avec toute sa garde rapprochée en montagne qui l’accompagne depuis plusieurs saisons déjà. Avec comme grand objectif avoué cette saison : un retour fracassant sur le Tour de France.

L’année passée a opéré comme un déclic dans la tête de Pinot. Après avoir échoué à 37 secondes du podium, et seulement une grosse minute de la victoire finale au Tour d’Italie 2017, il pensait pouvoir tenir son rêve, à 48 heures de l’arrivée à Rome, sur le Giro 2018. Après le coup de sang du mutant Chris Froome sur les rampes empierrées du col du Finestre, rappelant (ou pas…) les folles échappées d’un cyclisme d’antan, il avait repris du temps à tous ses adversaires directs pour se replacer à la troisième place du classement général, derrière les intouchables Chris Froome et Tom Dumoulin (ce dernier ne s’étant pas offert le luxe cette année de s’arrêter deux minutes, au pied d’un col hors catégorie, poser une grosse pêche aromatisée, comme le veut sa tradition gastrique). Thibaut pouvait alors envisager raisonnablement décrocher son second podium en Grand Tour, quatre ans après son incroyable Tour de France 2014 qui l’avait révélé aux yeux du monde.

Pour gagner, Thibaut sait maintenant s’entourer des meilleurs…

Malheureusement le lendemain, lors de la dernière étape décisive en montagne vers Breuil-Cervinia, il connaîtra une défaillance carabinée dans les premiers lacets du col de St-Pantaléon, ruinant tous ses espoirs de podium après trois semaines intenses de course. Loin du Colisée de Rome, il finira même son deuxième Giro d’Italia dans un hôpital glauque du Val d’Aoste, mis totalement KO par une pneumonie aussi soudaine que brutale. Contraint au repos forcé pendant deux mois, il devra également dire adieu au Tour de France dans la foulée.

De retour aux affaires au cœur de l’été 2018, c’est un tout nouveau Thibaut Pinot qui s’exhibe sur les routes brûlantes du Tour d’Espagne. Il y décroche deux victoires d’étapes retentissantes en altitude, aux mythiques Lagos de Covadonga, puis sur la Rabassa en Andorre. Il ne tombe surtout jamais malade tout au long des trois semaines de course, et cela pour la première fois depuis quatre ans. Il déclare ainsi, sixième à l’arrivée sur le Paseo de la Castellana à Madrid, que cette Vuelta 2018 est le meilleur Grand Tour de sa carrière. Il ajoute aussi qu’il sait maintenant comment s’y prendre pour ne plus avoir de jour sans sur les courses de trois semaines, évoquant ainsi implicitement la fraîcheur physique comme un détachement total de l’événement.

Pêcher le brochet peut rapporter gros.

Car Thibaut est un ultra-sensible, un terrien romantique qui ne supporte ni les flashs, ni le brouhaha des grandes villes, et encore moins les attentes démesurées autour de sa personne. Il n’a jamais quitté son petit village de Mélisey, où son père officie en tant que maire depuis 2008. Là-bas, il s’entraîne souvent seul, à la fraîche, tel un chamois sauvage, dans ses Vosges natales qu’il connaît jusque dans les moindres recoins. Quand il y fait trop froid, il part s’adonner au ski de fond, en complément de sa préparation sur la route. Pour se changer les idées, il s’est même acheté un lac sur le plateau des Mille Etangs, où il passe ses journées de repos à pêcher en parfaite autarcie. Quand Thibaut ne fait rien de tout cela, il s’occupe alors de ses chèvres, moutons et brebis, à même le jardin de la petite maison qu’il s’est fait construire en 2015. Installé à seulement 30 kilomètres de la Suisse à vol d’oiseau, il pourrait facilement épargner une année d’impôt tous les trois ans en vivant de l’autre côté du Jura, en Romandie, comme tous les losers du tennis français. Mais si Pinot n’a jamais réussi à déménager à Besançon ou Belfort, ce n’est pas pour vivre encore plus loin, à Delémont ou Neuchâtel.

Retour au vélo. Dans la foulée d’une grande Vuelta 2018, il se sacrifie au Mondial d’Innsbrück pour Julian Alaphilippe, sur consigne d’équipe du vieux druide dépassé Cyrille Guimard, alors qu’il était probablement le plus fort des Français sur le circuit hyper sélectif autrichien. Profondément frustré, même s’il ne l’avouera jamais en public par pudeur, Thibaut se rattrape en fin d’année sur les classiques italiennes. Il remporte coup sur coup Milan-Turin, et surtout le Tour de Lombardie, au terme d’une échappée royale et d’un mano a mano final exaltant avec Vincenzo Nibali, sur les pentes surchauffées du Civiglio. « Un exploit à la Merckx », s’enthousiasme alors son toujours très mesuré directeur sportif, Marc Madiot ! Toujours est-il que Pinot a bel et bien changé. A 28 ans, il n’a maintenant plus peur de personne, regarde ses adversaires en face, dans le blanc des yeux, et croit enfin pleinement en lui.

Ne plus regarder le Tour depuis l’arrière des voitures.

Après avoir explosé en plein vol sur le Tour de France ces dernières saisons, n’y avoir rien réussi de bon depuis sa victoire à l’Alpe d’Huez en 2015, Thibaut a décidé cet hiver de revenir avec ambition sur la Grande Boucle. Il s’épargnera avant, au mois de mai, un toujours éreintant Giro d’Italia, qui l’a certes relancé en 2017, mais qui l’a aussi salement amoché au printemps dernier. Si l’Italie est le pays où il se sent le mieux pour courir et briller (il suffit juste de constater ses prouesses régulières sur Tirreno-Adriatico, le Tour des Alpes, le Giro, ou encore la Lombardie), il veut juste transposer en français ce qu’il a inscrit sur son bras droit en italien depuis de nombreuses années : « Solo la vittoria e bella ». A bientôt 29 ans, l’heure du meilleur cru Pinot est peut-être programmé pour cette année sur le Tour de France…

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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2 Commentaires

  1. « il se sacrifie au Mondial d’Innsbrück pour Julian Alaphilippe, sur consigne d’équipe du vieux druide dépassé Cyrille Guimard, alors qu’il était probablement le plus fort des Français »:
    Si vous arrivez à trouver un scénario dans lequel quelqu’un pouvait battre Valverde peut être mais c’est pas évident. Dans le cas contraire Bardet fait 2e soit la meilleure place possible dans ces conditions. En tous les cas il n’y a rien qui laisse penser que Pinot aurait pu faire mieux que Bardet ce jour là ou qu’il était le plus fort.
    Autrement oui c’est un très bon coureur mais il n’est pas au niveau pour gagner le tour. Un podium serait déjà presque au dessus de ces moyens vu la concurence actuellement. On prend les paris si vous voulez mais il va probablement perdre gros un jour et ensuite se reconcentrer sur une victoire d’étape grâce au bon de sortie qu’il aura grâce à cette perte de temps.
    Il me fait un peu penser à Moreau, à chaque fois qu’on annonçait une préparation spécifique tour de France il prenait cher…
    Verdict en Juillet

  2. Bon ben comme annoncé plus haut. Il n’y aura même pas eu besoin d’attendre la montagne. 1m40 aujourd’hui sur une bordure. Merci au revoir et à l’année prochaine pour la même chose.

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