Vuelta 2019 : étapes 10 à 21

Si les écarts à l’issue de la première semaine de la Vuelta étaient infimes, la suite de la course dans le nord de l’Espagne a été dominée sans conteste par la mafia slovène. Primoz Roglic a remporté brillamment son premier Grand Tour tandis que Tadej Pogacar a confirmé tout le bien qu’on pensait de lui à seulement 20 ans. Le vieux champion du monde Alejandro Valverde, qui pourrait être son père, a lui décroché à Madrid un podium inespéré qui peine cependant à cacher le nouvel échec de son équipe Movistar sur ses terres.

10. Jurançon –> Pau : 36,1 km (c.l.m individuel)

Comme tout bon leader d’Europe de l’Est, Primoz Roglic se fait suivre sur cette Vuelta par le camping-car de sa femme. Si les romantiques y voient l’occasion d’y établir à l’intérieur des liens affectueux, les pragmatiques de mon espèce misent davantage sur un laboratoire facétieux. De passage dans les Pyrénées-Atlantiques, le Slovène assomme le contre-la-montre individuel de la Vuelta, là-même où il avait perdu le podium du Tour de France 2018 face à un Chris Froome survolté. Le Kényan blanc, trop occupé comme moi à réparer son fémur droit anéanti en juin, ne lui fait plus d’ombre, même s’il vient de remporter, avec 8 ans de retard, un 2ème Tour d’Espagne devant les tribunaux aux dépens des anomalies sanguines de Juan José Cobo. Pas de pot donc à Pau pour Valverde et Lopez repoussés implacablement à deux minutes de Roglic sur l’effort solitaire. Quintana, encore leader ce matin après son raid en Andorre, pointe lui désormais à trois en compagnie de Pogacar qui revient fort.

Sauteur à ski, rouleur surpuissant, baroudeur en camping-car et chanteur de rock’n’roll : voici Primoz Roglic.

11. St Palais –> Urdax : 180 km

La 2ème étape courue en France sur cette Vuelta 2019 passe à Sare dans le final. Sare, village microscopique connu pour être le plus arrosé de l’Hexagone est aussi le lieu où je me suis lamentablement explosé le col du fémur il y a 3 mois à vélo alors que je tentais de rallier Paris à San Sebastián. Prenant ce parcours des organisateurs de la Vuelta comme une provocation à mon égard, je me refuse à regarder cette étape de transition. Une journaliste basque me réveille vers 18 heures pour m’alerter que Mikel Iturria, un Basque justement de l’équipe basque Euskadi-Murias vient de remporter magnifiquement l’étape échappé. Cela atténue momentanément ma douleur à la jambe.

12. Circuito de Navarra –> Bilbao : 171,4 km

La Vuelta réputée pour être la course la plus débridée des trois Grands Tours justifie une nouvelle fois sa réputation en fin de saison malgré un plateau de coureurs moins impressionnants que les années précédentes. Philippe Gilbert en profite pour sortir de sa boîte à Bilbao après 12 jours de farniente. Privé de Tour de France en juillet après avoir fini celui de 2018 dans un ravin du Portet d’Aspet, le vieux Belge démarre dans la dernière bosse, l’Alto de Arraiz lui rappelant momentanément la côte de la Redoute où il est né à l’amorce du final de Liège-Bastogne-Liège. Les régionaux de l’étape du jour Fernando Barceló et Alexander Aranburu ont beau joindre leurs efforts dans la descente, Phil garde 3 secondes d’avance sur eux dans la capitale économique du Pays basque. L’occasion d’effectuer un joli pied de nez à Patrick Lefevere qui a refusé de le conserver chez Deceuninck en 2020 malgré son triomphe au printemps sur Paris-Roubaix.

13. Bilbao –> Los Machucos : 166,4 km

Pour impressionner les foules, les organisateurs de la Vuelta n’ont rien trouvé de mieux que de lancer cette 13ème étape du stade San Mamés. Tribunes vides, musique sinistre, l’ambiance dans l’antre de l’Athletic Bilbao tourne au ridicule. Un peu comme le FC Barcelone battu ici il y a 3 semaines en ouverture de la Liga sans la pleureuse Neymar ! L’étape s’emballe à l’approche de la terrible montée finale vers Los Machucos inaugurée finalement en 2017 par Alberto Contador, après le déclassement de Stefan Denifl ce printemps pour cause de ravitaillements douteux dans le laboratoire du docteur Mark Schmidt à Vienne. Largué au général, Pierre Latour veut sauver son Tour d’Espagne ainsi que celui de son équipe AG2R La Mondiale invisible en 2019. Mais à moins de 2 kilomètres du sommet, le Drômois est rattrapé par le syndrome Bardet… et le double TGV slovène composé de Roglic et son jeune cadet Pogacar. En grand frère protecteur, Primoz laisse la victoire d’étape à Tadej qui continue d’éclabousser cette Vuelta de toute sa classe pour sa première saison chez les professionnels.

A quand un départ du Parc des Princes au Tour de France pour que Superman Lopez puisse écraser la danseuse Neymar se roulant par terre ?

14. San Vicente de la Barquera –> Oviedo : 188 km

Seule étape de la 2ème semaine pouvant se terminer par un sprint massif, les équipes de sprinteurs cadenassent la course toute la journée. Le dernier kilomètre en faux-plat montant dans Oviedo envoie les trois premiers du classement général (Roglic, Valverde et Pogacar) au tapis. La grosse chute ne gêne pas Sam Bennett qui s’impose dans la confusion au pied du Mont Naranco devant Maximiliano Richeze. Sous le balcon de sa villa, Fernando Alonso, natif de la capitale des Asturies et grand passionné de cyclisme, apprécie tellement le carambolage final qu’il se met à rêver d’un retour en Formule 1 chez Ferrari en 2020. Mais Alejandro Valverde, impliqué dans le gigantesque jeu de quilles d’Oviedo, préfère toujours Fuentes à Ferrari. Il rappelle donc à son compatriote qu’il attend toujours qu’il honore sa promesse de reprendre une équipe cycliste professionnelle avant de penser à refaire le kamikaze du côté de Maranello.

15. Tineo –> Santuario del Acebo : 154,4 km

Si les lacs de Covadonga et l’Angliru dans les Asturies ne sont pas au programme de cette Vuelta 2019, l’arrivée inédite au sanctuaire d’Acebo doit permettre de voir de gros écarts en cette fin de deuxième semaine. Primoz Roglic, tellement sûr de sa victoire dans une semaine à Madrid, envoie Sepp Kuss promener son vélo à l’avant de la course. Le jeune Américain originaire de Durango, petite ville du Colorado plantée à 2 000 mètres d’altitude, sait faire dès que la route s’élève. Il écœure tout le monde dans la montée finale vers le sanctuaire surplombant Cangas del Narcea. Pendant que Ruben Guerreiro et Tao Geoghegan Hart, 2ème et 3ème au sommet derrière Kuss, se chamaillent comme des gamins dans l’aire d’arrivée, Valverde et Roglic se détachent ensemble du groupe de favoris. La Vuelta tient assurément là ses deux hommes forts.

16. Pravia –> Alto de la Cubilla : 144,4 km

La grande étape dans la cordillère Cantabrique comporte l’enchaînement des cols mythiques de San Lorenzo, de la Cobertoria et de la Cubilla. Surnommé le Galibier des Asturies sans aucune raison rationnelle pour l’avoir déjà escaladé à vélo, l’Alto de la Cubilla accueille pour la première fois une arrivée de la Vuelta. Porteur d’eau et porte-flingues pour Superman Lopez en Espagne, Jakob Fuglsang se rappelle qu’il a été le grand bonhomme du printemps 2019 avant qu’il ne tombe violemment au Tour de France en juillet. A défaut d’avoir vu le Galibier français sur la dernière Grande Boucle, le Danois dompte celui des Asturies et débloque enfin son compteur en Grand Tour à 34 ans. Derrière, la bagarre fait rage entre les favoris. Nairo Quintana est le grand perdant de la journée puisqu’il cède plus de deux minutes à tous ses adversaires pour se retrouver à près de huit au classement général de Primoz Roglic, plus que jamais leader de cette Vuelta à cinq jours de l’arrivée.

17. Aranda de Duero –> Guadalajara : 219,6 km

La journée de repos passée à Burgos sous la pluie par 12 petits degrés a vu de nouvelles déclarations curieuses chez Movistar. Quintana, désormais 6ème, a expliqué qu’il avait cédé du temps ces derniers jours en montagne car il était malade tandis que Valverde, toujours 2ème, prédit que Papy peut encore gagner la Vuelta en évoquant son âge canonique. Dès la sortie de Aranda de Duero, le peloton se casse en mille morceaux sous l’impulsion de l’équipe Deceuninck, spécialiste des bordures en Belgique. Les 220 kilomètres du jour sont avalés sur le tas, comme de vulgaires tapas, à plus de 50 km/h de moyenne dans la Meseta. Cela provoque une arrivée à Guadalajara avancée de plus d’une heure par rapport à l’horaire théorique le plus rapide. Sieste oblige, Carton-Rouge rate cette étape d’anthologie contrairement à Philippe Gilbert qui croque Sam Bennett dans les 200 derniers mètres comme à la parade. 2ème victoire en 5 jours pour le vétéran belge qui s’annonce en très grande forme à deux semaines des Mondiaux dans le Yorkshire. Quintana profite lui de la zizanie pour reprendre plus de 5 minutes aux autres favoris. Voilà le petit Colombien guéri et de nouveau 2ème du classement général devant son chef de file Alejandro Valverde, ce qui provoque un nouveau casse-tête chinois chez Movistar.

Si Contador et Valverde ne s’affrontent plus sur la route, ils se disputent encore la pose avec la meilleure journaliste…

18. Colmenar Viejo –> Becerril de la Sierra : 177,5 km

La grande étape de montagne dans la Sierra de Madrid accouche plus ou moins d’une souris. Les leaders étant encore épuisés de la veille par la course-poursuite inattendue vers Guadalajara, ils s’observent dans les différents cols mythiques du jour. Les organisateurs ont pourtant servi une double ration de Morcuera et Navacerrada en l’honneur d’Alberto Contador, le régional de l’étape, fraîchement retraité, sévissant maintenant sur Eurosport Espagne aux côtés de la ravissante journaliste blonde Laura Meseguer. Dans le box de départ, son rival de toujours Alejandro Valverde lui préfère la jolie brune Ainara Hernando, qui a consacré récemment un livre à sa gloire relatant son titre mondial acquis de haute lutte l’an passé en Autriche. Passé les romances secrètes, le vieux champion du monde ne lâche toujours pas d’une semelle la roue de Primoz Roglic depuis trois semaines. Sergio Higuita l’emporte brillamment échappé à Becerril de la Sierra et sauve ainsi la Vuelta de son équipe EF Education First décimée par les abandons prématurés de Uran, Carthy et Van Garderen. 15 secondes plus tard, Roglic et Valverde déboulent pour se battre symboliquement à coups de bonifications. Quintana et Pogacar perdent quant à eux une minute et reculent d’une place au classement général.

19. Avila –> Toledo : 165,2 km

Primoz Roglic ne voulant pas se faire piéger comme l’avant-veille vers Guadalajara, il fait rouler son équipe dès le départ dans le col de la Paramera afin d’annihiler toute tentative d’échappée dangereuse pour son maillot rouge. Après 100 kilomètres, le Slovène ne peut cependant éviter la grosse chute du jour, sous la pluie, qui envoie son équipier Tony Martin valdinguer au sol. Exclu du Tour en juillet pour une altercation physique avec Luke Rowe lors de l’étape de Gap, le vieil Allemand se serait fait rouler dessus ce coup-ci par Miguel Angel Lopez, lui aussi tombé avec ses équipiers. Valverde et Quintana passés miraculeusement entre les gouttes, Movistar en profite pour visser en tête de peloton afin de distancer Roglic et Lopez retardés dans l’accident, ce qui provoque un tollé général en mondovision. Après une demi-heure de flottement, tout rentre malgré tout dans l’ordre. A l’instar de son coéquipier Julian Alaphilippe sur le dernier Tour de France à Épernay, Rémi Cavagna signe un exploit retentissant à Tolède en solitaire. L’Auvergnat garde 5 secondes d’avance sur la ligne face au meilleur sprinteur actuel, Sam Bennett, lancé plein pot à ses trousses en surplomb du Tage cher à Federico Bahamontes, 91 ans, plus ancien vainqueur du Tour de France encore en vie ; ce qui conforte Alejandro Valverde de continuer sa carrière au-delà des 40 ans. Interrogés à l’arrivée sur l’affaire de la chute, le Murcian nie l’évidence comme son implication dans l’affaire Puerto en 2006 tandis que Roglic, rentré dans l’aspiration des voitures, éteint toute polémique en bon diplomate yougoslave s’apprêtant à remporter son 1er Grand Tour sans opposition. Avec sa cape de super-héros, Superman Lopez, lui, traite plusieurs fois d’idiots les hommes en bleu de la téléphonie mobile espagnole. Le réseau passant toujours mal chez Movistar, les comptes se régleront demain lors de la dernière étape de montagne à l’ouest de Madrid.

20. Arenas de San Pedro –> Plataforma de Gredos : 190,4 km

La bataille finale dans la Sierra de Gredos se court dans des conditions météorologiques difficiles. Après un été caniculaire en Espagne, les coureurs sont transis de froid et inaptes aux grandes manœuvres. Superman Lopez allume bien une mèche dans l’avant-dernier col de Peña Negra, histoire de dire qu’il aura tenté jusqu’au bout. Mais comme au dernier Giro, le leader d’Astana doit se résoudre au fait que son année 2019 est un pétard mouillé en Grand Tour. Tadej Pogacar, à son aise par mauvais temps, contre tout le monde à 39 kilomètres de l’arrivée. Comme en Andorre avant la première journée de repos, le Slovène s’en va décrocher un succès prestigieux dans le brouillard. Sur l’inédite Plateforme de Gredos, il remporte une 3ème victoire d’étape et double par la même occasion les Colombiens Lopez et Quintana au classement général. Il finira demain sur le podium à Madrid de son 1er Grand Tour derrière son grand frère Roglic et Papy Valverde.

Sans les mains, ni les jambes, Tadej Pogacar décroche 3 étapes, le maillot de meilleur jeune ainsi que la 3ème place du classement général final de la Vuelta 2019.

21. Fuenlabrada –> Madrid : 106,6 km

Comme au Tour de France, Movistar place ses 3 leaders dans les 10 premiers à défaut de remporter la Vuelta. Comme au Tour de France, les Espagnols sauvent leur Grand Tour en remportant le classement par équipes. Comme au Tour de France, la dernière étape de la Vuelta ne revêt d’aucun intérêt sportif. Pour aller au bout de l’inutilité, les organisateurs figent même les écarts au classement général à 52 kilomètres de l’arrivée, lorsque le peloton entre dans la capitale madrilène afin d’y effectuer une parodie de critérium. Tadej Pogacar, 21 ans dans une semaine, profite de l’aubaine pour picoler bière sur bière dans les rues de Madrid, à un âge où d’autres pays que l’Espagne le jetteraient en prison, faute de majorité légale. Devant le palais de Cybèle, Fabio Jakobsen devance Sam Bennett comme sur la 4ème étape se finissant au Puig. C’est le 2ème succès du Néerlandais sur cette Vuelta. Ajouté au deux bouquets de Gilbert et à la victoire de Cavagna l’avant-veille, cela porte à 5 le score du Wolfpack cette année en Espagne. A 29 ans, Primoz Roglic décroche son 1er Grand Tour devant les 39 de Papy Valverde et les 20 de son jeune frère Pogacar. La Vuelta 2019 se referme donc par la victoire d’un sauteur à ski devant un vétéran et un gamin post-ado. Qui aurait parié sur ce podium inédit il y a trois semaines au départ de Torrevieja ?

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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