Tour de Suisse, entre magie et désintérêt

Coincé entre Jura et Alpes, Giro et Tour, printemps et été, champions déserteurs et nouveaux outsiders, le Tour de Suisse souffre depuis de nombreuses années de la comparaison avec le Critérium du Dauphiné couru à la même période. Cependant, son décor féerique en fait toujours l’une des plus belles courses au monde à disputer comme à regarder.

Mi-juin, l’été approche en Europe. Le Critérium du Dauphiné est sur le point de se terminer lorsque le Tour de Suisse commence avec, en toile de fond, ses lacs naturels, ses Alpes majestueuses et enfin le Tour de France. À trois semaines du départ de la plus grande course du monde, la ronde helvétique est le dernier rendez-vous pour les champions comptant briller en juillet. Le plateau y est donc relevé, mais pas tant que ça en comparaison à celui que peut proposer le Dauphiné s’élançant sept jours plus tôt, à 400 kilomètres de là, depuis chez son voisin français.

Pour gagner le Tour de France, il faut venir avant se frotter aux routes du Dauphiné, et cela depuis de nombreuses années. Bradley Wiggins (2012), Chris Froome (2013, 2015, 2016) et Geraint Thomas (2018), les trois leaders de la Sky en ont effectivement fait la démonstration lors de la dernière décennie. A contrario, aucun coureur depuis 44 ans n’a gagné la Grande Boucle après avoir conquis le Tour de Suisse un mois auparavant. Le dernier à l’avoir d’ailleurs réalisé n’est autre que le plus grand coureur cycliste de tous les temps, un certain Eddy Merckx, en 1974, pour sa cinquième et dernière victoire dans le Tour de France. Une autre époque.

Pourquoi les prétendants au Tour de France choisissent-ils donc le Dauphiné à la place du Tour de Suisse comme ultime course de préparation ? Pour deux raisons principales. La première est le temps de récupération qu’il y a entre la fin du Dauphiné et le départ du Tour : trois semaines la majorité du temps (les années sans Coupe du Monde de football), contre deux entre le dénouement du Tour de Suisse et le début de la Grande Boucle. Ces trois semaines permettent souvent d’effectuer les derniers ajustements en stage pour arriver fin prêt au départ du Tour. A contrario, en sortant fatigué de la ronde helvétique, la marge de manœuvre est plus mince pour rectifier le tir à seulement deux semaines de la grande messe de juillet. La deuxième raison à ce choix est que les routes françaises du Dauphiné sont souvent les mêmes empruntées par celles du Tour de France un mois plus tard. Le Dauphiné permet donc de reconnaître au mieux le parcours comme de s’imprégner des pièges à venir sur la Grande Boucle.

Egan Bernal, maillot jaune du Tour de Suisse avant celui du Tour de France ?

Malgré cela, des champions viennent encore heureusement se tester en Suisse. Des coureurs en retard de préparation notamment pour le Tour de France, mais aussi d’autres sortant du Tour d’Italie et s’apprêtant à effectuer leur coupure en juillet, ainsi que la majorité des sprinteurs qui trouvent dans la Confédération helvétique un meilleur terrain de jeu à leur convenance que sur les routes du Dauphiné où les sprints massifs ne sont pas légion.

Peter Sagan, star interplanétaire du cyclisme depuis près d’une décennie, incarne bien ce dernier cas de figure. Le Slovaque a pris pour habitude de venir se tester en Suisse au mois de juin depuis 2010, soit depuis ses débuts chez les professionnels. Il y gagne quasiment chaque année et compte même 17 victoires d’étapes sur cette course en dix participations, un record pas près d’être battu. Au pays de la précision horlogère, le show man de Zilina vient effectuer ses derniers réglages pour le Tour. En Suisse, il peut tabler sur quatre arrivées massives lorsque le Dauphiné n’en propose que deux tout au plus.

Le Tour de Suisse, c’est aussi la tranquillité comparativement au Dauphiné où tous les suiveurs du cyclisme viennent s’agglutiner pour établir un premier rapport de force (et de nombreuses théories foireuses…) pour le mois de juillet à venir. Le Français Thibaut Pinot s’y est d’ailleurs exilé à de nombreuses reprises dans sa carrière pour fuir la pression inhérente au Tour dans son pays. Le Tour de Suisse, c’est également les beaux paysages, verts, frais, authentiques, hors du temps, loin des stations de ski sans charme des Alpes du Nord françaises.

Contrairement au Tour de Romandie disputé au début du mois de mai (et souffrant encore davantage chaque année d’un très faible plateau pour une course World Tour), le Tour de Suisse explore la haute montagne alpestre dans toute sa partie alémanique. Le canton gigantesque des Grisons est souvent mis à l’honneur pour faire office de juge de paix avec ses cols mythiques à plus de 2000 mètres d’altitude, souvent recouverts de neige, comme l’Albula, le Julier, la Bernina, la Fluëla ou encore l’Ofen.

Cette année, le Tour de Suisse s’est cependant joué plus à l’ouest dans le Tessin et le Valais. Le Colombien Egan Bernal, unique rescapé de l’armada Ineos au rapport en juin à l’infirmerie, s’est envolé vendredi dernier sur les pavés du col du Gothard pour assommer la course sans pitié. Il a ensuite conservé son maillot jaune le samedi lors du contre-la-montre, avant de neutraliser le surprenant Rohan Dennis dimanche lors de la neuvième et dernière étape. Celle-ci proposait le triptyque mythique des cols du Nufenen, du Gothard et de la Furka, sous un soleil de plomb, face au spectaculaire glacier du Rhône et ses sommets enneigés dépassant allègrement les 3000 mètres d’altitude.

Paysage de carte postale, découverte de la haute montagne alpestre en mondovision, les organisateurs du Tour de Suisse ont toujours su proposer leurs meilleurs clichés, leurs meilleurs reliefs, afin de promouvoir ce qu’on appelle, à tort ou à raison, le quatrième Grand Tour cycliste de l’année après le Tour, le Giro et la Vuelta. Si dans la Confédération helvétique, la magie des tracés opère toujours, le désintérêt des plus grands champions devient quant à lui de plus en plus palpable. Et si Egan Bernal dans un mois renversait cette tendance en remportant le Tour de France, 45 ans après le dernier doublé accompli par Merckx ? Pour rendre hommage au Cannibale dont le Tour s’élancera de Bruxelles dans quelques jours, mais aussi pour remettre la Suisse au centre du jeu cycliste après des années d’oubli !

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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2 Commentaires

  1. Merci Paul. Mais je n’avais pas pris de très grands risques en émettant que Bernal gagne le Tour 2019 tellement il était favori au départ.

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