À qui la faute ?

« Les footballeurs sont tous des tricheurs. » L’affirmation est signée Yves Martin et est tirée de notre premier podcast au sujet de la VAR. Elle a pu vous interpeller si vous faites partie des quatre auditeurs hors rédaction qui sont arrivés jusqu’à ce passage. Mais dans quelle mesure la triche, et plus particulièrement dans cet article la faute, fait partie intégrante du football ?

À la lumière – ou l’ombre – du débat, comme souvent stérile, qui a suivi la médiatique « faute tactique » de Federico Valverde en finale de la Supercoupe d’Espagne (ou plutôt son pendant Infantinesque, nous allons y revenir), mais aussi d’une étude de l’observatoire du foot CIES de Neuchâtel, qui n’est jamais le dernier pour faire des travaux sur des sujets aussi vitaux que celui-ci, je vais tenter de replacer ce qu’est la faute dans le foot.

La faute, définition

La faute c’est « Ah la boulette, j’ai fait la boulette » ; c’est « J’ai ptet’ fait une connerie moi » ; c’est « Il a perdu le contact ski – neige ». La faute, c’est aussi « Mais y’a rien, arbitre de merde ! » ; c’est « Mais on était en pause ! » ; c’est « Y a un U dans amblance ? ». La faute c’est au tennis, au foot, dans le Matin, c’est le pied haut de Nigel de Jong en finale du Mondial 2010, c’est les tenues vestimentaires de Leo Messi, c’est la nouvelle coupe de cheveux de Ronaldo, c’est acheter Shaqiri, bref la faute c’est pas joli joli, c’est parfois inévitable et c’est surtout plein de mauvaise foi.

Nigel « l’Agneau » de Jong dans ses œuvres

Mais la faute a une dimension toute particulière dans le foot. En effet, il s’agit de l’un des seuls contextes où il arrive fréquemment qu’elle soit volontaire (avec éventuellement d’autres sports de contact mais elle y a une dimension tout de même moins importante). Elle est volontaire quand elle est tactique – déjà – dans le but de laisser le temps à son équipe de se replacer sur un contre par exemple. Elle l’est aussi lors des mains du même nom, qui certes dans les faits n’arrivent presque jamais mais existent tout de même, n’est-ce pas Henry et Suarez (on va aussi y revenir). Elle l’est pour imposer une dimension physique à un match, afin de tenter de faire sortir l’adversaire de son plan tactique par exemple. Elle l’est également dans des cas plus extrêmes de vengeance ou de tactique particulièrement tordue afin de blesser un opposant.

En un mot, la faute volontaire est présente dans pratiquement tous les matchs de foot du monde. Mais si l’on inverse le point de vue, une équipe va également chercher les fautes de l’adversaire. Les erreurs bien sûr, mais également les fautes « physiques ». Pour résumer, on peut dire que la faute est partout dans ce sport. Mais est-ce vraiment de la triche ? On pourrait y consacrer un article entier pour en débattre. Mais je vais partir du principe que, si la faute est dûment sanctionnée, cela n’est pas de la triche. On pourrait alors discuter du règlement (et Dieu sait qu’il y aurait à redire) mais ce n’est pas le sujet ici.

La faute de Federico Valverde

Maintenant que les bases sont posées, parlons de la fameuse faute de Fede Valverde en finale de la Supercoupe d’Espagne. Une Supercoupe qui n’en a que le nom puisque, l’Espagne n’étant pas à son coup d’essai quand il s’agit de tenter ridiculement de rivaliser avec la Premier League en termes de marketing, celle-ci se joue en Arabie Saoudite. De plus, elle ne réunit non pas uniquement le vainqueur de la Coupe et celui du Championnat (respectivement Valence et le Barça) comme toutes les Supercoupes du monde, mais également l’Atletico, 2e de la Liga 2019, et le Real, 3e. Cela dans le but à peine masqué de tenter d’offrir un Clasico de plus pour capitaliser sur le potentiel marketingo-footix de ce match. Raté donc, puisque non seulement aucune des deux équipes qui auraient dû disputer cette Supercoupe n’a passé l’écueil des demi-finales, mais qu’en plus Barcelone ayant perdu on aura droit à un derby de Madrid, nettement moins vendeur que le sacro-saint Clasico. La finale sera donc un gros doigt d’honneur à cette parodie de compétition jusqu’au bout puisqu’elle accouchera d’un vieux 0-0 comme on aime. Sauf qu’à la 115ème minute, il se passe cela :

La toile s’enflamme comme toujours instantanément, d’autant que le Real gagnera ensuite aux tirs aux buts et que le joueur, en l’occurrence Federico Valverde donc, sera nommé Homme du match, après son expulsion bien sûr. Comme souvent, le débat est monopolisé par les génies pro-Real face aux grands esprits pro-Barça (qui au passage ne jouait même pas ce match, faut-il le rappeler…), les premiers arguant que le tacle de l’Uruguayen était un geste technique magnifique, les seconds qu’il s’agissait d’un attentat et que Valverde ne devrait plus jouer au foot de sa vie (je vous jure que j’ai lu ces deux commentaires).

Personnellement, ne pouvant sacquer aucune des équipes concernées, j’estime en partant de ce qui a été dit plus haut qu’il n’y a en tout cas aucune triche. L’Uruguayen savait en faisant ce tacle qu’il allait se faire expulser, mais le geste en valait la chandelle puisqu’il a fait gagner son équipe. Il s’est pris un rouge, n’a rien dit et est sorti. De même, le tacle n’était pas vraiment dangereux, contrairement à ce que l’on a pu lire. Même Simeone, coach de l’Atletico et grand bourrin devant l’Éternel, a félicité son adversaire pour ce geste. Valverde a fait gagner son équipe en faisant une faute, il s’est fait expulser et suspendre, il a eu raison d’un point de vue footballistique, moins d’un point de vue moral, débat clos.

Dans la même veine, nous pouvons parler du quasi-légendaire arrêt des deux mains de Luis Suarez en quarts du Mondial 2010 face au Ghana. Alors bien sûr, l’Uruguayen (oui, encore, tirez-en les conclusions que vous voulez) est une vraie plaie du foot, notamment avec ses morsures ou ses simulations. Mais il faut lui laisser qu’il sera toujours prêt à se sacrifier pour son équipe. Et je n’ai jamais compris en quoi sa main face au Ghana était scandaleuse. Le match en est à la 120ème minute, le ballon lui arrive dessus, s’il ne fait rien son équipe se fait éliminer. En faisant ce geste, non seulement il se sacrifie volontairement d’une demi-finale voire d’une potentielle finale, suspension oblige, mais il laisse quand même un boulevard à l’équipe africaine pour passer. Ce n’est pas sa faute si le mental des Ghanéens a été aussi solide que celui des Suisses aux tirs aux buts. Sa main a été justement sanctionnée, le reste est la faute du Ghana qui n’a pas su saisir l’opportunité en or massif (ce qui est ironique pour le premier producteur de ce métal du continent) qui se présentait à lui. Alors bien sûr, c’est triste pour ces si-sympathiques-ghanéens-pour-qui-l’histoire-aurait-été-si-belle-s’ils-s’étaient-qualifiés-en-jouant-presque-à-domicile (ce qui a au passage autant de sens que de dire que le Danemark jouera presque à domicile lors du mondial au Qatar, géographiquement parlant), mais osez me dire qu’en tant que coach vous n’auriez pas wedgé Suarez s’il avait laissé passer la balle.

A travers ces deux exemples, nous avons vu que les fautes (et non la triche. La main de Henry était de la triche. Les fautes détaillées auparavant ont été sanctionnées conformément au règlement) font parfois gagner des matchs et même des titres. C’est assez peu moral mais c’est un fait. Mais est-ce nécessaire ?

Image plus taboue en Eire que l’IRA et la pénurie de Guinness réunies et acte fondateur de la légendaire grève de Knysna

Le contre-exemple du CIES

Il semblerait que non. En effet, récemment le Centre International d’Etude du Sport (CIES), basé à Neuchâtel et connu également pour ses pronostics aussi foireux que ceux des nombreux pseudo-remplaçants de Paul le poulpe, a publié un travail recensant le nombre de fautes commises par chaque équipe dans 35 championnats européens. Et ce rapport est plutôt intéressant pour étayer ma présente dialectique. On y apprend notamment que la Ligue serbe doit se jouer avec des machettes et des chaînes de vélos puisque pas moins de 36 fautes sont sifflées en moyenne par match, la palme revenant aux poètes du FK Vojvodina qui compilent une moyenne de 23 fautes commises par partie ! Mais à l’autre extrémité, le podium du fair-play est composé de Silkeborg (DEN) et de Hambourg, qui entourent le vainqueur… Liverpool. Et lorsque l’on regarde le reste du classement, on découvre que la plupart des grosses écuries font partie des bons élèves, à l’exception des clubs italiens, du Real et du PSG, qui se trouvent plutôt dans la moyenne, voire dans les cancres pour l’Inter. Cela n’est globalement pas étonnant. D’une part les « grosses » équipes subissent davantage de fautes qu’elles n’en commettent, étant donné qu’elles ont généralement plus le ballon et sont théoriquement au-dessus techniquement, les petits se battant avec leurs armes. De plus, l’arbitrage est historiquement souvent un peu plus tolérant avec Goliath qu’avec David.

Mais de là à se dire que Liverpool est champion d’Europe de foot et du moins de fautes commises, cela interpelle quand même, surtout au vu de ce que nous disions auparavant. Lorsque l’on décortique le tout, c’est finalement assez logique. Liverpool joue en Angleterre, championnat où l’accent est mis sur la continuité du jeu et où les arbitres sont bien plus laxistes qu’en Europe du Sud, en témoigne la plus petite moyenne de fautes par matchs sur les championnats analysés (20,4). De même, les joueurs y cherchent traditionnellement moins la faute et le plongeon que dans d’autres ligues. De plus, le jeu de Klopp est orienté sur la jouerie et non sur le fait de commettre beaucoup de fautes. Si l’on ajoute à cela les avantages naturels d’être une grosse équipe, le résultat fait donc sens. Pour la petite histoire, les clubs suisses font à la fois un bon exemple et un excellent contre-exemple, puisque le plus fair-play est Bâle (ce qui est fort quand on a Stocker dans l’équipe) et le pire n’est autre que YB, et de très loin !

Alors, la faute dans le foot ?

Au vu de tout ce qui a été dit, il est difficile de tirer des conclusions concrètes et indubitables. Les fautes font partie intégrante du football, c’est un fait. Elles en sont même à mon sens une dimension tactique à part entière, avec tous leurs aspects (volontaires ou non, la gestion des sanctions qui en découlent, l’impact physique donné à un match, l’influence sur l’arbitre, etc.) Toute (bonne) équipe semble devoir avoir une part de vice et cela va dans le sens de la phrase « le foot est un sport de tricheurs », même si je pourrais écrire un autre article entier sur la triche dans ce sport. Cela dépend aussi énormément de la discipline et de la mentalité d’une équipe. Klopp ne cherchera jamais à détruire le jeu et impose un sens de la discipline impressionnant à ses joueurs, ce qui amène Liverpool à être leader européen de ce classement mais ne l’empêche pas de commettre tout de même plus de huit fautes par match, ce qui n’est pas rien non plus. Pour résumer, la faute est indissociable du foot et de n’importe quelle équipe et a plusieurs utilités. Le plus difficile dans la gestion de cet aspect semble être de savoir faire la faute nécessaire au moment opportun pour sauver son équipe. Cela n’arrive pas si souvent. Et c’est probablement la raison pour laquelle on en parle autant quand cela arrive. Et personnellement, je préfère un joueur qui fait gagner son équipe en faisant une faute, même polémique, qu’un tennisman qui se vante de gagner l’Open d’Australie grâce à un medical time-out alors qu’il n’est pas blessé.

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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