Monuments du printemps 2022

Entre la convalescence interminable de Federer, la croisade en Ukraine de Poutine et la réélection sans opposition de Macron, ce début d’année 2022 semble aussi excitant que la fin de saison du Paris St-Germain. Le sport cycliste ne déroge pas à la règle. De Milan-San Remo courue le 19 mars à Liège-Bastogne-Liège bouclée le 24 avril, les quatre premiers Monuments de la saison viennent de rendre leur verdict. Plombé par l’ennui, je me suis quand même efforcé à les relater.

Milan-San Remo (19 mars 2022)

Après 293 kilomètres de course, Matej Mohoric montre sur la Via Roma sa tige de selle télescopique qui vient de lui permettre de remporter la Classicissima. À la limite de la rupture dans la montée du Poggio où tout se joue traditionnellement, le Slovène parvient à rentrer au début de la descente sur le groupe de favoris. Alors qu’il reste moins de cinq kilomètres, il descend sa tige de selle pour abaisser son centre de gravité et mieux virer dans les dernières courbes menant vers San Remo. Le coureur de la Bahrain Victorious manque par deux fois de tomber mais conserve deux secondes d’avance sur la ligne d’arrivée sur le Français Anthony Turgis, se prenant la tête de rage sur la photo, et le Néerlandais Mathieu van der Poel, troisième dans le fond dès sa course de rentrée. Sur la Riviera ligure, beaucoup de coureurs crient au scandale avec cette nouvelle innovation technologique. Mohoric a pris tous les risques, manqué de partir deux fois au tapis, mais c’est bien lui qui remporte le premier Monument de sa carrière au nez et à la barbe de tous les cadors restés quant à eux prudents dans la descente. Lorsque Tadej Pogacar et Primoz Roglic se ratent, un troisième Slovène prend donc la relève. Comme Pogacar chez UAE et Roglic chez Jumbo, Mohoric appartient lui aussi à une équipe sulfureuse, la Bahrain Victorious, où tout le monde marche étrangement bien depuis deux ans. Il ne manquait plus que cette tige de selle télescopique pour basculer dans la suspicion totale.

Tour des Flandres (3 avril 2022)

La vague de froid qui traverse l’Europe en ce début de mois d’avril rend le deuxième Monument de la saison encore plus difficile qu’à l’accoutumée. De retour à la compétition depuis seulement quinze jours et son podium inespéré à San Remo, Mathieu van der Poel a remporté entre-temps une étape de la Semaine internationale Coppi et Bartali et la semi-classique À travers les Flandres. Il se présente au départ d’Anvers en grand favori suite au forfait de dernière minute de son ennemi de toujours, un certain Wout Van Aert. Mais un autre homme fort se dresse sur la route du Néerlandais en la personne de Tadej Pogacar. Non content de régenter le Tour de France et les différentes courses par étapes d’une semaine auquel il prend part depuis deux ans, le numéro 1 mondial s’essaye maintenant sur les Monuments. Il a déjà décroché Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie l’an passé. Mais de là à briller sur les pavés du Nord de l’Europe, il y a évidemment un monde. Le jeune Slovène est pourtant le plus fort du Ronde dès sa première participation. Seul van der Poel parvient à le suivre dans le Vieux Quaremont lorsque Pogacar démarre au plus fort de la pente. Réputé moins bon finisseur que Van der poel, le Slovène joue avec les nerfs du petit-fils de Raymond Poulidor dans le dernier kilomètre menant à Audenarde. Dylan van Baarle et Valentin Madouas n’en demandaient pas tant. Ils enferment astucieusement Pogacar au sprint pour terminer second et troisième derrière un MVDP intouchable dans son dernier souffle. Le Néerlandais remporte là son deuxième Tour des Flandres après 2020 contre Van Aert et efface son cuisant échec de l’an passé face à Asgreen.

Paris-Roubaix (17 avril 2022)

Les élections présidentielles en France ont repoussé l’Enfer du Nord d’une semaine, comme pour mieux nous signifier que la politique passera toujours avant le sport chez nos chers voisins français. Cela change légèrement la donne puisque la date de l’Amstel Gold Race a été intervertie avec celle de Paris-Roubaix en ce printemps 2022. Sur l’Amstel comme sur la Flèche brabançonne trois jours plus tard, l’équipe Ineos domine la course grâce à son collectif, et ce malgré l’absence de grand coureur de classiques dans ses rangs. Elle récidive vers Roubaix en faisant péter la course bien avant son entrée sur les secteurs pavés. Avec toujours un coup d’avance, la formation britannique envoie Dylan van Baarle vers un sacre inespéré en solitaire sur le fameux vélodrome. Coureur sous-côté et mal utilisé (Ineos le cantonnait jusqu’alors dans un rôle d’équipier sur les Grands Tours), van Baarle réalise la course de sa vie quinze jours après sa deuxième place sur le Tour des Flandres. Derrière, le duel tant attendu entre Mathieu van der Poel et Wout Van Aert n’a pas lieu puisque le Néerlandais, éreinté par une longue campagne de classiques, craque dans le final. Van Aert, à peine rétabli du COVID, finit quant à lui deuxième de ce Paris-Roubaix devant notre meilleur Suisse, Stefan Küng, qui décroche là son premier podium sur un Monument. L’Enfer du Nord vient d’ailleurs conclure le meilleur printemps de la carrière du Thurgovien (3ème du Grand Prix E3, 6ème de À travers les Flandres, 5ème du Tour des Flandres, 8ème de l’Amstel Gold Race avant sa 3ème place sur Paris-Roubaix).

Liège-Bastogne-Liège (24 avril 2022)

Romain Bardet vient de regagner une course par étapes, le Tour des Alpes, neuf ans après le Tour de l’Ain à ses débuts chez les professionnels. De son propre aveu, l’Auvergnat confesse là réparer une anomalie. Alors qu’il est sur le point de se replacer au centre de l’échiquier sportif, sa victoire est pourtant éclipsée le même jour par le retour en grâce de son pire ennemi, un certain Thibaut Pinot, vainqueur de la dernière étape de ce même Tour des Alpes, 1007 jours après son dernier succès sur les pentes du Tourmalet lors de ce maudit Tour de France 2019. Bardet vit logiquement mal le fait que Pinot reprenne de la lumière à sa place. Alors quand le peloton de ce Liège-Bastogne-Liège s’écrase dans une descente impressionnante à 80 km/h, Bardet le cycliste redevient Romain le philosophe en abandonnant la course pour venir secourir son compatriote Julian Alaphilippe et ouvrir ensuite un débat enflammé sur la sécurité des coureurs. La stratégie est payante puisque la presse s’intéresse de nouveau à lui (il fait même la une du journal l’Équipe deux jours plus tard) comme du temps de ses grandes années chez AG2R. Avec deux côtes cassées, une omoplate brisée et un pneumothorax, Alaphilippe conclut quant à lui sur la Doyenne un printemps pourri marqué par trois grosses gamelles. Cela n’émeut guère son jeune coéquipier Remco Evenepoel qui laisse tout le monde sur place dans la côte de la Redoute pour l’emporter à Liège avec près d’une minute d’avance sur tous les favoris. Premier Liège-Bastogne-Liège et première victoire autoritaire sur un Monument pour celui qu’on surnomme le nouveau Merckx. Après une difficile campagne de classiques, la Quick-Step sauve donc in extremis son printemps dans les Ardennes belges.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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