Le discours d’un Roy

C’est fou comme le statut d’une personne peut différer selon le prisme avec lequel on regarde ce qu’elle a accompli. En lisant cela, vous pouvez penser que l’on parle de certains hommes d’État, héros pour leurs compatriotes, tarés finis pour les autres. Ou qu’on va partir dans une diatribe philosophique. Mais ne partez pas ! Il va être question aujourd’hui de s’attarder sur le mythique Roy Hodgson : véritable légende nationale pour tout fan suisse de plus de 30 ans, loser sénile pour le reste du monde.

Car oui, le 21 mars dernier, nous apprenions que le brave Roy sortait de sa retraite pour reprendre les rênes de Crystal Palace, à bientôt 76 ans. Et dire que, pour certains, il est inconcevable de travailler après 62 ans… Il s’agit là pour Hodgson de son 23ème (!) mandat à la tête d’une équipe. Une carrière d’entraîneur débutée en Suède, alors qu’il n’avait que 29 ans… En 1976 !

Petite mise en contexte

Pour resituer un peu cela, quand Roy a commencé à coacher, l’homme n’avait marché sur la lune que sept ans auparavant. Le PSG n’était même pas âgé de 6 ans. Le monde était en pleine guerre froide, Berlin était coupée en deux et pour longtemps encore. L’Argentine vivait le tout début de sa dictature militaire alors que la peine de mort était encore en vigueur en France. « Où sont les femmes » de Patrick Juvet n’est même pas encore écrit, AC/DC joue ses premiers concerts ailleurs qu’en Australie et le Paléo vit sa première édition devant un peu plus de 1800 personnes massées dans la salle communale de Nyon. Côté sport, le HC Langnau est champion de Suisse en titre et Bernhard Russi manque de peu le titre olympique de descente face à Franz Klammer. Ni Servette ni le LS n’ont encore fait faillite et Lucien Favre n’est même pas encore joueur de foot. Au niveau de CR, la plupart des rédacteurs actuels sont loin d’être de ce monde. Et pourtant, Roy commence sa carrière de coach qui ne traversera pas moins de six décennies différentes.

Et c’est peu dire que le vieux Roy en a vu, des choses, dans son interminable carrière. Comme dit plus haut, Hodgson a commencé jeune à entraîner. Principalement parce que, comme joueur, il était nul. Au point d’aller jouer en Afrique du Sud. C’est donc comme cela qu’il se retrouve à coacher Halmstads en Suède. Qu’il mènera d’ailleurs à deux titres de champion national, les deux premiers de l’histoire du club ! Il poursuivra ensuite sa moisson nordique, empochant également plusieurs trophées lors de ses aventures à Örebro et surtout à Malmö, entre 1980 et 1989. Profitez, ce seront ses derniers trophées avant 2001.

Création du mythe en Suisse

En 1990, Roy, alors âgé de 45 ans mais disposant déjà d’une solide expérience, débarque à Xamax, alors en pleine bourre. Avec le club Neuchâtelois, Hodgson ne gagnera rien mais fera vivre à la Maladière quelques-unes de ses plus belles soirées européennes, parmi lesquelles une branlée infligée au Celtic Glasgow et une victoire 1-0 face à l’immense Real Madrid. La réputation du natif de Croydon est faite et, en 1992, il devient le 20ème sélectionneur de l’histoire de la Nati. Une Nati alors en pleine reconstruction mais bourrée de talents, puisqu’elle compte en son sein les Alain Sutter, Adrian Knup, Marco Pascolo, Alain Geiger ou encore Ciriaco Sforza. Et c’est sous la houlette du brave Roy que la Nati se qualifiera pour la World Cup 1994, éliminant au passage le Portugal et l’Écosse, excusez du peu. Pour resituer un peu l’exploit, il s’agit de la première participation de l’équipe de Suisse au Mondial depuis… 28 ans !

Et non contents de leur épopée américaine, Hodgson et ses boys repartent conquérants et se qualifient avec brio pour l’Euro 96 en Angleterre, le pays d’origine du sélectionneur. De nouveau, on va replacer ce que cela signifiait à l’époque : il s’agissait tout simplement de la première qualification de la Suisse à une phase finale européenne. Un exploit absolument majuscule. Mais de manière surprenante, ce n’est pas Hodgson qui va mener son équipe à Wembley, mais le tristement célèbre Artur Jorge. La raison ? L’Anglais a accepté quelques mois auparavant une offre de l’Inter Milan. C’est con, on a loupé de peu un duo Roy-Artur à la tête de l’équipe Suisse. Quoi qu’il en soit, pour ces trois ans plein de succès à la tête de la Nati, le natif de Croydon est vu depuis nos contrées comme un héros, une des figures du renouveau du foot helvétique ces 30 dernières années (au même titre que Credit Suisse, dont la chute fut encore plus violente), un vrai Roy-mage.

Ce n’est pas une image tirée de la saison 8 de Top Models.

Mais pas de confirmation ailleurs

Mais alors, comment se fait-il que lorsqu’on parle du vieux Roy à un fan anglais, celui-ci se marre ? Tout simplement parce qu’après ses expériences en Suisse, Hodgson n’a jamais vraiment confirmé ni passé de cap. En fait, durant les trois décennies qui ont suivi, le coach donne l’impression d’être trop bon avec ses petites équipes, mais trop léger pour amener ses grandes au sommet. Si on illustre un peu ces propos, Roy a entrainé l’Inter, Liverpool et l’équipe national anglaise, expériences qui se sont à chaque fois terminées par des échecs cuisants. Entre ces mandats, il a aussi notamment pris en charge le FC Copenhague, Fulham, West Bromwich et Crystal Palace, avec lesquelles il a clairement surperformé au vu de ses effectifs – on parle quand même d’emmener en finale de Coupe UEFA un Fulham dont les stars sont Bobby Zamora, Mark Schwarzer et Damian Duff hein -. On ne s’attardera pas ici sur ces piges un peu bizarres, comme celles à la tête du Viking Stavanger, de la Finlande ou surtout avec l’équipe nationale des Emirats Arabes Unis, qu’il ne dirigera que pour deux matches, juste assez pour dire qu’il voulait être le Roy du pétrole.

Mais il reste un constat, implacable, qui nous empêche même d’être plus royaliste que le Roy : Hodgson n’a pratiquement jamais rien gagné. Que ce soit avec des petites ou surtout avec de grosses équipes. Son dernier trophée est un championnat du Danemark (même s’il a certainement eu quelques coupes Danemark depuis) en 2001… Pour tout palmarès, le vieux Roy ne compte que 8 trophées (4 D1 suédoises, 1 D2 suédoises, 2 Coupes de Suède et donc 1 championnat du Danemark). En presque 50 ans de carrière, faut-il le rappeler. C’est quand même bien maigre quand on a coaché aussi Liverpool et l’Inter…

Et c’est sûrement ça qui fait rire, ou qui agace, dans le Royaume. Hodgson est l’archétype du (très) vieux coach anglais, au jeu pas toujours chatoyant, qui a fait le job dans des petits clubs mais n’a jamais eu de vrai grand succès. Ajoutez à cela un flegme très britannique, un look de vieux hibou, un accent cockney à couper au couteau et vous obtenez un peu une carricature de coach qui n’arrive pas ni à se renouveler ni à dire stop. Et c’est pour toutes ces choses, et pour son expérience désastreuse avec les Three Lions, que Hodgson n’est depuis longtemps plus pris au sérieux en Angleterre.

Roy est au maximum de son agacement sur cette photo. Il s’en est fallu de peu pour qu’il ne lève pas le petit doigt en buvant son thé.

Alors, quand on a appris qu’il sortait de sa retraite pour reprendre ce qui se rapproche le plus de son club de cœur, Crystal Palace, à la suite du départ de Patrick Vieira, le Royaume a rigolé. Car, comme le disait Albert Einstein, « deux choses sont infinies : l’univers et la carrière de Roy Hodgson. Mais en ce qui concerne l’univers, je n’en ai pas acquis la certitude absolue. » Longue vie au Roy !

 

Crédits photographiques :

Image de tête: Олег Дубина/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roy_Hodgson_Euro_2012_vs_Italy.jpg 

Hodgson jeune : Swissair/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roy_Hodgson_%28LBS_SR04-033939%29.jpg

Le vieux hibou : Mikhail Slain/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:RoyH.JPG 

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

Commentaires Facebook

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.