11ème pays : l’Irlande

Le pays qui s’était fait voler sa qualification à la Coupe du Monde par la «main de la honte» sera bien à l’Euro 2012, et c’est tant mieux. L’Irlande, c’est l’assurance de voir débarquer des milliers de supporters qui boivent, qui chantent et qui encouragent, quel que soit le résultat de leur équipe. Bref, tout le contraire des fans espagnols ou italiens.

Pourquoi l’Irlande

Si l’Irlande, ou l’Eire pour être absolument précis, n’est que très rarement la terre promise pour les amateurs de football du monde entier tant son championnat est d’un niveau médiocre et suscitant relativement peu d’engouement populaire, son équipe nationale a, elle, de quoi faire rêver tout un chacun qui ne jure pas que par le physique des pseudos-stars estampillées FIFA ou des super-gominés d’opérettes. Non, là tu auras droit à de beaux rouquins boutonneux et à la dentition rongée par l’alcool.
L’Irlande c’est surtout le pays de la Beamish, de la O’Hara’s, de la Guinness et de la Murphy’s (dans l’ordre de préférence de votre rédacteur). Ces délicieux breuvages d’une couleur brunâtre et à la mousse onctueuse réveillent les sens et transportent les visiteurs dans une autre dimension. Dégustées dans des pubs d’un autre âge, au son entraînant des Pogues, des Dubliners, de U2, de Sinéad O’Connor ou des Corrs, vous vous laissez aller dans des rondes et des farandoles endiablées.
Et, si certes on parle de football et non pas de rugby, l’équipe nationale irlandaise c’est d’abord un hymne, le Amhrán na bhFiann (le Chant des soldats) qui, bien que malheureusement pas suivi du fameux Ireland’s Call symbolisant l’Irlande unie, est incontestablement avec le Flowers of Scotland le plus beau du monde. Quant à la Green Army forte de milliers de personnes tout de vert vêtus reprennent ce chant en chœur, c’est tout votre corps qui tremble. Si on ne gagne pas de matchs avec des chants, on y gagne assurément le respect.

Pourquoi pas l’Irlande ?

Parce que je me souviens encore du premier match de l’histoire de l’Irlande en Coupe du Monde, contre l’Angleterre dans le nouveau stade de Cagliari en 1990, qui m’avait tout de suite fixé sur les qualités inoubliables de cette équipe : un triste 1 à 1, avec un «kick and rush» des plus rudimentaires, un festival ennuyeux de longues balles balancées dans le vent et un jeu physique sans jouerie ni talent. Et dire que cette sélection de l’Eire de Charlton est considérée comme la plus belle de l’histoire du foot irlandais.  
Alors ajoutez à ces caractéristiques qui trouvent sans doute leurs origines dans la finesse du football gaélique le système défensif à l’italienne mis en place par le prodige du catenaccio Giovanni Trapattoni, et vous comprendrez à quel point le spectacle présenté par cette équipe est désolant. L’entraîneur italien est en effet aussi doué pour favoriser un jeu créateur que pour apprendre les langues étrangères, imposant son 4-4-1-1 rigide et peu flexible, tout en écartant de l’équipe les quelques éléments qui auraient pu apporter un semblant de dimension créative, comme les illustres Andy Reid, Anthony Pilkington ou Wes Hoolahan.
Le résultat de tout cela, c’est que les Irlandais sont «schwach wie eine Flasche leer», pour utiliser une expression chère au Trap.

Fais-nous rêver avec un souvenir du foot irlandais !

C’est entre 1990 et 1994 que les Boys in Green, entraînés par Jack Charlton, frère du légendaire Bobby, ont réalisé leurs plus belles performances en atteignant successivement les quarts puis les huitièmes de finale des deux Coupes du Monde en Italie puis aux Etats-Unis. Emmenés par des joueurs emblématiques comme le gardien Pat Bonner, Ray Houghton, Steve Staunton, Toni Cascarino ou encore John Aldridge, les Irlandais signèrent de retentissants exploits.
Au Mondiale 90, elle réussit l’exploit historique pour elle de parvenir jusqu’en quarts de finale sans avoir gagné de match. En effet, après trois matchs nuls au 1er tour contre l’Angleterre, les Pays-Bas et l’Egypte en ne marquants que deux buts, elle élimina la Roumanie en huitièmes aux tirs au but avant de se faire chichement sortir par le pays organisateur en quarts.
Quatre ans plus tard, c’est une équipe plus entreprenante qui parviendra en huitièmes de la World Cup américaine avec notamment une victoire hautement symbolique face à l’Italie à New York, véritable fief des deux communautés immigrées, et une élimination face au futur finaliste batave malgré une partie brillante des joueurs au trèfle.

Faites-nous rire avec un souvenir du foot irlandais !

Lorsque l’Irlande tombe exceptionnellement sur un joueur talentueux, ils font en sorte de l’exclure du tournoi avant même que celui-ci n’ait débuté, comme lors de leur dernière grande compétition, en Corée en 2002. Bon, Roy Keane avait traité son entraîneur de «branleur», et ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Mais c’était simplement qu’il en avait marre de l’éternelle mentalité irlandaise sympa-une-défaite-honorable-on-peut-aller-boire-une-bière.
Ce qui avait provoqué une grande polémique, non pas entre catholiques et protestants (au bout de plusieurs siècles ça devient lassant), mais entre la «New Ireland» du boum économique qui voulait réintégrer son capitaine pour maximiser les chances de son pays, et «l’Old Ireland» des valeurs traditionnelles, qui affirmait que le respect de l’entraîneur était sacré et que l’équipe était plus importante que n’importe quelle individualité. Ces derniers ont prévalu, l’honneur était sauf, et les Irlandais ont pu rapidement aller boire des Guinness après une enième élimination honorable.

Pourquoi l’Irlande va être championne d’Europe

Le 18 novembre 2009 au Stade de France, en barrages qualificatifs pour la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, une des plus grandes injustices de l’histoire du ballon rond eut lieu. Un but scandaleusement  accordé à la France malgré une flagrante faute de main de Thierry Henry empêcha l’Irlande de rejoindre la phase finale et qualifia les Bleus qui se firent remarquer de brillante manière quelques mois plus tard du côté de Knysna.
Victime à la fois du joueur le mieux payé de Major Soccer League, de l’arbitre suédois Martin Hansson et de la FIFA, préférant ne pas faire rejouer le match et risquer voir l’Irlande et son petit marché prendre la place de la France, c’est une équipe avide de vengeance qui est née ce jour-là et qui est prête à réparer cette injustice sur le terrain et gagner cet Euro.
Portée par des milliers de fans bruyants, fiers et alcoolisés et souvent considérés, à juste de titre, comme les supporters les plus fidèles du monde, l’Irlande va être la surprise de la compétition et les bookmakers n’auront plus qu’à payer les pronostiqueurs avertis qui auront vu qu’un vainqueur potentiel figure derrière cette équipe de bras cassés.

Pourquoi l’Irlande va se vautrer lamentablement au premier tour ?

Parce qu’en définitive, l’Irlande, par son jeu basé sur un verrou défensif, son manque de talent et d’imagination ainsi que son absence de toute créativité offensive (sa seule chance de marquer étant une contre-attaque chanceuse ou une balle arrêtée), ressemble étrangement à l’équipe de Suisse de la Coupe du Monde 2010.

Comment l’Irlande va être championne d’Europe

En commençant son pensum contre la Croatie, l’Eire ne pouvait rêver meilleur calendrier. En effet, rien de tel qu’affronter une équipe trop dépendante de ses stars capricieuses Luka Modric ou Ivica Olic. Face à un adversaire sans véritable gardien titulaire et avec une défense apathique et plus que perméable, Robbie Keane et consorts se feront un plaisir d’exploser l’équipe aux carreaux et une marée verte sans précédent retournera Poznan dont les bars seront en rupture de stock.
La rencontre face à l’Espagne à Gdansk, quatre jours plus tard, face à la lancinante Roja permettra aux locaux de revivre près de trente ans plus tard la révolte du mouvement Solidarnosc contre le gouvernement en place. La petite Irlande, sans complexe, ne se laissera pas embobiner par le jeu à soixante touches de balle des Espagnols et s’imposera grâce à un bon vieux kick and rush des familles. Vexés d’avoir été battus par des joueurs évoluant à Wolverhampton, West Brom’ ou Stoke City, les stars du Real et du Barça en viendront aux mains entre eux et seront exclus de la compétition.
La dernière rencontre du premier tour contre la Squadra Azzura ne sera qu’une formalité pour les hommes entraînés par Giovanni Trapattoni. En appliquant un catenaccio dont il a le secret, ce vieux sage qu’est le Trap’ fera voir des misères à Balotelli & cie et l’Irlande finira première du groupe.
Eliminant successivement la France en quarts grâce à un but du pied et non de la main, puis des Pays-Bas pour une revanche de la World Cup, ils s’imposeront en finale contre la Perfide Albion qui se permet en toute impunité et contre toutes les règles du droit international de maintenir une présence militaire sur l’île verte.

Comment l’Irlande va se vautrer lamentablement au premier tour ?

L’«Old Ireland» est ravie du tirage au sort : la Croatie, l’Espagne et l’Italie, trois adversaires catholiques sur le sol de la patrie de Karol Wojtyla – alias Jean-Paul II – à qui d’ailleurs l’équipe d’Irlande au complet avait rendu visite lors du Mondiale 90. Quoi de mieux pour se faire sortir sans regrets au premier tour, comme lors de leur dernière et unique apparition à l’Euro, en Allemagne en 1988 ?
Par contre, la «New Ireland», qui espère aller plus loin, s’inquiétera du match qualificatif contre la Russie à Dublin, où les Russes, par leur style fluide et technique, avaient rapidement plantés 3 buts à des Irlandais embourbés comme des statues dans la rigidité de leur système. Or, en tombant d’abord contre la Croatie de Modric et à plus forte raison ensuite contre l’Espagne tenante du titre, qui pratique un jeu similaire aux Russes puissance 10, les Irlandais peuvent déjà commencer à creuser des tranchées, répandre l’eau bénite du Trap et espérer un miracle. De quoi se faire du souci et mettre déjà la bière au frais.
Maigre consolation, ils n’endureront pas les commentateurs de la RTS citant trente fois le modèle à suivre pour battre l’Espagne, soit notre équipe de Suisse 2010 et sa victoire exemplaire à Durban (la plus chanceuse de l’histoire, mais qui nous aura quand même permis d’aller klaxonner une fois dans notre vie).
Ainsi, au moment de la troisième rencontre contre l’Italie (dans un duel à consonance de rugby), les patates seront déjà cuites et la leçon de réalisme donnée par le maestro Trapattoni à son apprenti Prandelli sera aussi inintéressante qu’inutile.

Les forces de l’Irlande

Doux mélange entre la rigueur tactique du Trap’ et les qualités techniques intrinsèques de certains joueurs, cette équipe irlandaise semble avoir également conservé le formidable fighting-spirit, véritable marque de fabrique de la Green Army. Pas favorite dans ce groupe C relevé, elle pourra compter une fois de plus sur un formidable soutien populaire et sur une cote de sympathie importante du côté de l’opinion publique.
Face à trois équipes d’inspiration latine, le jeu tout en verticalité des Irlandais pourrait leur poser bien des problèmes. Il ne faudra donc surtout pas la prendre à la légère car son mental d’acier pourrait jouer des tours aux divas croates, italiennes ou espagnoles. L’expression se casser les dents pourrait ainsi se produire au propre comme au figuré car quand un John O’Shea ou un Richard Dunne décide de faire le ménage dans ses seize mètres, les attaquants adverses n’ont qu’à bien se tenir et à accepter le défi physique s’ils veulent ne pas se faire bouffer.
Avec en plus cet esprit revanchard consécutif à l’injustice de 2009, les adversaires des verts ne vont pas beaucoup rigoler, surtout s’ils se mettent à jouer la comédie ou à abuser de simulations et de réclamations. Le football irlandais, comme celui de ses voisins des îles britanniques, est un sport d’hommes où il n’y a pas de place pour la tricherie.

Les faiblesses de l’Irlande

En plus de tout ce qui vient d’être dit, parlons du fameux Luck of the Irish. Les historiens savent que les Irlandais ont en effet l’habitude, tant au niveau politique que sportif, d’avoir beaucoup de chance dans les moments cruciaux. En particulier lorsque, malgré leur déficit de talent, ils sont miraculeusement à la porte d’un exploit : il suffit de se souvenir de la rébellion républicaine de 1798, ou plus récemment de la double-main de Thierry Henri (même Maradona n’y est jamais arrivé) qui leur a barré la route vers l’Afrique du Sud en 2010. Ce fut le dernier épisode d’une  longue série de rencontres importantes où les Irlandais ont eu le coeur brisé, comme dans les matchs de barrage perdus contre la Hollande (1995), la Belgique (1997) et la Turquie (1999), lors de la défaite aux pénalties contre l’Espagne (2002) ou les dévastatrices 2ème places à l’Eurovision de la Chanson (1990, 1997).
Ainsi, nous verrons une fois de plus les fans de l’Irlande, malgré une élimination prématurée, se contenter de leur «malchance» habituelle et faire la fête de manière pseudo-exemplaire,  leur fair-play agaçant n’étant en réalité qu’une forme de prétention déguisée tout à fait insupportable. Mais ne savent-ils pas, comme le commun des mortels, que «winning isn’t everything, it’s the only thing» ?

Les joueurs irlandais qui vont illuminer l’Euro

Le gardien d’Aston Villa, Shay Given, recordman de sélections avec ses 122 capes avec l’Eire, fut le véritable héros de la campagne qualificative en sauvant maintes fois les siens. Loin de porter les stigmates d’une fin difficile avec Manchester City, il n’a jamais semblé aussi fort qu’à l’heure actuelle. Sans exceller dans un domaine particulier, il n’a néanmoins aucun point faible et ne commet quasiment jamais de boulette. Jouant à l’instinct, sentant bien les coups, il est sans doute le meilleur portier des îles britanniques à l’heure actuelle. Ce qui, je vous l’accorde, n’est pas un exploit mais tout de même !
Souvent considéré par les tabloïds anglais comme le Ryan Giggs irlandais, Damien Duff est le joueur le plus technique du pays. Véritable feu-follet passe partout, il est racé, vraiment agréable à voir jouer et parfait complément de Robbie Keane. Ces déboulés pourraient bien en faire voir de toutes les couleurs aux défenses adverses.
Toutefois, la vraie star de l’Irlande est incontestablement Robbie Keane. Le meilleur buteur de l’histoire de l’Eire est l’icône de la sélection au trèfle. Même s’il n’est plus le buteur fou qu’il a été à une certaine époque et s’il se sent souvent un peu seul à la pointe de l’attaque du système utra-défensif du Trap’, son sens du but et son amour sans faille pour le maillot vert en font un joueur fondamental ; il sera de nouveau attendu comme le messie par les milliers de supporters irlandais qui feront le voyage.

Quels joueurs irlandais vont faire rire l’Euro ?

Trapattoni ne cesse de citer le triomphe de la Grèce de 2004 comme inspiration pour son équipe. C’est vous dire à quel point il reconnaît lui-même les limites de tous ses joueurs. Et si, par les temps qui courent, on ne peut que se raccrocher à la Grèce en vue de l’Euro…
De plus, malgré l’avantage de pouvoir aller recruter des joueurs en Irlande du Nord, pour autant qu’ils soient nationalistes, ou dans tous les autres pays du monde, pourvu qu’ils aient un lointain aïeul irlandais, on est déçu de ne trouver dans la sélection des «Boys in Green» que seulement deux 0’ et trois Mc, avec un joli tir groupé d’un Shay, un O’Shea, un Sean et un Shane. Derrière cette bande de bosseurs dont les noms redoutables ne feront trébucher que Yannick Paratte, le gardien Shay Given tentera donc de sauver la baraque. Malheureusement et malgré ses qualités certaines démontrées à Aston Villa, il commettra les  bourdes habituelles qui caractérisent les gardiens d’Outre-Manche lors des grandes compétitions. Ironie du sort, le fer de lance et capitaine de l’équipe, s’appelle à nouveau Keane, Robbie cette fois, avec 54 buts marqués pour l’équipe nationale. Cependant, s’inspirant des exploits de son coéquipier David Beckham, le galactique de Los Angeles exploitera tout son talent pour se prendre un carton rouge controversé, mettant définitivement fin aux espoirs éveillés par la si prometteuse victoire lors du match de barrage contre… l’Estonie.

Le gage si l’Irlande sort au 1er tour ?

Si la roublardise des crevettes à l’ail ou de la Nazionale devait avoir raison du formidable état d’esprit du Shamrock, je m’engage à mettre le détestable God Save The Queen en sonnerie de natel jusqu’à la fin de l’Euro.

Ton gage si l’Irlande est championne d’Europe ?

Je chante trois chansons irlandaises, debout sur une table et habillé en vert, au pub lausannois de votre choix.  

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14 Commentaires

  1. Sympa… je m’attendais cependant à quelques lignes sur les drôles habitudes du Trap de traduire littéralement les expressions italiennes en allemand ou anglais, dont la fameuse « don’t say cat ». Un groupe irlandais en a d’ailleurs été fait une chanson qui remporte moult succès au pays vert

  2. Les Pays-Bas ont perdu en quart de finale 3-2 contre le Brésil en 1994. C’est l’Italie de Baggio et Baresi qui a fini en finale…

  3. Encore un super article, avec un mélange d’humour, passion, connaissances footballistiques poussées, rappels historiques et légère mauvaise foi. Vraiment une chouette série !

  4.  » (…) qui se permet en toute impunité et contre toutes les règles du droit international de maintenir une présence militaire sur l’île verte.  »

    TRES JUSTE!
    Éirinn chun an Ghaeilge

  5. @ BE

    Je me souvenais de cette phrase que j’avais trouvée magique mais ne savait plus d’ou elle venait…
    Merci pour le lien!

  6. @Manu et Karamazov

    meaculpa! J’ai confondu avec 98.

    Le quart de finale en 94 entre les deux equipes etait certainement le plus beau match de cette coupe du monde

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