Et 1 et 2 et 3 (fois) zéro

Que retient-on habituellement de Suisse – Ukraine en 2006 ? Une élimination décevante conclue par un triste record de zéro tir au but réussi. Ce fut malheureusement bien davantage que ça, ce que cette désillusion signifia pour l’humble supporter pris au dépourvu et le poids qu’elle eut dans la suite de l’évolution de l’équipe de Suisse.

Ce soir-là était spécial. Depuis 1994 et une grosse ramassée contre l’Espagne (je me souviens du titre d’un quotidien de l’époque qui résumait la chose par un «Zubizarreta tout»), la Suisse accédait à son premier huitième de finale de Coupe du Monde. Une promesse d’absolu : l’Ukraine s’était qualifiée de justesse et avec beaucoup de chance, l’engouement populaire était au top, et on pensait déjà au fait que l’on avait bien bousculé l’Italie en juin et qu’une demi-finale n’était pas inenvisageable. Les amis au téléphone, chez eux, nous disaient que le champagne était au frigo et, si l’on avait la chance d’aller au match, on nous rappelait de bien profiter «c’est pas tous les jours qu’on va assister à ça». Le problème c’est qu’on se trompait sur le «ça» et ce soir-là, on a réalisé que l’on était tombé de plus haut qu’on ne l’aurait pensé.A l’heure actuelle, certains continuent de considérer que la Suisse de 2006 était une des meilleures équipes que l’on ait jamais eue. Le contexte de l’époque a considérablement troublé les esprits. L’engouement populaire n’avait pas été autant important depuis si longtemps. La phase de qualification avait été marquée par l’émergence de jeunes joueurs prometteurs, d’ambiances mythiques en Irlande et contre le voisin français, et surtout par un barrage héroïque contre la Turquie dans le contexte que l’on sait.

Mais il est toujours plus difficile de se remettre en question dans l’euphorie. Et surtout lorsque l’on se voit sans doute un peu trop beau. On ne pensait pas au fait que, dans la phase qualificative, la Suisse n’avait jamais battu ses adversaires directs, qu’elle s’était qualifiée pour les barrages grâce à la différence de buts, en finissant à égalité de point avec Israël et que la double confrontation avec la Turquie s’était tout de même conclue par une défaite en prenant quatre buts. On se cachait également derrière une première place de groupe de poule pour ne pas admettre le fait que l’on avait toujours pas saisi l’occasion de battre la France, que l’on avait obtenu une victoire vraiment chanceuse contre le Togo, sans doute l’équipe la plus faible de la compétition, et que la Corée du Sud répondait exactement à la description qu’en avait fait le quotidien anglais The Guardian qui, dans son cahier consacré au Mondial, comparant chaque équipe à une paire de chaussure, avait choisi les pantoufles pour définir les ex-organisateurs, «à l’aise à la maison, mais pas terrible une fois dehors».
Mais, certes, se plonger dans la bataille avec un esprit chagrin est absurde et il était normal de se rendre à ce huitième en se réjouissant. Ceux qui ont déjà eu l’occasion de voir le stade de Cologne seront d’accord pour dire que l’enceinte est impressionnante par l’immense espace qui l’entoure et sa hauteur qui donne l’impression qu’elle peut accueillir davantage de spectateurs que la contenance affichée. En tous les cas, c’est un lieu qui prête à de grandes soirées de foot, des soirées telles que celle-ci promettait de l’être. Premier détail amusant, la foule de supporters français présomptueux qui avaient pris de l’avance dans l’achat de billets pour suivre leur huitième vu que l’équipe de Zidane devait finir première de son groupe. Seulement voilà, c’est la Suisse qui avait remporté le groupe et, au lieu d’une folle soirée de suspense, les fans des Bleus se retrouvaient à une grande kermesse de vente de billets au noir aux abords du stade. Ceux qui n’avaient pas réussi à revendre leur tickets étaient condamnés à suivre ce match en tirant la tronche.
Evidemment, l’ambiance de folie de Dortmund et du match contre le Togo ne pouvait pas se reproduire  (d’autant plus quand le stade est rempli de Français peu concernés) mais le public rouge et blanc s’efforçait tout de même de recréer la même dynamique que l’on avait pu voir à Berne quelques mois avant. Cependant, on sentait chez le supporter lambda une once de nervosité et de pression qui empêchait une complète euphorie. Comme si l’importance du moment, soudain, était plus lourde à porter. Le début des ennuis était bien là. En effet, cette lourdeur, cette pression était exactement la même pour l’équipe de Vogel et leurs adversaires.
Et c’est ce qui nous donna le spectacle qui se déroula pendant plus de deux heures sous nos yeux, un moment auquel on ne s’attendait pas. Oui, car cela ne fut jamais le flamboyant combat héroïque dont on se réjouissait auquel on assista. Ce fut plutôt une incroyable plaie de football, un incompréhensible affrontement d’enfants tétanisés par la peur, bref, un match qui donnait envie de boire de la Javel.
Pire que l’angoisse de perdre, un sentiment de honte nous envahit. Celui de réaliser qu’on assiste sans doute à un des matchs les plus chiants de la Coupe du Monde. On en arrive même à avoir de la compassion pour les fans de football non Suisses et non Ukrainiens qui, en amateurs honnêtes, se sont forcés à regarder ce soporifique spectacle. Et il devint de plus en plus compliqué d’enchainer les «Hop Schwiiz» et autre «Schweizer Nati Olé».
Un journaliste de L’Equipe se demandait le jour suivant «pourquoi la Suisse n’a-t-elle soudain plus su attaquer ?».  Cette question d’un voisin neutre cachait le fait que l’équipe nationale ne l’avait peut-être jamais vraiment su. Il était, en tout cas, difficile d’envisager le contraire ce soir du 26 juin 2006. A part une latte de chaque côté, il y eut autant d’actions exaltantes que l’on compte de pucelles dans une maison close.

Puis il y eut les prolongations qui, sur le coup, auraient plutôt mérité le nom de «prolongements», comme celui d’un supplice. On n’en retient rien à part les vaines gesticulations de Magnin qui cherchait encore à garder l’enthousiasme du public.
Les tirs au but furent une métaphore parfaite de l’idée qu’un exploit ne signifie pas que le plus dur est fait. L’exploit, c’était l’incroyable et inattendu arrêt de Zubi devant Shevchenko, le tout premier tireur. On n’en revenait pas, c’était déjà bon. Mais voilà, Streller, Barnetta et Cabanas nous montrèrent en quelques minutes à quel point la Suisse manquait d’expérience. Sans parler de la panenka de Milevsky qui enfonça le clou comme pour donner un message de la part des Ukrainiens du style «ah non pour nous c’était easy, vous étiez nerveux vous ?».
C’est là que les ennuis commençaient. Surtout lorsque Köbi Kuhn, pendant deux ans épargné de toute critique, mit l’allume-feu dans son fourneau à polémiques en sortant Frei juste avant la fin des prolongations. Plus qu’une élimination de la Coupe du Monde, c’était un prémice du catastrophique Euro à la maison qui se profilait. Parce que tout ce qu’on croyait acquis du haut de notre naïveté était parti en lambeaux. Il ne restait plus qu’à marcher bêtement en direction du tram, la tête basse avec le sentiment qu’un chapeau ridicule de supporter devient encore plus ridicule quand on a perdu. Dans les rues, on pouvait faire une collection de bonhommes en maillot rouge en position fœtale qui n’avaient pas eu le mauvais goût de s’attendre à ça. Si on pouvait remonter le temps, on se contenterait de leur dire pour leur remonter le moral : «Ne t’en fais pas, dans quatre ans la Suisse battra l’Espagne !». Mais on passerait tout le reste sous silence…

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7 Commentaires

  1. Merci de bousiller ma journée. Ce match de merde m’a fait passé la nuit de mon anniversaire dans un camping car avec une ambiance aussi festive qu’une émission avec Jean-Marc Richard de Cologne au canton de Vaud sans la moindre halte. Je ne peux que confirmer ton malheureusement très juste texte.

    Si on s’était attendu à ça lorsque nous étions 100’000 dans les rues de Dortmund dans les fontaines fumi en main à 1h du matin ou la veille de ce match dans les pubs et disco de Cologne.

    Bref, t’as bousillé mon lundi. 🙂

  2. Ah… je m’en rappelle comme si c’était hier… Je m’étais même pété le pied de rage à la fin de ce match…
    Ah, ce penalty de Streller…

  3. Je me souviens que même Alan Shearer pourtant si réservé d’habitude dans ses commentaires sur la BBC se lacha apres ce non match: ‘thanks God this match is over…!…

    Bon faut dire que les Ukrainiens n’avaient rien fait pour contribuer au spectacle non plus….

  4. Ah là là, et pourtant… Zubi qui arrête le penalty de Shevchenko, c’était jouissif… La Nati avait eu un bol assez indécent pour arriver à ce stade-là de la compétition, et à ce moment-là on a tous cru que le rêve allait continuer… Fail.

  5. Bien triste souvenir que ce non match. Ce que je n’ai jamais compris c’est le manque total d’envie, d’allant, de prise de risque. J’aurais vraiment préféré que l’on en prenne 3 en jouant au football.

  6. J’y étais….
    En signant un soir de mars dans le bar à côté de l’Ilfis ma présence éventuelle au RheinEnergie Stadion pour le huitième de final, je ne présageais pas tant de joie au moment de prendre la route en ce lundi matin de juin mais pas tant de tristesse..

    Wir fahren nach Köln! en réponse à une roumaine qui faisait du stop devant la carrosserie! Pas à la pièce, on l’embarque jusqu’au Campanile pour prendre le café du matin en attendant le 4ème larron qui avait oral d’allemand pour le Bac!
    Quand celui-ci sort du bâtiment A avec le maillot prêt sur homme, le sourire est bloqué pour la matinée!! 6h de trajet nous disait Viamichelin, on en a bien gagné 1 ou 2…! Faut dire que la focus fonçait sur les autoroutes allemandes quand on croisait les Oranjes rentrer déjà chez eux!!
    Franz avait fait du bon boulot, on se disait en arrivant au parking! facile d’accès, bien indiqué, de la place, les plaques minéralogiques suisses se succèdent pour se garer et ouvrir le coffre! Maquillage néocolor sur les joues, chapeau, maillot, écharpes… et les billets Voucher Follow your team!
    Joli parc à traverser pour accèder au stade, premiers français croisés… On en rigole un peu encore… On fait un premier tour de stade et se rend compte d’aucune billeterie pour changer notre ticket.. On ne le savait pas, mais c’était un prémisse aux prochaines déconfitures… On a du prendre un tram, construit pour l’occas?, pour aller échanger les Voucher dans un container à la sortie de la ville… Dans le fameux Team Ticket Point..- De retour aux abords du stade, on remarque la rougeur de l’endroit! C’est beau! On a le temps de prendre des bières et de commencer les chants!
    Puis, le néant… 2 lattes certes, mais rien d’autres à raconter.. Ah si, Djourou se blesse et on doit utiliser le 4è défenseur central. à savoir Grichting, pour continuer l’aventure.. Puis, le changement de Frei… qui ne changera rien pour les 3 minutes de prolongations qui restaient..
    Pénalties.. Le copain pilote, intériste à souhait, nous fait remarquer que Sheva tire en bas à gauche à l’AC. Zubi le sait, et se détend sur son côté droite.. juste devant nous!
    La fraise retrouve la banane… Alex aurait dû s’avancer et tirer petit filet gauche comment au Sükrü Saraçoglu, mais Köbi l’avait fait venir boire à la gourde avant les 3 coups de sifllet.. Marco s’en vient.. connaît le stade et le terrain vu que c’est son club.. tourne sa langue.. et lance la débâcle…. Quillo touche du bois, Ricardo oublie de frapper et on s’affale sur le sièges..
    Reste le Goodbye sur l’écran quand on quitte le stade.. le type qui attend devant le stade à la sortie avec une pancarte: « I need ticket¨ » D’où la sortie du futur bachelier:  » I need ticket, I need ticket… I need tireur de pénaltie, ouais.. » Sourire… Errant dans les rues, on décide de se remémorer cette campagne en allant manger en Kebab dans les rue de Cologne, qui n’en manquent pas! Pas vraiment en sécurité, on se presse d’avaler et de filer nulle part… On retrouvera notre voiture dans le parking après des palabres sur qui devaient tirer ces pénalties… Wicky, Vogel, Magnin, Grichting et Müller.. On s’endort en se disant qu’avec eux on aurait pas perdu…

    Fenêtre de l’avent triste, histoire maintes fois narrées, mais on se dit toujours qu’on a manqué le quart de final contre l’Italie qui devait écrire l’Histoire du foot helvétique…

    RDV au Brésil!

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