Otto le soldeur

Vous avez aimé Ocean’s Eleven ou L’Ultime Razzia de l’immense Stanley Kubrick, vous avez dû adorer le casse du siècle réalisé par la troupe d’Otto Rehagel lors de l’Euro 2004 au Portugal. Pour tous ceux qui préfèrent aux bons films d’action les vieux navets pourris et sans saveur, vous avez forcément apprécié cette peu enthousiasmante prestation hellénique. Si au contraire, vous êtes plutôt fans des comédies burlesques à la Jim Abrahams ou David Zucker, vous avez également dû vous extasier devant cette parodie de football présentée par le Bateau pirate (To Piratiko en v-o). Enfin, si vous êtes plutôt des cinéphiles pointus, amateurs de casse-têtes made by Jean-Luc Godard, vous avez aussi dû vous arracher les cheveux en essayant de comprendre où pouvait bien vouloir aller cette équipe en présentant un tel schéma de jeu. En fait, tout le monde a été ravi. Non ?

Non. Clairement. Pourtant, une équipe qui sort l’Espagne en poule, bat deux fois le Portugal chez lui et qui talque la France en quarts devrait entraîner un capital sympathie hors du commun auprès de tout supporter de foot et faire lever les foules comme jamais. Mais là non. Franchement, il y a un pas que peu ont réussi à franchir au-delà d’avoir bouté leurs victimes hors de la compétition. Même si l’exploit est énorme. Même s’ils l’ont mise à tous leurs adversaires et même si on ne pourra jamais leur enlever ce titre que bien des nations leur envient, c’était quand même bien dégueulasse. Presque aussi laid qu’une finale Murray-Djokovic ou qu’une photo de Zhou Lulu nue.

Débarqué au match d’ouverture face à l’hôte portugais à l’Estadio do Dragao de Porto le 12 juin 2004 avec une cote de 250 contre 1 chez William Hill pour un potentiel titre continental, Otto le soldeur s’est dit que la seule chance de voir ses ouailles s’en sortir était de jouer en 4-4-2 pouvant se transformer facilement et souvent en 8-1-1, dans un catenaccio qui aurait fait passer l’Inter des années 60 pour les Harlem Globe Trotters. En face, CR 7 & Cie tentent tout ce qui leur est possible : A gauche, à droite, au centre, en l’air, ras terre, en jeu court, avec des longs ballons, en chandelles, en simulant, en se roulant, en se déshabillant, en réclamant et en pleurant. A la sauce portugaise quoi. Mais rien n’y fait. Malgré le support de la splendide Nelly Furtado, interprète de Força, l’hymne de l’Euro. Car en face, le mur Nikopolidis est infranchissable et les attaquants, hélas pour les Lusitaniens, hyper réalistes. Et pan 2-1 dans les dents des Toss qui se voyaient déjà champions d’Europe avant même le coup d’envoi. Et la douche froide pour tout un peuple. Mais pas encore pour nous, les amateurs de foot. Car à ce moment là, on ne savait pas encore ce qui allait nous attendre.

Parce que la suite sera pire. Encore plus défensive lors du nul 1-1 face à une Roja qui était loin du niveau qui allait devenir le sien quelques années plus tard, les Hellènes vont découvrir qu’ils possèdent, en la personne du jeune attaquant du Werder Brême Angelos Charisteas, un mec qui n’a pas besoin de 15 ballons pour la mettre au fond. Heureusement d’ailleurs car il n’en a guère plus qu’un par match. Mais il la fout. Et le reste il s’en tamponne. Ainsi, malgré une défaite 2-1 face à la Russie lors du dernier match de cette poule A, les coéquipiers du capitaine courage Theodoros Zagorakis terminent deuxièmes derrières des locaux arrachant la première place suite à leur succès face aux Espagnols.

Du coup, c’est aux redoutables Français que les grecs vont se retrouver opposés en quarts de finale pour une rencontre a priori, sur le papier du moins, assez déséquilibrée. Les Tricolores, tenants du titre, sont en effet sortis invaincus d’une poule qui les a vu affronter l’Angleterre, la Croatie et une bien pâle équipe de Suisse. On se dit alors que la farce a assez duré. Oui, mais non. Otto le rhino-laryngologue s’adapte. Son équipe évolue soudainement en 3-5-1-1 se modulant dans tous les sens mais surtout vers l’arrière. Les bleus suffoquent. Henry et Trézeguet, la crème des attaquants de l’époque, sont enfermés et n’ont pas le rayonnement habituel. Kapsis, Dellas ou Seitaridis alignent les tacles comme Didier Plaschy les sorties de piste. Zagorakis baronne et nettoie tout ce qui bouge à mi-terrain. Puis un éclair, un coup de génie du capitaine grec. Un coup du sombrero sur Lizarazu et un caviar sur la tête de l’inévitable Charisteas qui mystifie Barthez. C’est limpide. C’est moche mais ça suffit.

La tâche s’annonce pourtant encore plus difficile face à une équipe de la République Tchèque invaincue en trois matchs de poule et qui s’est facilement débarrassée du Danemark en quarts, qui s’apparente comme un des si ce n’est le favori de la compétition. Sa génération dorée avec les Cech, Poborsky, Rosicky, Nedved, Baros ou encore Jan Koller fait figure d’épouvantail. Mais Otto n’en a cure. Il a une tactique infaillible et il va s’y tenir. Quitte à jouer en 9-0-1. Ils ne vont rien tenter en 90 minutes. La Reprezentace aura tout tenté. Ses artistes auront essayé d’enflammer la partie et de se référer à leur talent pour faire plier cette équipe aussi combative que compacte. Rien n’y fait. Les prolongations sont inévitables. Le libéro Traianos Dellas est perclus de crampes. Ça sent le sapin pour les Hellènes. Et pourtant, dans les arrêts de jeu de la 1ère prolongation, sur leur seule action depuis au moins une demi-heure, et encore sur une balle arrêtée, le miracle se produit à nouveau. Corner mollachon de Tsiartas pour la tête du boitillant Dellas au 1er poteau. Une reprise pourave mais qui finit au fond. Comme d’hab quoi. Et les voilà en finale. Contre les Toss. Et à Otto le soldeur de rigoler déjà en coin au coup qu’il va bien pouvoir inventer pour parvenir à ses fins.

Et c’est ainsi que, 4 semaines après le match d’ouverture de Porto, voici les deux protagonistes du match d’ouverture de se retrouver en finale, à l’Estadio da Luz de Lisbonne, pour la revanche. C’est en tout cas comme ça que l’entendent les hommes de Luiz Felipe Scolari. Plus de 65’000 spectateurs dont maximum 1’000 supporters grecs. Des gars comme CR 7, Luis Figo, Deco ou Pauleta d’un côté, des mecs comme Kapsis, Basinas, Katsouranis ou Vryzas de l’autre. Ça sent la casquette. Et les statistiques du match ne feront pas mentir le pronostic. Jugez plutôt : 16 tirs à 4 et 10 corners à 1 pour les Toss. Une vraie finale à sens unique. Les seuls domaines dans lesquels les grecs ont dominé les débats sont les fautes et les cartons. Ah si j’en oublie un : le score. Grâce à l’inévitable Angelos Charisteas (qui figure désormais entre Zeus, Apollon et Aphrodite dans les livres scolaires de Salonique ou d’Athènes), de la tête à la 57ème minute sur un corner d’Angelos Basinas, la Grèce va inscrire le seul et unique but de cette finale. Au grand dam d’un peuple médusé, ventre à terre et incapable de franchir le double rideau défensif du soldeur.

La surprise est immense. On savait les Grecs capables d’emmerder les gros sur un match. On a découvert qu’ils étaient capables de les battre sur plusieurs matchs. Et avec une recette aussi simple et efficace qu’un service d’Ivo Karlovic : Une défense solide, un milieu travailleur, une attaque efficace et un entraîneur maître tacticien. Pour le spectacle on repassera. Disons qu’on n’aura pas vraiment été aussi excité qu’un acarien au salon de la moquette. Mais ça aura eu le mérite de repousser le premier titre de la Seleçao das quinas de 12 ans. Et c’était toujours ça de pris.

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1 Commentaire

  1. Joli article, bravo!
    Et étant portugais, cet Euro 2004 me laisse de magnifiques, sauf la finale évidemment.
    Les 12 années d’attente furent longues et l’Euro 2016 ne me laissera pas d’aussi beaux souvenirs par contre, sauf la finale évidemment (bis) ! 😉

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