Julian Alaphilippe, no limit

La France se cherche désespérément un successeur à Bernard Hinault sur la Grande Boucle. Et si c’était enfin pour demain avec Julian Alaphilippe, 34 ans après « le Blaireau » en 1985 ?

Né le 11 juin 1992, à Saint-Amand-Montrond, dans la ville la plus au centre de la France, d’un père musicien et d’une mère femme de ménage, Julian Alaphilippe grandit dans un milieu modeste, loin du tumulte des grandes villes mondialisées. Le foyer familial des Alaphilippe se déplace lorsqu’il a six ans de Saint-Amand à Montluçon, de Cher en Allier, quelques 55 kilomètres plus au sud. C’est dans un petit pavillon de Désertines que ses parents vivent depuis.

Dans sa jeunesse, Julian est un enfant turbulent qui s’adonne à la batterie pour plaire à son papa. Mais rebuté par le solfège, il ne montera jamais sur scène. Il s’imagine déjà en champion cycliste. Il sillonne alors sa belle région auvergnate en compagnie de son frère cadet Bryan, avec qui il partage blagues et voitures pourries, comme premières bicyclettes, afin de diminuer les coûts logistiques. Son frangin ne décollera jamais vraiment, quand lui passe pro, en 2014, dans l’armada Omega Pharma-Quick Step, dirigée par l’omnipotent Patrick Lefevere.

Lefevere est considéré comme un véritable druide en Belgique pour avoir dirigé Johan Museeuw, Tom Boonen, Michele Bartoli, Richard Virenque ou Paolo Bettini ces trente dernières années. Il est réputé pour être dur sur l’homme comme obsédé par les courses d’un jour. Il a d’ailleurs remporté toutes les classiques, à plusieurs reprises, à travers les époques, pré- comme post-EPO, avec ses différents leaders.

Le vieux Belge, extrêmement méfiant d’ordinaire avec les Français qu’il juge pour la plupart suffisants et prétentieux, se lie rapidement d’amitié avec Julian. Car Alaphilippe lui apparaît davantage comme un serial killer qu’un gaulois réfractaire. En effet, le jeune Bourbonnais s’entraîne tel un forcené, jusqu’à sept heures et trois cents kilomètres par jour ! L’acide lactique et le pot d’échappement du scooter de son entraîneur, et oncle, Franck sont les deux seules odeurs qu’il ressent vraiment sur ses routes, lors des séances inhumaines qu’il s’impose en Auvergne pour devenir le meilleur puncheur possible.

Julian, chasseur de poissons et de classiques !

En 2015, Julian fait son entrée dans la cour des grands en terminant deuxième, coup sur coup, de la Flèche Wallone et de Liège-Bastogne-Liège, derrière l’inépuisable Alejandro Valverde. L’Espagnol est alors au sommet de sa carrière, en résilience totale après son implication dans l’affaire Puerto, où ses poches de sang sont apparues avec les initiales de son berger allemand Piti collées dessus. Ou plutôt Valv-Piti pour les intimes du cabinet d’Eufemanio Fuentes, sulfureux docteur connu pour préparer les potions magiques des plus grands sportifs espagnols du milieu des années 2000 ! Alaphilippe confirme ensuite en Californie avant d’être stoppé net en deuxième partie de saison par une mononucléose.

Il revient le couteau entre les dents en 2016, mais bute une nouvelle fois sur l’os Valverde lors des Ardennaises. Il se venge ensuite au Tour de Californie, qu’il avait laissé filer d’un souffle l’année précédente, face au futur champion du monde Peter Sagan. Il confirme au Dauphiné et surtout sur son premier Tour de France, où il manque de peu la victoire d’étape à plusieurs reprises. Mais le Montluçonnais est avant tout un coureur d’un jour, un homme de classiques. Au cœur de l’été, il finit quatrième des Jeux olympiques à Rio, puis second des championnats d’Europe à Plumelec, encore derrière l’insatiable Peter Sagan. Ça y est, la France l’a définitivement adopté !

2017 commence sur les chapeaux de roue pour lui à Paris-Nice (victoire en contre-la-montre, associée à une cinquième place au général) et Milan-San Remo qu’il conclut troisième au terme d’un sprint royal sur la via Roma face à Michał Kwiatkowski et Peter Sagan, toujours là pour lui barrer la route. Blessé au genou au Pays basque en avril, il doit renoncer aux classiques ardennaises, puis au Tour de France.  Alaphilippe réapparaît en août sur la Vuelta en claquant l’étape spectaculaire de Xorret de Cati. Fin septembre, il ne lui manque qu’un kilomètre pour être sacré champion du monde en Norvège, à Bergen. Il finit son année tronquée par une deuxième place méritante au Tour de Lombardie.

Alafpolak en mode Robin des Bois.

Après avoir tourné autour de grandes victoires pendant trois saisons, 2018 est enfin l’année de ses premières classiques (triomphe à la Flèche Wallone, puis sur la Clásica San Sebastián) et des victoires à tout-va (une étape en Colombie, deux au Pays basque, une au Dauphiné, deux au Tour de France, assorties du maillot à pois de meilleur grimpeur, une étape et le classement général en Grande-Bretagne, puis en Slovaquie). Fort de cette razzia impressionnante, il débarque en favori sur le circuit hyper sélectif des Mondiaux d’Innsbruck. Mais Julian cale sèchement dans le mur final de Gramart, et son passage à 28%, après 250 kilomètres. Ironie du sort, c’est Alejandro Valverde, son plus grand rival, qui se pare enfin du maillot arc-en-ciel, à plus de 38 ans.

Cet automne, Alaphilippe le puncheur a fait le choix difficile de quitter sa famille à Désertines, pour partir vivre en Andorre, et continuer son irrésistible ascension. Dans la fameuse principauté, il payera moins d’impôts, lui qui ne compte paradoxalement jamais ses efforts ! En Andorre, il s’entraînera avec les nombreux purs grimpeurs vivant déjà là-bas afin de continuer sa progression en haute montagne. Il skiera à foison sur les pistes de Soldeu, simulera les stages en altitude sur les hauteurs de Pal-Arinsal et continuera de rigoler avec son meilleur pote Bob Jungels dans son salon. Car Julian n’est pas un coureur cycliste ordinaire, lui, le rare puncheur contemporain, capable aussi bien de sprinter et grimper sur les courses d’un jour que sur les Grands Tours !

Avec Bob Jungels, son meilleur pote, au Vélodrome de Roubaix.

Savant croisement entre Peter Sagan et Alejandro Valverde, Julian Alaphilippe est clairement aujourd’hui le seul coureur cycliste français prêt à tout sacrifier pour gagner. Habité par une rage profonde, convaincu par le célibat comme gain d’énergie, minutieux jusqu’au moindre détail malgré son penchant déconneur, le Montluçonnais sait mieux que personne qu’il a toutes les classiques du calendrier dans les jambes, excepté peut-être Paris-Roubaix.

Mais décrocher San Remo, le Ronde, Liège et la Lombardie suffira-t-il à combler son appétit féroce, lui qui a découvert la très grande notoriété sur la Grande Boucle 2018 ? Loin de l’intello insupportable Romain Bardet comme du terrien romantique Thibaut Pinot, Julian Alaphilippe, promu chef de bande du Wolfpack (ou meute des loups, appellation contrôlée désignée depuis un an par son équipe Deceuninck-Quick Step, en référence aux miettes qu’elle laisse à ses adversaires…), ne se donne aucune limite. Et si c’était enfin lui, le prochain Français à remporter le Tour de France ?

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

Commentaires Facebook

3 Commentaires

    • Mais cet avis, qui t’oblige à venir le lire sur notre site, cher anonyme ? Sens-toi libre d’aller courageusement rentrer dans le lard des gens sur un autre site, pas de problème, nous survivrons à cette douloureuse séparation.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.