Sébastien Reichenbach, le grimpeur discret

Lieutenant fidèle de Thibaut Pinot chez Groupama-FDJ depuis quatre saisons déjà, Sébastien Reichenbach est aussi précieux en montagne qu’il est discret dans la vie. Ce mois-ci, Carton-Rouge vous emmène sur les traces du champion de Suisse actuel à Martigny, en Valais, pour découvrir une personnalité à part dans le milieu du cyclisme.

Écrire sur Sébastien Reichenbach, c’est comme prendre un bol d’air frais en haute altitude et raviver mes souvenirs d’enfance quand je prenais le petit train touristique du Mont-Blanc ou du Saint-Bernard Express en gare de Martigny, à destination des différentes vallées du coin se rejoignant toutes au coude du Rhône, à l’ombre des plus hauts sommets alpins. Sébastien est né à Martigny, en Bas-Valais, un jour de mai 1989. Profondément attaché à sa région natale, il vit aujourd’hui à Vétroz, à 25 kilomètres de là, dans les faubourgs de Sion. Mais sa famille réside toujours elle dans le quartier de Martigny-Croix, au pied de l’effrayant col des Planches que l’Octodurien gravit depuis son plus jeune âge, d’abord à VTT, puis plus tard en vélo de route.

Les années IAM quand on dansait le Mia…

Pourtant, il s’en est fallu de peu pour que Reichenbach ne passe jamais professionnel. La faute à la désertion progressive du cyclisme en Suisse à la fin des années 2000 suite aux multiples affaires de dopage touchant notamment l’équipe phare du pays, la Phonak, avec en point d’orgue la victoire de Floyd Landis aromatisée à la testotérone sur le Tour de France 2006. Landis, ce gros gaillard de Pennsylvanie devenu leader sur le tard qui avait contribué auparavant à trois des succès de Lance Armstrong sur la Grande Boucle. Landis, maillot jaune sur le dos, qui avait perdu le Tour 2006 suite à une défaillance terrible vers La Toussuire, avant de ressusciter le lendemain à Morzine et l’emporter deux jours plus tard sur le contre-la-montre du Creusot… tout cela avant un contrôle positif fatal quatre jours après son arrivée victorieuse à Paris.

Phonak dissoute dans la foulée par son patron, le regretté Andy Rihs qui avait réussi l’exploit improbable de voir attrapés pour dopage une dizaine de ses coureurs en seulement six ans d’existence, l’équipe américaine BMC Racing fut créée dans l’urgence en 2007 pour continuer de promouvoir la marque de vélo suisse BMC qui souhaitait imposer au cœur du peloton son nouveau cadre SLR révolutionnaire pour l’époque, sur lequel l’Australien Cadel Evans gagnera quelques années plus tard son unique Tour de France. Si l’équipe BMC Racing a d’abord recruté des coureurs helvétiques bon marché, elle s’est tournée à partir de 2010 vers les meilleurs cyclistes du monde comme Evans, mais aussi Alessandro Ballan, George Hincapie ou encore Philippe Gilbert. Cette politique onéreuse et mondialiste a eu le malheur de laisser de nombreux jeunes coureurs suisses sur la touche. Reichenbach fut l’un de ceux-là, et sans l’arrivée du brave Michel Thétaz dans le cyclisme fin 2012 avec son projet IAM Cycling, le natif de Martigny ne serait probablement pas professionnel aujourd’hui.

Dans un bus avec un Franc-Comtois qui rêvait de gagner le Tour…

Chez IAM, Sébastien apprend vite. Il remporte dès sa première année chez les pros en 2013 le Trophée Matteotti en passant la ligne d’arrivée main dans la main avec son coéquipier Johann Tschopp, avec qui il est échappé. Il continue à progresser les deux années suivantes en gagnant en régularité mais ne lève plus les bras. S’il boucle son premier Tour de France en 2014 à une anonyme 85ème place, il monte en régime sur le Tour d’Italie 2015. Échappé en compagnie d’une dizaine de coureurs sur la 8ème étape se finissant à Campitello Matese, il en fait trop dans l’ascension finale face à l’opportuniste Benat Intxausti qui lui suce les roues pour mieux le contrer à trois kilomètres du but. 3ème cependant de cette grande étape des Apennins conclue sur le sommet emblématique du Molise, dans le sud de l’Italie, Reichenbach en profite pour monnayer son futur transfert chez la FDJ, où son compatriote suisse et ami valaisan Steve Morabito milite depuis peu pour son arrivée, en vue d’accompagner Thibaut Pinot le plus loin possible dans la montagne.

Ses débuts en 2016 dans l’équipe française de Marc Madiot sont fracassants puisqu’il aide Pinot à briller tout le début de saison. Reichenbach crève l’écran sur Tirreno-Adriatico (4ème, une place devant son leader franc-comtois), le Pays basque et la Romandie où il tire Pinot très haut vers les sommets. Au Tour de France, il est rapidement promu leader quand ce dernier craque dès l’Aspin, premier grand col pyrénéen de la course. Dans l’étape du Grand Colombier s’achevant à Culoz, il se replace dans les 15 premiers du classement général mais manque de peu la victoire d’étape en raison de ses piètres qualités de descendeur face à Jarlinson Pantano et Rafal Majka. Il réussit ensuite une belle montée du barrage d’Émosson dans son cher Valais qui lui vaut de finir 14ème de ce Tour de France 2016.

Avec mon pote Morabito, le Valais en force au départ du 100ème Giro de Sardaigne !

Pinot voulant rebondir sur le Giro en 2017, Sébastien axe toute sa saison en Italie au chevet de son leader. Il l’accompagne de nouveau brillamment dans la montagne en se révélant extrêmement précieux en troisième semaine de course, là où les différences s’établissent. Pinot affaibli par un virus à mi-Giro, il manque finalement le podium d’un rien face à Tom Dumoulin, Nairo Quintana et Vincenzo Nibali. Mais Reichenbach monte en grade dans le peloton international. En fin de saison aux Trois vallées varésines, il se fait balancer au sol par l’imbécile coureur italien Gianni Moscon, ce qui lui vaut une fracture du coude et plusieurs mois de convalescence. Ce dernier aurait voulu se venger d’un tweet de Reichenbach lors du Tour de Romandie, cinq mois plus tôt. Moscon avait été alors suspendu pendant six semaines par son équipe Sky (il n’avait en réalité pas été arrêté du tout puisque il s’apprêtait à observer une période de repos programmée de longue date) pour des propos racistes à l’égard du coureur français Kévin Réza, équipier de Sébastien à la FDJ. « Choqué d’entendre encore des imbéciles utiliser des insultes racistes dans le peloton pro. Vous êtes une honte pour notre sport », avait tweeté l’Octodurien à l’époque, ce qui n’aurait visiblement pas plu au bad boy décérébré de la Sky.

Suite à sa chute, Sébastien attaque la saison 2018 avec un temps de retard. Il participe maigrement à la victoire de Thibaut Pinot sur le Tour des Alpes en avril, mais répond ensuite parfaitement présent sur le Giro un mois plus tard. Alors que son leader tombe une nouvelle fois malade en milieu de Grand Tour, Reichenbach effectue une démonstration de force dans la 19ème étape mythique du Finestre où le surpuissant Chris Froome s’envole sur les chemins empierrés. Le natif de Martigny soutient Pinot comme jamais dans le final « bien qu’il descende comme une vieille grand-mère » dixit le frustré et isolé Tom Dumoulin qui voit d’un mauvais œil un second Giro pourtant promis lui échapper. A l’arrivée sur les hauteurs de Bardonecchia, Pinot se replace 3ème au classement général et entrevoit enfin le podium sur la Course Rose. Mais il craque complètement le lendemain, la veille de l’arrivée à Rome, en raison d’une pneumopathie lui déclenchant de fortes montées de fièvre. A la dérive dans le col de St-Pantaléon, les dirigeants de la FDJ, à la stratégie aussi douteuse que celle du FC Sion, demandent à Reichenbach d’attendre Pinot qui finira pourtant quelques heures plus tard son Giro dans un hôpital du Val d’Aoste. Ce choix hasardeux empêchera Sébastien de confirmer son prometteur Top 15 de l’an passé en Italie.

Le problème de mon leader, c’est qu’il s’obstine à courir les dernières étapes du Giro et du Tour à un rythme de sénateur pour profiter des beaux paysages…

L’année 2019 marque un changement dans l’équipe FDJ, s’apprêtant à devenir Groupama-FDJ, puisque le jeune coureur talentueux David Gaudu supplante maintenant Reichenbach en montagne. Ce dernier recule donc d’un cran dans le train de Thibaut Pinot. La saison de l’Octodurien se révèle moyenne bien qu’il décroche enfin au mois de juin sa seconde victoire chez les professionnels, le tant convoité maillot de champion de Suisse sur la course en ligne disputée cette année-là à Fischingen, dans le canton de Thurgovie. Après la victoire de Steve Morabito en 2018, le paletot à la croix blanche reste donc chez Groupama-FDJ, et encore plus en Valais. Sur le Tour de France qui suit, Reichenbach est pourtant souvent dépassé, incapable de prêter réellement main forte à Pinot, en dehors de l’étape du Prat d’Albis, où les deux compères jouent à Pro Cycling Manager dans l’opération remontada enclenchée la veille au Tourmalet par le Franc-Comtois. Une semaine plus tard, Pinot craque une nouvelle fois en troisième semaine alors que la Grande Boucle semblait lui tendre enfin les bras. Victime d’une lésion musculaire inexplicable à la cuisse gauche, il abandonne ce coup-ci ses coéquipiers à deux jours de l’arrivée à Paris. Dépités, Gaudu et Reichenbach finiront respectivement 13ème et 17ème de ce Tour de France très particulier.

En 2020, Sébastien aura juste eu le temps de prendre part au Tour des Alpes-Maritimes et du Var et à la Faun-Ardèche Classic avant d’être arrêté comme tout le peloton par l’épidémie de coronavirus. L’hiver dernier, il avait pourtant pris de bonnes résolutions après une saison 2019 décevante. En effet, Reichenbach avait prévu trois pics de forme et obtenu de sa direction sportive les coudées franches sur les Tours de Romandie et de Suisse qui lui sont toujours très chers, bien qu’il n’y réussit que rarement. Après avoir emmené une nouvelle fois Thibaut Pinot dans sa conquête du Tour de France en juillet, Sébastien comptait briller en septembre sur les Mondiaux exceptionnellement courus à la maison, chez lui à Martigny, et empruntant la côte de la Petite Forclaz, longue de 4 kilomètres à plus de 10% de moyenne qu’il arpente depuis sa plus tendre enfance. Le nouveau calendrier UCI annoncé début mai a quelque peu bouleversé ses plans mais les championnats du monde en Valais restent pour le moment maintenus à la fin du mois de septembre 2020. Reichenbach pourrait bien s’inspirer de son coéquipier helvétique Stefan Küng, inattendu 3ème des derniers Mondiaux courus sous le déluge du Yorkshire, pour rafler le pactole sur un malentendu.

Préparation de barbecue pour un piquet de grève avec l’Union syndicale valaisanne.

En marge de sa carrière, Sébastien Reichenbach est une personnalité à part qui n’aime pas se mélanger. Très secret, il déteste se mettre en scène. Il n’utilise aussi quasiment jamais les réseaux sociaux, surtout depuis que cela lui a coûté un règlement de compte scandaleux avec Gianni Moscon en 2017 qui, malgré une plainte déposée à son encontre, est resté à son grand dam impuni. Introverti et solitaire, l’Octodurien utilise souvent comme slogan « travailler dur en silence et laisser le succès faire du bruit ». Ces trois dernières années, il s’est beaucoup investi dans le développement de sa cyclosportive caritative, « La Désalpe Reichenbach », se finissant en haut du barrage d’Émosson, emblème de son Valais institutionnel. Pour cet événement unique se déroulant chaque fin d’été au départ de Martigny, il a même associé son nom de famille à la Désalpe, une marque de bière locale, en honneur à sa maman Lucienne, patronne de bistrot dans la région.

Grand amateur de hip-hop et de chats tigrés, il n’hésite jamais l’hiver à empoigner skis, raquettes et VTT pour aller randonner dans ses montagnes silencieuses. Sébastien mène quelque part une vie de moine, hors du temps en Valais, dans une région reculée du monde qu’il vénère depuis déjà 31 ans. Les responsabilités de leader propres à Thibaut Pinot dans son équipe comme la notoriété lui ont toujours fait peur. Il répète souvent que tout cela ne l’intéresse pas, qu’il se complaît à ne pas être reconnu en Suisse, ni même en Romandie. Équipier modèle, piètre descendeur et mauvais sprinteur, il sait depuis longtemps qu’il ne gagnera pas dix courses dans sa carrière. Alors il poursuit un rêve qu’il décrit comme une grande victoire d’étape au sommet d’une montagne mythique sur un Grand Tour, le Giro d’Italia de préférence. Mais son fantasme ultime serait bien évidemment d’être sacré champion du monde chez lui, dans quatre mois à Martigny. Il a même déjà promis qu’il arrêterait sa carrière en cas de triomphe sur ses terres. Car avec le maillot arc-en-ciel sur le dos, Sébastien Reichenbach pourrait malgré lui finir par être reconnu dans la rue.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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