TDF 2020 : présentation

En raison de la pandémie, le Tour de France 2020 a été reporté au mois de septembre. Aussi palpitant qu’incertain, la Grande Boucle se résumera-t-elle à une guerre entre les grenadiers d’Ineos et les éléphants de Jumbo ? Un Français remportera-t-il la course 35 ans après « le Blaireau » ? Le COVID-19 réglera-t-il tout le monde sur la ligne des Champs-Elysées ? En exclusivité, Carton-Rouge fait le point à quelques heures du départ de la grande messe reportée de juillet…

Ça y est, on y est ! Après une première partie de saison arrêtée à la mi-mars à l’arrivée de Paris-Nice, le cyclisme a enfin repris ses droits fin juillet, à une époque où il avait traditionnellement pris pour habitude de s’endormir après une finition torride du Tour de France sur les Champs-Elysées. En l’honneur de Napoléon (ou pas), cette curieuse saison 2020 se disputera donc finalement sur cent jours, entre le départ du Tour de Burgos au mirador del Castillo le 28 juillet dernier et l’arrivée du Tour d’Espagne sur la place de Cybèle à Madrid le 8 novembre prochain. Entre-temps, un condensé de courses mythiques se déroulera, avec en premier lieu les trois Grands Tours historiques du calendrier, piliers institutionnels du sport cycliste depuis plus d’un siècle.

Une fois n’est pas coutume, le Tour de France sera le premier d’entre eux à se disputer. Après avoir grillé la politesse à la Vuelta en 1995 suite au réaménagement du calendrier international, c’est ce coup-ci le Giro qui se déplace en octobre pour mieux permettre à la Grande Boucle de prendre toute la lumière en cette saison 2020 aussi courte que les réponses de Primoz Roglic en conférence de presse. Le plateau exceptionnel attendu il y a encore quelques semaines a quelque peu diminué en densité mais le suspense demeure intact, comme la course au maillot jaune passionnante à suivre. Revue des forces en présence en toute objectivité comme toujours sur votre site préféré…

Tom, Steven et Primoz dans un remake de Gangster Squad.

1. L’armada Jumbo-Visma

Après leur troisième place acquise en 2019 par Steven Kruijswijk en suçant les roues pendant trois semaines, les Néerlandais de Jumbo-Visma ont annoncé la couleur dès l’hiver dernier : ils visent désormais la victoire sur le Tour de France. Pour cela, ils ont décidé bien en amont d’envoyer leur dream team sur la plus grande course du monde, quitte à se désintéresser du Giro et de la Vuelta, où Primoz Roglic avait pourtant brillé l’an passé avec un podium en Italie avant son triomphe en Espagne.

Le Slovène a été érigé en cador numéro 1 des éléphants de Jumbo après sa monstrueuse saison 2019. Pour s’emparer du Tour, ses dirigeants lui ont adjoint les services de Tom Dumoulin, récent transfuge de la Sunweb qui sort d’une année blanche après une blessure au genou, et de Steven Kruijswijk, avec qui le numéro 1 mondial a pris l’habitude de partager le leadership ces dernières saisons.

Mais le plan initial a pris du plomb dans l’aile au Dauphiné disputé cette année à la mi-août. Fidèle à sa réputation de mauvais descendeur (il avait fait naître celle-ci en chutant dans la descente verglacée du col Agnel sur le Giro 2016 alors qu’il semblait avoir course gagnée à deux jours de l’arrivée à Turin), Kruijswijk est tombé ce coup-ci dans la descente de Plan Bois qui, à sa décharge, ressemblait davantage à une piste de VTT qu’à une route adaptée au passage d’une course de niveau World Tour. Celui qu’on appelle communément « le Cintre », en référence à ses épaules interminables, en a justement laissé une en Haute-Savoie et se retrouve donc logiquement forfait pour cette Grande Boucle particulière, ce qui réduit le trident initial de chez Jumbo à un duo Roglic – Dumoulin.

Autre problème majeur pour les Néerlandais : Roglic est tombé lors de l’avant-dernière étape du Dauphiné et a dû se retirer de la course le lendemain, maillot jaune de leader sur le dos, ce qui remet en cause sa préparation jusque-là parfaite. Dans le même temps, Dumoulin est monté en régime tout au long de la semaine pour finir à une honnête 7ème place. Se rappelant au bon souvenir de ses saisons 2017 et 2018 sur le Giro et le Tour de France, le natif de Maastricht a haussé le ton dans la presse pour demander le partage des rôles sur la prochaine Grande Boucle avec Roglic, dessinant là une rivalité que le Slovène avait déjà pointé du doigt à l’automne dernier et pas forcément accueilli d’un bon œil.

Par chance, le très montagneux Tour de France 2020 permettra d’établir assez rapidement une hiérarchie entre les deux hommes, ce qui enlèvera une bonne épine du pied à leur directeur sportif Merijn Zeeman qui emmène aussi dans l’Hexagone les meilleurs équipiers du peloton pour décrocher le maillot jaune : à savoir Tony Martin pour rouler dans la plaine, Sepp Kuss et George Bennett pour gravir les montagnes, et Wout Van Aert pour… tout faire à la fois.

« Ce que je te dis Egan, c’est que Froome et Thomas ne voulaient pas bosser pour toi alors j’ai demandé à Brailsford de ne pas les sélectionner. Ce que je ne te dis pas Egan, c’est que je ne travaillerai pas plus pour toi qu’eux car moi aussi je veux gagner le Tour… »

2. Les grenadiers d’Ineos

Pour la première fois depuis le début de leur règne sur le Tour de France en 2012 (seulement entrecoupé par la victoire de Vincenzo Nibali en 2014), l’équipe Ineos, anciennement Sky, apparait diminuée au départ de la Grande Boucle. A l’instar de leurs rivaux de Jumbo-Visma cette année, les Britanniques avaient pris pour habitude ces dernières saisons de compter sur plusieurs leaders accompagnés des meilleurs équipiers possibles en montagne. En cette année 2020 peu ordinaire, il n’en est rien.

Après avoir annoncé tout le printemps un trident explosif Egan Bernal – Geraint Thomas – Chris Froome sur les routes de France pour contrecarrer les plans de l’armada Jumbo, le manager Dave Brailsford a écarté ces deux derniers à la surprise générale fin août, à l’issue d’un Dauphiné anormalement catastrophique pour les Anglais.

On ne saura jamais vraiment si c’est Brailsford lui-même qui a décidé d’envoyer Thomas au Giro et Froome à la Vuelta, ou si, à l’inverse, ce sont ses deux expérimentés leaders britanniques qui, par leur standing, ont refusé de déployer le tapis rouge à leur jeune cadet sud-américain Egan Bernal sur la plus grande course du monde. Toujours est-il que sans Thomas, ni Froome, vainqueurs à eux deux de cinq Tours de France depuis 2013, l’édition 2020 apparaît comme soudainement dépeuplée.

Ces curieux forfaits de dernière minute chez Ineos font le jeu de Richard Carapaz, initialement prévu en octobre à défendre son Giro acquis de haute lutte l’an passé. L’Équatorien, à qui l’on reprochait déjà chez Movistar d’avoir la voix un peu trop porteuse, a fait le ménage à sa façon chez les Britanniques. Officiellement, Carapaz dit venir sur le Tour pour aider son ami Egan Bernal à réaliser le doublé. Officieusement, il tient avec le Colombien exactement le même discours qu’avec Mikel Landa l’an passé chez Movistar sur les routes italiennes…

Enfin, pour se donner un peu de courage et d’énergie, l’équipe Ineos s’appellera le Team Ineos Grenadiers sur ce Tour de France 2020. On ne sait pas si les hommes de Brailsford en profiteront pour envoyer l’artillerie lourde en montagne, ou s’ils se saborderont sur la route comme ils semblent déjà le faire en interne depuis plusieurs mois en raison de la fin de règne chaotique de leur chef de file Chris Froome, tiraillé entre son retour compliqué à la compétition à 35 ans après sa terrible chute de l’an dernier au Dauphiné et son départ clinquant chez Israel Start-Up Nation la saison prochaine.

« Par ici Thibaut pour gagner le Tour ! »

3. L’année de Tibopino ?

Comme l’année dernière, le Tour de France ne pouvait pas être mieux construit pour que Thibaut Pinot décroche le maillot jaune dans trois semaines en haut de sa Planche des Belles Filles privatisée. Il est vrai que nous avons pesté pendant des années de voir que l’organisateur ASO construisait ses Grandes Boucles uniquement pour favoriser les desseins de ses coureurs français. En réalité, nous reprochions juste à nos charmants voisins de nous faire croire que Romain Bardet allait gagner le Tour. Pourquoi ? Parce que nous n’aimons décidément pas la tête à claques de Brioude, ses envolées philosophiques, ses promesses non tenues, sa mèche rebelle et son auto-satisfaction perpétuelle ! Mais depuis que ce dernier en est réduit à un simple rôle de figurant sur les courses, dans une équipe AG2R La Mondiale au même stade de décomposition que le FC Sion de Christian Constantin, il est vrai que cela nous gêne subitement nettement moins.

Si nous adorons tant Thibaut Pinot à Carton-Rouge, ce n’est pas seulement parce qu’il est l’antithèse de Romain Bardet. C’est aussi parce qu’il présente la particularité de vivre en Haute-Saône, à moins de 60 kilomètres de la frontière avec le Jura suisse. C’est encore parce qu’il appartient à la conviviale structure Groupama-FDJ qui emploie les meilleurs coureurs helvétiques depuis plusieurs années.

Pinot débarque à Nice en cette fin d’été avec la plus forte équipe possible : quasiment la même que l’an passé sur le Tour, auquel il faudra adjoindre la présence du talentueux Valentin Madouas. Toujours épaulé par Stefan Küng dans la plaine, fraîchement auréolé de son titre de champion d’Europe du contre-la-montre, et Sébastien Reichenbach en montagne, revenu à son meilleur niveau, celui du Giro 2018, le Franc-Comtois peut rêver en grand cette année.

Auteur d’un début de saison moyen, Thibaut a mis les bouchées doubles pendant le confinement. Après une 4ème place pour sa reprise en Occitanie début août, il a terminé second d’un Dauphiné infernal, qu’il avait probablement dans les jambes, mais qu’il n’aura pas su contrôler le dernier jour en l’absence de David Gaudu et Rudy Molard engagés sur d’autres fronts au même moment. Logiquement déçu à l’arrivée à Megève, Pinot n’en reste pas moins comme l’un des favoris du Tour qui aura le plus rassuré avant le départ de la Grande Boucle.

Sans Froome, Thomas et Kruijswijk forfaits, et avec « seulement » Bernal, Dumoulin et Roglic à surveiller dans le rétroviseur, l’année 2020 pourrait bien être celle de Pinot. A 30 ans, qu’il gagne le Tour, qu’il venge son PSG en Ligue des Champions et qu’il prenne sa retraite dans la foulée pour ouvrir une ferme écologique avec Charlotte, Kim et Quentine sur le Plateau des Mille étangs ! On lui érigera alors une statue aux quatre coins de France comme on éradiquera tous les blaireaux de la surface du globe, de façon à ce qu’on ne nous parle plus jamais de Bernard Hinault jusqu’à notre mort…

En 2020, Julian soulève davantage Marion Rousse que de montagnes…

4. Quel rôle pour Alaphilippe cette année ?

Finalement, on ne saura jamais si Julian Alaphilippe pouvait gagner le Tour de France 2019 ou pas. A deux jours près et deux étapes complètement galvaudées par les conditions météorologiques épouvantables, le rêve de Julian a pris fin. Depuis ? Plus rien… ou presque. L’Auvergnat a fini l’année 2019 complètement rincé et il n’a toujours pas levé les bras en 2020. S’il est passé récemment proche de la victoire sur Milan-San Remo ou au dernier championnat de France, il lui a toujours manqué ce petit quelque chose en haut du Poggio comme de la dernière bosse de Grand-Champ pour établir la fameuse différence.

En 2020, Julian est-il toujours Alaphilippe, ce puncheur surpuissant capable de faire reculer n’importe quel coureur dès que la pente se cabre au-delà des 10% ? Si « Alaf » ne gagnera logiquement pas 12 courses en 2020 comme il l’avait fait en 2018 et 2019, il fricote désormais avec la jolie Marion Rousse qu’il a arrachée au dérailleur arrière de Tony Gallopin cet hiver, lui qui d’ordinaire mettait le célibat en avant « pour mieux avoir la rage en course », ce supplément de détermination qui lui fait bizarrement cruellement défaut cette année !

Mais avec Alaphilippe, il faut toujours savoir rester prudent. Comme l’an passé, le natif de Saint-Amand-Montrond dit venir sur la Grande Boucle pour viser les victoires d’étapes et non le classement général. Pour cela, il s’appuie sur le fait qu’il n’a pas l’équipe Deceuninck-Quick Step pour jouer la gagne… mais oublie de préciser que le parcours, comme l’an passé, lui sied à merveille. Julian en jaune dès le soir de la deuxième étape de moyenne montagne courue autour de Nice, c’est possible. Jusqu’où se dépouillera-t-il alors cette année pour le conserver ? Peut-être jusqu’à ce que Marion Rousse ne s’évanouisse en direct à la télévision en commentant ses exploits quotidiens…

Cette année, le coronavirus permet au fantôme Romain Bardet d’avancer masqué.

5. Le COVID-19 réglera-t-il le TDF 2020 ?

En marge du duel infernal Jumbo – Ineos arbitré par Pinot et Alaphilippe, je pourrais vous parler d’autres coureurs talentueux visant secrètement la victoire comme le jeune Slovène Tadej Pogacar, auteur d’une Vuelta 2019 stratosphérique, le renaissant Colombien Nairo Quintana dont on ne présente plus le « sueño amarillo », ou l’énigmatique grimpeur espagnol Mikel Landa qui a encore changé d’équipe à l’intersaison. Mais le grand outsider de ce Tour de France 2020 reste inévitablement le COVID-19 en cette saison particulière…

En effet, un protocole sanitaire exceptionnel sera mis en place tout au long de la course. Avant d’arriver à Nice, d’où le Tour s’élancera, chaque formation aura dû déclarer un groupe de 30 personnes (dont les huit coureurs) accréditées pour l’accès aux hôtels, aux bus, aux lignes de départ et d’arrivée. Cette « bulle » de trente devra vivre en vase clos et ne sera par exemple pas autorisée à accéder au village-départ. A partir de deux tests positifs au coronavirus sur une période de sept jours en son sein, une équipe sera expulsée du Tour de France. Ce qu’on ne faisait pas forcément hier pour des contrôles positifs à l’EPO, on le fera demain pour le COVID-19, ce qui pose un léger problème aux 22 équipes engagées, surtout si de nouveaux cas de faux positifs venaient à se déclarer pendant les trois semaines de compétition.

Avec ces menaces d’expulsion pour cause de coronavirus, ce Tour de France 2020 pourrait bien ressembler à celui de 1998 où de nombreuses équipes n’avaient pas rallié l’arrivée pour protester contre les contrôles antidopage et les descentes de police matinales dans les hôtels des coureurs. Il est vrai que 1998 était une autre époque, celle de Marco Pantani, Jan Ullrich et Richard Virenque, tous adeptes de la pétrochimie chère à l’équipe Ineos, où le peloton du Tour développait autant d’énergie qu’une centrale nucléaire en surrégime ou une soucoupe volante au décollage…

Toujours est-il qu’à ce petit jeu original, Romain Bardet reprend espoir dans sa quête de la plus grande course du monde. L’intellectuel de Brioude aurait même déjà fait ses calculs : si les 21 autres équipes que la sienne, AG2R La Mondiale, sont exclues pour cause de positivité au coronavirus, l’Auvergnat aurait juste à battre ses 7 coéquipiers pour se parer de jaune sur les Champs-Elysées : son rêve absolu après ses deux podiums inespérés de 2016 et 2017. Alors même masqué, il faudra plus que jamais se méfier du fantôme Bardet cette année…

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

Commentaires Facebook

3 Commentaires

  1. Bonne analyse.
    En tout cas cette année, il n’y aura pas de super favori. Ça sera une course ouverte.
    Et il y aura une autre inconnue : le temps car en septembre, il fait moins beau qu’en juillet, il pleut plus.

  2. Salut Fred,

    Content de te voir passer par là depuis tout ce temps… Oui Tour de France assez ouvert à priori pour toutes les raisons évoquées !

  3. L’analyse est excellente, mais je pense que, au vue de ce qui s’est passé ces derniers jours, on va avoir droit à « comme d’habitude ».

    Chaque année, on nous promet la grande bagarre, les favoris qui vont lâcher les chevaux avant la dernière montée etc… Et à chaque fois, la course est cadenassée. En espérant me tromper, évidemment!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.