Leur ligue a du talent

Probablement à cause du Covid, les grands championnats nationaux n’ont que rarement été aussi intéressants à suivre pour un fan neutre que cette saison. En Angleterre, on a l’impression que personne ne veut le titre, tant et si bien que même Tottenham s’est mis à rêver de victoire (bon ça a duré environ une semaine) et que United y croit toujours avec un entraîneur qui a l’un des pires bilans de l’histoire du club. En Italie, le trône de la Juve vacille comme jamais alors que les deux clubs de Milan renaissent de leurs cendres. En Espagne, un Barça en grave crise financière et un Real en grave crise sportive laissent leur tour au « petit » Atlético. Finalement, il n’y a qu’en Allemagne que le Bayern déroule comme d’habitude.

Et la France dans tout ça ? La ligue qui s’autoproclame parmi les « 5 grands championnats » mais qu’à peu près tout le monde non-francophone s’accorde à surnommer la « Farmers league » est plus palpitante que jamais ! Mais pas forcément pour les raisons que l’on peut supposer… Petit tour d’horizon pour ceux qui n’auraient pas suivi ce qu’il se passe chez nos voisins et leur fameuse « ligue des talents ».

Un début en fanfare

Habituellement aussi passionnante et indécise qu’une interview de Léo Lacroix, la Ligue 1 Uber Eats (on a les sponsors qu’on mérite) part cependant plutôt bien, puisque le PSG, habituel vainqueur du championnat avant même le début, est en pleine décompensation après sa finale de Ligue des Champions perdue et s’incline lors de ses deux premiers matches, face à Lens et Marseille. De quoi, peut-être, rendre cette édition intéressante après tout. Dans les semaines qui suivent, on apprend pêle-mêle, que Dijon n’a plus un rond et est proche de la faillite ; que malgré les moyens colossaux d’Ineos, l’OGC Nice se débrouillait bien mieux quand il n’utilisait pas le LS comme un club ferme ; qu’Aulas, président de Lyon, ne perd toujours aucune occasion de se taire ; ou encore que Saint-Étienne, club historique du championnat, est plutôt bien parti pour se faire reléguer car en pleine crise sportive. Ensuite, le PSG, encore lui, qui s’était plus ou moins bien repris après son départ poussif, limoge son coach Thomas Tuchel, aussi charismatique qu’une feuille quadrillée mais qui a amené Paris en finale de C1 pour la première fois de son histoire. Non décidément, on se dit que cette cuvée made in France ne sera comme aucune autre. Et on n’avait encore rien vu.

Le solo de Nantes

Également grand club historique du championnat, le FC Nantes traîne son spleen depuis sa remontée en Ligue 1 en 2013. Quelques périodes de fulgurances sauvent à peine un bilan loin d’être glorieux et un jeu souvent absolument dégueulasse. Il faut dire que les canaris ne sont pas aidés par la gestion exceptionnellement catastrophique (no shit Sherlock) de Waldemar « M. agrandisseur de zizi » Kita, et c’est pas peu dire. À croire que la mission sur Terre de ce maître du management est de couler le plus de clubs pros possibles. En 13 ans à la tête de Nantes, il a traversé une relégation, 16 entraîneurs (CC applaudit), une apparition dans les Panama Papers, un projet de stade avorté, un mépris total de ses propres fans et de son personnel, une apparition dans les Football Leaks, des soupçons de fraudes fiscales dans plusieurs pays et surtout la disparition de l’une des rares idoles récentes du club, Emiliano Sala, début 2019, dont la cicatrice n’est toujours pas refermée pour les supporters. Ça fait déjà beaucoup là, non ? Et c’est pas fini !

Pour cette saison, ce fin analyste du foot a visiblement décidé de tirer un immense doigt d’honneur à tous ses supporters. La fracture étant déjà profonde et l’équipe au fond du bac sportivement, l’homme d’affaire préféré des Lausannois décide de débarquer Christian Gourcuff début décembre, un entraîneur qui a fait ses preuves mais en manque de résultats récents. Après des refus de Laurent Blanc et de Patrick Vieira, Kita sort du chapeau le transfert le plus improbable de ces dernières années (oui, devant Gattuso à Sion et Choupo-Moting au Bayern) en allant rechercher celui que tout le monde pensait fini pour le foot depuis longtemps, Raymond Domenech. 27 ans depuis sa dernière expérience sur le banc d’un club et plus de 10 après sa dernière expérience sur un banc tout court, qui avait pris fin lors de l’exceptionnelle et inoubliable campagne des Bleus en Afrique du Sud. Bilan au moment où ces lignes sont rédigées ? Aucune victoire en six matches, record du club pour un nouvel entraîneur, une équipe qui passe de la 14ème place au moment du départ de Gourcuff à la 17ème désormais et Domenech qui fout le camp à Paris plutôt que de gérer les entraînements.

C’en est trop pour les pourtant fidèles supporters nantais, qui multiplient depuis quelques semaines les actions contre Kita. Des milliers d’affiches collées dans la ville pour se moquer de lui, des centaines de cartes de vœux envoyées à ce génie du foot qui ferait passer Collet pour un connaisseur pour lui souhaiter de partir et de nombreuses manifestations et banderoles autour de centre d’entraînement, dont cette séquence absolument magique :

Le récital Mediapro

Mais il n’y a pas qu’à Nantes que la saison de Ligue 1 vaut la peine d’être suivie, les coulisses des droits TV valent aussi le détour ! Pour replacer les choses dans leur contexte, en France les droits TV sont généralement partagés selon les saisons entre Canal+, BeIN Sports et plus récemment RMC. Mais en 2018, la gangrène du foot espagnol, Mediapro, dont j’avais déjà un petit peu parlé dans cet article, débarque avec ses grands souliers pour acquérir les diffusions des matchs de Ligue 1. Au menu, des prix faramineux, un accord avec TF1 pour créer une nouvelle chaîne, Téléfoot, avec certains présentateurs vedettes, un autre avec Altice, propriétaire de RMC, et un autre avec Bouygues Télécom, le tout dès la saison 2020-2021. Tout est donc rose financièrement pour la Ligue 1 !

Spoiler : non. Il se trouve que les pontes de la Ligue de Football Professionnel (LFP), tellement contents de voir autant d’argent virtuellement posé sur la table (le « virtuellement » est important, lisez-le bien pour comprendre la suite), ont oublié de vérifier la solvabilité de Mediapro et même de leur demander la moindre garantie. Et tout cela alors que plusieurs diffuseurs historiques en Italie contestaient justement la légitimité du groupe au tribunal de Milan, après que celui-ci avait raflé les droits de la Serie A pour une somme indécente. Et, oh surprise, après moins de deux mois de diffusion et un flop de sa nouvelle chaine (on parle de moins de 500’000 abonnés au total), Mediapro ne paye plus ses droits en France. Tous les clubs commencent à trembler, une grande partie de leur budget déjà dépensé passait par cet argent, et la LFP passe pour une belle équipe de peintres en bâtiment. La raison invoquée par Jaume Roures, président de Mediapro et type tellement pourri qu’il pourrait présider la FIFA ? Des retombées insuffisantes dues au Covid. Mouais. On rappelle à tout hasard que le susmentionné tribunal de Milan avait remarqué dès 2018 qu’il y avait une couille dans le gaspacho.

Conséquences directes, Téléfoot licencie 150 collaborateurs et un accord à l’amiable est trouvé pour que la LFP récupère les droits mais c’est à elle de retrouver un diffuseur dans l’urgence, pour récupérer au moins une partie de la manne financière prévue. Canal+ est annoncé comme le sauveur mais boycotte la Ligue et porte même plainte contre elle car celle-ci refuse de renégocier le lot de match que la chaîne cryptée avait acquis au pris fort face à Mediapro. Un appel d’offres est donc lancé, auquel répondent trois groupes : Discovery, DAZN et Amazon (et IKF TV, équipe d’animateurs d’un jeu sur… RMC, qui transmet une offre officielle de… 156 euros !). Problème, encore, aucune offre n’atteint le minimum fixé par l’instance pour récupérer les droits.

Pour résumer donc, aucun des diffuseurs historiques de la Ligue 1 ne s’est porté volontaire, un bras de fer est même engagé avec Canal+ ; l’argent continue de ne pas tomber tant pour la Ligue que pour les clubs ; le processus, déjà long, d’appel d’offres est dans une impasse et, le meilleur pour la fin, dans l’attente d’une solution, c’est Mediapro qui continue de diffuser, gratuitement, les matchs. Et après on exagère quand on se moque de la gestion à la française ?

Édit: Juste avant la parution du présent article, la LFP a annoncé avoir trouvé un accord avec Canal+ pour que ces derniers récupèrent les droits pour la fin de la saison. Cela empêche donc Mediapro de continuer à diffuser les matches à l’œil, mais comme le nouvel accord ne porte que jusqu’à juin prochain (alors que celui de Mediapro allait jusqu’en 2024), que le deal n’est que de 35 millions d’euros, soit environ 600 millions de moins que ce qui était prévu, et budgété, sur la période, et que la LFP est toujours autant une équipe bout de bois, on ne s’inquiète pas trop quant au fait que ça va continuer à être bien la merde pour tout ce petit monde dans les mois à venir.

Le chef d’œuvre marseillais

Mais rien n’égale la performance phocéenne depuis le début de l’année civile. Le club est (mal) dirigé depuis 2016 par Jacques-Henri Eyraud. Qu’on se comprenne, les résultats sont plutôt bons depuis son arrivée, avec notamment un retour en Champions League cette saison, mais le membre du conseil d’administration de la LFP (ça ne s’invente pas) est honni par les supporters marseillais. Ses torts ? Être parisien, déjà, mais surtout n’avoir toujours pas compris que si l’OM est ce qu’il est, c’est avant tout grâce à ses fans. Il considère son club comme une entreprise qui doit être rentable et se fout pas mal de savoir si les supporters sont contents. Bon dit comme ça on dirait un président lambda mais lui est un peu au-dessus de la moyenne. De même, sa gestion des transferts est plus que douteuse. Autant ça passe plus ou moins quand les résultats suivent, autant le point de non-retour est vite atteint quand, comme cette saison, les performances sont en roue libre.

Premier problème, alors en grande forme en Ligue 1, Marseille réussit là où même des équipes comme Maribor, Nordsjælland, Young Boys ou même Qarabag ont échoué : perdre 13 matches de suite en Ligue des Champions. Oui, TREIZE. Record historique. Juste après cela, les résultats sont en chute libre en championnat également. C’est là que le courroux des supporters commence à se faire entendre. Et le grand déclencheur sera une conférence donnée en décembre, dans laquelle Eyraud donne comme conseil de ne pas engager des gens trop impliqués et prend en exemple les « fans in a suit » qu’il a à l’OM et qu’il considère comme problématiques car trop dépendants des résultats du club pour être efficaces. Couplez cela à d’autres nombreuses boulettes de communication – comme critiquer Bernard Tapie, il faut oser, à Marseille… – et vous aurez la raison pour laquelle les supporters ont pris d’assaut le centre d’entraînement ce samedi 30 janvier, prise d’assaut qui a conduit au report du match contre Rennes et à des centaines de milliers d’euros de dégâts.

Trois jours plus tard, une nouvelle crise arrive lors d’une conférence de presse d’André Villas Boas, coach phocéen en conflit ouvert avec sa direction. Ce dernier donne sa démission après une fin de mercato houleuse, dans laquelle Eyraud et son laquais (va) Longoria ont vendu le Serbe Radonjic sans en parler au technicien portugais et engagé Olivier Ntcham sans mieux communiquer et même malgré le fait qu’AVB ait refusé le joueur quand son président lui avait demandé son avis ! Le mieux dans l’histoire est que le désormais ex-coach a donné sa démission sans rien réclamer (sous-entendu ses indemnités) par respect envers le club, souhaitant juste partir, et que la direction souhaite malgré tout le virer et donc devoir lui payer des indemnités. Grandiose.

Le final

A travers tout cela, je vous encourage donc à suivre de plus près la Ligue 1. Pas les matches bien sûr, qui sont toujours aussi nazes, mais les à-côtés. Le mieux, c’est qu’aucune des trois sagas n’est terminée à l’heure où je ponds cet article. Domenech serait déjà sur le départ, les droits TV sont toujours au centre des préoccupations et des rumeurs circulent sur une éventuelle vente de l’OM, auxquelles on peut ajouter le fait que Lulu Favre et Maurizio Sarri ont refusé le poste laissé vacant sur le banc du Vélodrome, stade qui vient d’ailleurs d’être mis en vente par la ville de Marseille. Sortez le popcorn et mettez en favori So Foot et le compte Twitter de la FFL, ça vaut la peine. Et tant pis pour le jeu et le sort des supporters, qui de toutes façons semblent ne plus intéresser grand monde en 2021…

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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