Pelé : Le Roi sommeille

Pelé en tintébin, Pelé en chaise roulante, Pelé qui tambourine sur son vieux coffret à cirage, ce programme vous donne l’eau à la bouche? Alors dépêchez-vous de voir le documentaire “Pelé” disponible sur Netflix depuis le 23 février.

En football c’est bien connu, nos idoles restent à jamais celles de notre enfance. Si vous êtes né comme moi au début des années 80, aucun joueur ne remplacera jamais dans votre cœur les Chapuisat, Van Basten ou (g)Ronaldo. Certaines stars d’aujourd’hui sont des génies du ballon rond, peut-être meilleurs que leurs prédécesseurs, mais une fois qu’on a atteint un certain âge, leurs prouesses ne nous provoquent plus que des applaudissements polis et des phrases de daron du genre: “De mon temps, les joueurs c’était autre chose que les simulateurs multi-millionnaires de maintenant ».

Mais le pire c’est encore les idoles du passé, celles de nos pères ou de nos grand-pères. On ne les a jamais vu jouer en live, seulement cinq minutes à la télé ou sur Youtube en noir et blanc avec un style qui nous semble au mieux “étrange”, au pire digne d’une 2ème ligue interrégionale alors que c’est censé être leurs meilleurs moments sur un terrain de foot. Écouter nos paternels vanter le génie de joueurs qu’on a jamais vu sur un terrain comme Garrincha, Eusébio, Cruyff, Shaqiri et, au-dessus de tout Pelé, pouvait parfois légèrement saouler les marmots que nous étions. Alors découvrir un peu plus en profondeur la vie de la première méga-star du ballon rond via ce documentaire avait le mérite de titiller ma curiosité.

Du fun à l’état pur.

Trois tondus et un Pelé

Le film va se concentrer sur les quatre Coupes du Monde auxquelles Pelé a participé, à savoir Suède 58, Chili 62, Angleterre 66 et Mexique 70. On commence par la fin avec des images couleurs de Mexico 70 pour éviter que le public ne zappe immédiatement avant de suivre les événements de manière chronologique. Mais avant ça c’est le choc. La caméra montre Pelé arriver tout lentement avec son tintébin dans une grande pièce sombre complètement vide, s’asseoir péniblement sur une chaise en bois, balancer son déambulateur et regarder dans le vide pendant de longues secondes. On savait que Pelé, âgé aujourd’hui de 80 ans, avait eu quelques pépins de santé, mais pourquoi le mettre en scène de manière si glauque? Pour montrer que le temps de la gloire est loin derrière? Merci, on était au courant.

C’est un peu pareil avec la plupart des intervenants, à savoir des anciens coéquipiers pas tout jeunes non plus qui sont aussi interviewés dans des décors un peu miteux comme une cuisine insalubre ou un salon de coiffure désaffecté. Ils sont appuyés par des journalistes sportifs, un ancien président du Brésil (Fernando Henrique Cardoso, dont Pelé sera le ministre des sports) et bien sûr Gilberto Gil parce que … le Brésil quoi. Il y même l’immortel Màrio Zagallo (si, si, il est toujours vivant), cinq fois coach de la Seleção. Au milieu de tous ces vieillards, il représente un peu le vieux-vieux Schtroumpf, celui qui est encore plus vieux que les autres vieux. Étonnamment, il n’y a aucun jeune intervenant, pas de Ronaldo, Ronaldinho ou Neymar pour parler de l’inspiration que représente pour eux Pelé. Pas même un coucou de Maradona, ce documentaire est vraiment crépusculaire.

Màrio Zagallo dit le vieux-vieux Schtroumpf.

Deux étoiles et demi

Lorsqu’il entame le Mondial 58 en Suède, Pelé a des airs de Mbappé. Jovial, insouciant et un talent énorme. Il gagne sa première Coupe du monde en marquant deux fois en finale dont son fameux coup du sombrero. J’avais gardé en tête que Pelé avait gagné brillamment presque chaque Coupe du Monde à laquelle il avait participé, mais ce film a le mérite de remettre l’église au milieu du village. Il a brillé lors de sa première et de sa dernière, mais au milieu il y a dix ans de galères. D’accord, les statistiques lui donnent aussi la victoire au Chili 62, une victoire dite “à la Guivarc’h”. Il se blesse lors du deuxième match et basta (un but quand même). Par miracle le Brésil va au bout et cela ajoute une étoile bien pâle au palmarès de Pelé. En 66 en Angleterre c’est la débâcle, avec une élimination au premier tour. Pelé, critiqué de toute part et donné comme fini, annonce sa retraite internationale dans la foulée. Sans le savoir, il vient de lancer une mode qui sera reprise par la plupart des grands champions: “La fausse retraite pour pouvoir jouer les sauveurs en revenant juste avant le prochain grand rendez-vous”. Cruyff, Zidane, Messi et encore très récemment Ibrahimović, tous ont imité Pelé.

Point positif du documentaire, les réalisateurs tentent une légère critique de sa majesté: son non-engagement politique (il est donc de droite). Lorsque le Brésil passe sous la dictature militaire en 1964, Pelé avoue froidement face caméra que pour lui cela n’a rien changé. Le goût des petits fours lors des réceptions du sanglant dictateur Emílio Médici devait juste être un peu plus salé. Il se dédouane en justifiant sa neutralité sur le fait que son football faisait plus de bien au peuple qu’un éventuel engagement anti-dictatorial. Il aurait presque mérité la naturalisation suisse.

Un petit air de Mbappé non ?

Le retour de la Momie

Le film se termine sur la magnifique victoire en finale 4-1 contre l’Italie à Mexico en 1970. Car oui, Pelé était entre-temps sorti de sa retraite. Sur les images de victoire, il est amusant de voir un type qui essaie par tous les moyens de coiffer Pelé d’un sombrero, comme un rappel de son coup du sombrero de 58 en Suède. En se remémorant ces beaux souvenirs, Pelé fond en larmes. Il avait montré moins d’émotion en abordant les années de plomb de son pays adoré. Un bon docu ne serait rien en 2021 sans une petite fake news, alors lorsque le moment est venu de résumer la carrière du bonhomme avec deux ou trois records encore en vigueur, les réalisateurs ne peuvent s’empêcher de ressortir le mythique mensonge des 1283 buts inscrits en carrière. Ce total fantaisiste inclut les buts marqués en sélection étatique, avec le syndicat des joueurs pro, lors de matches de gala et même avec la sélection… militaire. Il est à deux doigts de compter ses buts marqués dans le film de John Huston “A nous la victoire”. Le total officiel est de 757 buts, mais c’est bien connu qu’à force de répéter un mensonge il finit par devenir vrai.

A eux la victoire.

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