Albert Zweifel, le roi du cyclo-cross qui ne connaissait pas le doute

Il avait la patate et ne manquait ni de piquant, ni de croquant !

Le cyclo-cross (« Querfeldeinradsport » en allemand, soit littéralement « sport cycliste à travers champs »!) est une discipline clairement secondaire du vélo. Actuellement, ce sport est ultra-dominé par le double champion du monde néerlandais (sur route et en cyclo-cross !) Mathieu Van der Poel, qui compte 10 victoires en 10 courses cet hiver, à chaque fois avec un wagon d’avance. Mais ne t’inquiète pas peuple de l’Helvétie, le meilleur cyclo-crosseur de tous les temps est suisse: Albert Zweifel, surnommé « Le Roi de la boue », qui a dominé la discipline durant les années 70 et 80. Toi lecteur qui croyait que Zweifel se référait uniquement à des chips, je vais te démontrer que non.

Un jour comme un autre pour un cyclo-crosseur.

Mon entourage est habitué à la phrase « C’était Albert Zweifel« . Cela indique que les conditions météorologiques étaient dantesques, et fait référence à l’état dans lequel il terminait les courses, parfois couvert de boue avec juste les yeux et la bouche qui étaient encore visibles. Le cyclo-cross a été créé à la base pour entraîner les coureurs sur route durant l’hiver. Par la suite, c’est devenu une discipline à part entière, avec ses spécialistes surnommés « les forçats du vélo ». C’est simple: vous prenez un champ, une forêt, bref un terrain accidenté, et vous tirez des rubalises. C’est le parcours. J’oubliais, si c’est pas assez difficile, vous mettez des planches en travers, afin d’obliger les cyclistes à s’arrêter et à porter leur vélo, car ce sport comporte une partie de course à pieds, notamment dans les montées. Et attention, on utilise des vélos de route, parce qu’avec des VTT ce serait trop facile. Comme les épreuves se déroulent durant l’hiver, vous priez pour que les précipitations soient abondantes durant les jours qui précèdent la course. Voilà, « ça va être Albert Zweifel« .

« C’était Albert Zweifel ! »

Albert Zweifel est né en 1949 à Rüti, dans la campagne zurichoise, dans un milieu modeste. Très introverti, dur au mal et fuyant les mondanités, il devient à la fin des années 60 un coureur cycliste modeste, participant à ses premiers Mondiaux de cyclo-cross en 1968. Un déclic se produit en 1970, lorsqu’il constate que les coureurs hollandais, qui dominent alors le cyclo-cross, ont un programme sérieux de récupération après l’épreuve mondiale, alors que les Suisses se contentent de boire des bières, jouer aux cartes et probablement aussi de manger des chips.

Albert, vert de rage, décide alors de se prendre en main et se concocte petit à petit un programme personnel d’entraînement démentiel. En 1981, cela consistera à :

  • Durant l’été, des sorties journalières de 150 à 180 km.

En période de compétition, soit durant l’hiver:

  • 1 h 30 mn à 2h de sortie à vélo chaque matin, y compris lorsqu’il neige.
  • 2 x 20 mn de gymnastique avec des poids par jour, matin et soir.
  • 3 séances de 30 minutes en haute intensité de course à pied par semaine, si possible dans la neige.
  • 2 sorties de 2h de vélo derrière une moto par semaine, et ce par tous les temps, parfois avec une combinaison en plastique rembourée de laine lorsque la température est au-dessous de zéro.
  • 1h de salle avec son club par semaine.
  • Et pour prendre soin de son corps, massage et séance de sauna tous les lundis et vendredis.

Si vous voulez devenir champion de cyclo-cross, vous avez désormais les outils nécessaires.

Albert part à l’entraînement du matin, ça pique un peu.

Le dimanche était réservé aux courses. Albert ZWEIFEL en gagnera environ 300 dans sa carrière, soit un taux de succès de 50%.

Assez bon grimpeur, il a participé à 16 Tour de Suisse, un record, ainsi qu’au Giro 1974, remporté par Eddy Merckx, qu’il finit au 88ème rang, et au Tour de France 1981, gagné par Bernard Hinault, qu’il achève 109ème. Il admet volontiers qu’il est un individualiste et que la route n’était pas vraiment son truc. Ces épreuves étaient surtout utiles pour se maintenir en forme en été en vue de la saison de cyclo-cross. Dans cette dernière discipline, il se forge un palmarès impressionnant:

  • 5 titres de Champion du monde (1976, 1977, 1978, 1979, 1986), 3 médailles d’argent et 2 médailles de bronze.
  • 9 titres de Champion de Suisse et 2 médailles d’argent.

En 1976, lors du Tour de Suisse, Albert Zweifel fait une grosse Tanguy Nef dans la descente du col du Gothard. Malgré ses blessures, il se relève et finit les 25 derniers kilomètres, terminant 10ème de l’étape. Après un contrôle à l’hôpital, à la stupeur des médecins, un traumatisme crânien lui est diagnostiqué et il est obligé d’abandonner. Cela ne l’empêchera pas, quelques mois plus tard, de remporter son premier titre de Champion du monde de cyclo-cross.

En 1980, le quadruple Champion du monde en titre a un boulevard, car l’épreuve se déroule cette fois chez lui, à Wetzikon (ZH). Albert est l’ultra-favori, et les attentes du public suisse sont énormes. Dans des conditions dantesques, il chute malheureusement à plusieurs reprises, notamment lors de l’emballage final. Aux dires de son soigneur, il lui faudra plusieurs mois pour retrouver le sommeil suite à cette désillusion.

La chute fatale lors des CM 1980 à Wetzikon.

Entre 1981 et 1984, il finira à chaque fois sur le podium de l’épreuve reine, mais sans remporter le titre.

Après un Mondial sans podium en 1985, Albert, alors âgé de 36 ans, participe à nouveau à l’épreuve en 1986 à Lembeek, en Belgique. À la suite de deux semaines de pluie ininterrompues, les conditions sont si épouvantables que le tenant du titre, l’Allemand Klaus-Peter Thaler, refuse de prendre le départ. 7 ans après son dernier titre, Albert Zweifel devient pour la 5ème fois Champion du monde. La Suisse réussit même un doublé, car un petit jeune, Pascal Richard, remporte la médaille d’argent. La relève est assurée puisque ce dernier gagnera le titre en 1988 et deviendra même champion olympique sur route en 1996.

En 1988, 20 ans après ses premiers Mondiaux de cyclo-cross, il participera une dernière fois à l’épreuve reine mais devra abandonner sur une chute.

Il quitte en 1989 le monde du cyclisme professionnel mais deviendra tout de même encore vice-champion du monde de VTT en 1991, catégorie vétérans.

La rédaction de cette article et les recherches effectuées m’ont permis de découvrir une pépite dans les archives de la RTS. Ce reportage commenté par le regretté Bertrand Duboux décortique la vie à ce moment-là du Champion. On entre dans sa nouvelle maison, « construite pour CHF 600’000.00 de l’époque sur un terrain qui lui appartenait déjà ». Albert Zweifel est peu à l’aise, il n’a pas envie d’être là. Pourtant, le journaliste insiste et on assiste à des séquences absolument cultes:

  • Une séquence d’au moins trente secondes s’attarde très longuement sur chaque membre de la famille prenant le petit-déjeuner.
  • Il est détaillé que Madame s’occupe de l’administratif, mais surtout des tâches ménagères, car les maillots sont forcément très sales.
  • Madame suit son mari durant les courses et vend divers gadgets à son effigie sur le capot de leur véhicule.

La boutique ambulante de Mme ZWEIFEL.

  • Gilles Blaser, adversaire et compatriote d’Albert Zweifel, qui a fini 2ème aux championnats du monde de 1979, explique avec un seum monumental qu’il essaie de s’entraîner pour arriver au niveau du champion, mais qu’en fait à chaque fois qu’il essaie de l’attaquer, que ce soit en compétition ou à l’entraînement, à vélo ou à la course à pied, il se prend un cartouche sanglante en contre-attaque. On a honnêtement de la peine pour lui.
  • La caméra suit Albert Zweifel jusque dans le sauna pour un moment surréaliste.

« Meet me in the sauna ! »

Après sa carrière, Albert Zweifel a partagé sa vie entre Rüti et Majorque, où il promène des touristes. J’ai été étonné de constater que ses coordonnées (adresses et téléphone) sont publiées sur search.ch ! Dernier fait, il a été renversé par une voiture près de Hambourg en 2016 qui l’a blessé grièvement. D’après son profil Facebook, Albert semble avoir retrouvé la santé et profiter de la vie en compagnie de son épouse qui n’est plus obligée de vendre des goodies pour financer la carrière de son mari.

Albert Zweifel aujourd’hui sur son profil Facebook avec son épouse. 

Encore un petit mot pour vous expliquer que nos amis belges, jamais en manque de créativité, on inventé une nouvelle variante à ce sport, qui fait appel encore à d’autres qualités: le cyclo-cross de bistrot:

Quotidien: La Coupe du Monde de cyclo-cross bistrot

 

Crédits photographiques:

Albert Zweifel aujourd’hui (portrait): Facebook Albert Zweifel

Toutes les autres photos sont des printscreens des reportages suivants disponibles sur le web:

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