Pigeon d’août 3 : Mathias Frank

En cette rentrée 2019, nous avons décidé de rendre hommage à un coureur cycliste. Fantomatique depuis deux saisons sur le Tour de France, dans le sillage d’un Romain Bardet inexistant, Mathias Frank se voit enfin nominer pour la plus prestigieuse des récompenses en Romandie.

Il m’est toujours apparu extrêmement difficile de taper sur un coureur cycliste vivant son métier par passion. Tel un ermite déconnecté, Mathias Frank mène une existence de puriste loin des écrans radars. Au centre d’une Suisse champêtre baignée par les lacs de montagne, le Lucernois fait partie des rares coursiers ne se pavanant pas sur les réseaux sociaux : son Facebook est privé, son Twitter est sous-alimenté et son Instagram inexistant. Dans un monde ultra-connecté, Mathias a pris pour habitude de parler avec ses jambes plutôt qu’avec sa bouche. Grimpeur talentueux, il a traversé les époques en étant fréquemment sous-coté. Chez BMC pendant des années, on ne lui a jamais vraiment donné sa chance sur les courses de trois semaines. En 2011, lorsque Cadel Evans remporte enfin le Tour de France sous le fameux maillot rouge et noir, Mathias est lui engagé sans succès sur les fronts du Giro et de la Vuelta.

En 2014, Frank change d’horizon en signant pour trois saisons dans la jeune équipe suisse IAM Cycling, alors plus petit budget du World Tour. Sans leader à choyer, il bénéficie désormais d’une liberté totale pour obtenir ses plus grands résultats. 4ème en 2014 et 8ème en 2016 du Tour de Romandie, 2ème du Tour de Suisse 2014, il devient de plus en plus régulier sur les courses helvétiques. Au Tour de France 2015, il termine même 8ème à Paris devant un certain Romain Bardet. Un an plus tard, à la Vuelta 2016, pour sa dernière apparition sous le maillot de IAM qui s’apprête à mettre la clé sous la porte, il obtient la plus grande victoire de sa carrière en remportant l’étape du mur de Mas de la Costa (3.8km à 12.5% de pente moyenne, avec un passage à 21%), au nord de la Communauté de Valence, au terme d’une échappée entre costauds.

A 30 ans, il signe alors chez AG2R La Mondiale pour devenir le lieutenant de luxe de Romain Bardet dans sa quête du Tour de France. C’est le début de l’embourgeoisement. Malgré un bon Tour de Suisse en juin, il ne pèse pas suffisamment sur le Tour 2017 auprès de son leader. Bardet, qui joue alors la victoire finale à Paris, ne peut compter sur Frank dans les étapes clés menant à Foix et au Puy-en-Velay, où AG2R aurait pu, aurait dû faire vaciller un Chris Froome alors prenable.

Au Tour de France 2018, le régional du lac des Quatre-Cantons n’est même pas initialement retenu dans le huit de départ. Le forfait de dernière minute d’Alexandre Geniez lui permet cependant d’en être, mais Mathias ne sera de nouveau pas d’une grande utilité pour Bardet qui, sans le soutien de son équipe décimée par les abandons, commence à reculer au classement général. A la sortie de la Grande Boucle, AG2R prolonge pourtant le contrat de Frank jusqu’à la fin de l’année 2020. La fameuse reconnaissance à la française : moins tu es bon, plus on te paye.

La palme du ridicule revient à cette année. Hors de forme sur toute la ligne, Romain Bardet est à la dérive sur les routes du Tour de France. Mathias Frank se complaît alors à emmener son leader en cyclotouriste dans les différents massifs montagneux. A près de 33 ans, le natif de Roggliswil ne cherche même plus à faire illusion. A l’instar d’un Steve Morabito finissant sa carrière en roue libre depuis trois ans chez Groupama-FDJ, le Lucernois profite d’un cyclisme français généreux, ayant les moyens de payer ses pré-retraités au prix fort, pour terminer tranquillement son chemin.

Devenu grassouillet chez AG2R, son coup de fourchette semble avoir définitivement pris le pas sur son coup de pédale. Le grimpeur qui voltigeait en montagne chez BMC et IAM au début des années 2010 n’étant plus que l’ombre de lui-même, Mathias Frank mérite amplement cette nomination aux Pigeons d’août 2019. Avant une dernière saison probablement effectuée dans l’anonymat, où nous ne pourrons plus l’apercevoir sur la moindre course de renom pour nous moquer de son rendement devenu famélique, ou tout simplement français.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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