Chris Froome, Ventoline et vent violent

Le mystérieux Britannique qui visait cet été une cinquième victoire au Tour de France a lourdement chuté lors de la reconnaissance du contre-la-montre du Dauphiné à Roanne. Sa carrière rocambolesque, entourée de soupçons de dopage chimique comme mécanique, a peut-être pris fin le 12 juin 2019 sur les bords de Loire…

Transparent depuis dix mois et sa troisième place conquise de haute lutte au Tour de France 2018, Chris Froome revenait progressivement à son meilleur niveau à l’approche de l’été. Pour la première fois depuis longtemps, il s’était même accordé une longue pause cet hiver après avoir enchaîné quatre Grands Tours en treize mois et réalisé l’impensable triplé Tour-Vuelta-Giro sur deux années calendaires ! Un triplé que personne n’avait encore jamais réalisé depuis que le Tour d’Espagne a été décalé au mois de septembre en 1995. Ce repos en réalité n’avait qu’un seul but : se régénérer mentalement comme physiquement afin d’aborder du mieux possible la Grande Boucle 2019 pouvant le faire entrer dans la légende aux côtés des Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain avec cinq victoires dans la plus grande course du monde.

Froome avec son fils et un supporter en Afrique du Sud.

Tout ça, c’était avant le mercredi 12 juin 2019 où le Kényan blanc tomba lourdement dans la descente de la côte de Saint-André-d’Apchon, surplombant la vallée encaissée de la Loire. Il avait lâché son guidon quelques secondes auparavant pour se moucher à haute vitesse, lui l’immense champion qui a toujours eu du mal à respirer à plein poumons dans sa carrière, et qui utilisait de la Ventoline, grâce à une autorisation à usage thérapeutique, pour justement mieux moucher ses adversaires en course. De la Ventoline au vent violent l’ayant déporté dans la descente de Saint-André, il n’y eut qu’un pas, une erreur d’inattention de cinq secondes tout au plus, ayant pour conséquence une chute terrible contre le muret d’une maison où il laissa tout son côté droit (fémur, coude, côtes et notamment vertèbres fracturés) ainsi que ses rêves estivaux dans l’opération.

Ce dernier crash à 34 ans est à l’image de la trajectoire sinusoïdale de Chris Froome. Champion révélé sur le tard, à plus de 26 ans, sur la Vuelta 2011 à laquelle il n’aurait jamais dû participer (il a remplacé au dernier moment un coéquipier forfait), sa carrière n’a jamais cessé d’être entourée de polémiques. Après avoir malmené son prétendu leader Bradley Wiggins en Espagne, puis encore davantage sur le Tour de France 2012, il avait obtenu les pleins pouvoirs de sa direction Sky au début de l’année 2013. Il y avait remporté sa première Grande Boucle dans une ambiance délétère, où la majorité des suiveurs l’avait accusé (sans preuve certes) de dopage mécanique. En effet, la mobylette de Nairobi avait effectué plusieurs démarrages surprenants en montagne, notamment sur le Mont Ventoux, où même Alberto Contador, alors au sommet de son art, avait dû courber l’échine puis se rasseoir sur sa selle, littéralement écœuré au passage du Chalet Reynard.

Froome poursuivi par un jaguar dans les Pyrénées.

L’année suivante, en 2014, Froome avait essuyé un nouveau scandale au Tour de Romandie en se faisant contrôler positif à un corticoïde (pour soi-disant soigner un coup de froid…) tout en étant couvert par l’Union cycliste internationale. Sur le Tour de France 2015, son vélo avait semblé une nouvelle fois s’emballer vers la station de ski de la Pierre-St Martin, à 110 tours par minute, dans des pentes avoisinant les 10%. Le reste du peloton, au bord de la crise de nerfs devant l’exploit athlétique invraisemblable réalisé par Froome, avait alors demandé de vrais contrôles sur les bicyclettes de la part des organisateurs afin d’en finir avec les rumeurs de moteurs embarqués dans le cadre ou la roue arrière. Plus jamais par la suite, on ne verra curieusement le Britannique reproduire ses envolées surpuissantes en montagne. Il construira ailleurs, plus patiemment, en descente comme en contre-la-montre, ses deux victoires suivantes au Tour de France.

Mais sur la Vuelta 2017 qu’il vient de remporter, il est de nouveau rattrapé par la patrouille avec un contrôle anormal à la Ventoline. Risquant deux ans de suspension et une fin de carrière prématurée, Froome s’offre alors les meilleurs avocats pour sauver sa peau. Contre sept millions d’euros et une défense acharnée de près de huit mois, il est finalement innocenté la semaine précédant le départ du Tour 2018.

Froome occupé à se monter le cou.

Entre-temps, il s’est adjugé brillamment le Tour d’Italie, et donc les trois Grands Tours à la suite, dans un nouveau scénario improbable dont lui seul a le secret. Diminué par une chute au départ d’Israël, il est méconnaissable pendant les deux premières semaines du Giro avant de renaître sur les pentes effroyables du Zoncolan, un des cols les plus difficiles d’Europe. À trois jours de l’arrivée, il semble pourtant avoir course perdue face à Simon Yates et Tom Dumoulin qui le précèdent de trois minutes au classement général. Mais Froome renverse le Giro dans le col du Finestre en partant seul dans la caillasse à 80 kilomètres de l’arrivée, comme au temps du campionissimo Fausto Coppi. Yates explosé, Dumoulin dépassé, suiveurs médusés, le leader du Team Sky s’empare du maillot rose sur les hauteurs de Bardonecchia à moins de 48 heures de l’arrivée à Rome. Il échoue deux mois plus tard à remporter un cinquième Tour de France mais Froome a réussi son incroyable tour de force : gagner les trois Grands Tours, qui plus est à la suite, qui plus est sous la menace d’une lourde suspension pour dopage. Qui dit mieux, qui dit pire ?

A 34 ans, sa lourde chute sur le Dauphiné conclut plus ou moins un long parcours chaotique. Né au Kenya de parents britanniques, ayant terminé sa jeunesse en Afrique du Sud seul avec son père, Froome n’a jamais été considéré comme un véritable Anglais au royaume de Sa Majesté. Bien qu’ayant toujours apprécié sa vie en Afrique, il a beaucoup souffert du manque de reconnaissance de ses concitoyens britanniques. Sans le sou, il a été contraint à l’exil pour effectuer sa formation de coureur au Centre mondial du cyclisme d’Aigle, en Suisse. Avant de devenir champion à près de 27 ans, il a également dû vaincre la bilharziose, une maladie sournoise dont il a mis des années à se débarrasser. Accusé de tout mais coupable de rien depuis son émergence au plus haut niveau, il y a huit ans, sur les routes de la Vuelta a España, Chris Froome a taillé sa route sous pavillon Sky et marqué l’histoire du cyclisme à sa manière. Malgré son enfance en Afrique. Malgré ses débuts compliqués en Europe. Malgré les soupçons permanents. Malgré la Ventoline. Malgré le vent violent ayant entraîné son dernier crash. Malgré lui en quelque sorte.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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1 Commentaire

  1. Juste un gros drogué qui a eu L’UCI derrière lui, (Bonjour Lance)
    Un dopage mécanisé de main maître par les ingénieurs (médicaux et mécaniques) dont l’équipe a sournoisement arrosé tout le monde (journalistes compris) pour s’extasier devant les performances improbables de cet imposteur

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