L’instant qui trique : Overcoming, au cœur de l’équipe cycliste CSC 2004

Le vélo a le vent en poupe sur Netflix. Après la série réalisée sur l’équipe espagnole Movistar, la multinationale américaine vient de mettre en ligne le film Overcoming nous montrant les coulisses de la sulfureuse équipe CSC, dirigée par le non moins sulfureux Bjarne Riis, sur le Tour de France 2004. Réalisée en 2005 par le Danois Tomas Gislason, cette œuvre cinématographique du pauvre n’avait guère retenu l’attention à la fin du septennat de Lance Armstrong. Alors que ses acteurs majeurs ont été rattrapés depuis par divers scandales de dopage, ce reportage prend désormais plus de saveur. Rien de bien transcendant, je vous rassure. Mais suffisamment pour le débriefer en photos d’époque avec impartialité et sérieux comme toujours !

Bjarne Riis avec Ivan Basso, Ivan Basso avec Bjarne Riis. Une aliénation père-fils, une admiration réciproque, un amour inavouable. C’est le fil rouge qui alimente ce reportage sans grand rythme où l’on n’apprend pas grand-chose de nouveau, 17 ans après les faits. On nous rappelle succinctement que Bjarne Riis a couru en Italie durant sa carrière de cycliste professionnel, qu’il parle couramment l’italien et qu’il aime travailler avec ces derniers.

Le docteur Luigi Cecchini qui l’a chargé comme une mule à partir de 1992 pour lui faire gagner le Tour de France 1996 est vaguement évoqué au détour d’une affaire de dopage impliquant l’un de ses porteurs d’eau, Andrea Peron. À la prononciation du nom de Cecchini, le grand manitou danois reste stoïque et imperturbable, comme si cette nouvelle n’avait aucune importance. En mai 2007, Riis admettra pourtant avoir couru à l’EPO une grande partie de sa carrière sous les ordres de Cecchini et notamment gagné la Grande Boucle grâce à son aide. Trois ans plus tôt, au moment de tourner ce reportage, il ne semble à priori pas du tout au courant de ses pratiques…

S’il adore les Italiens, Riis se méfie énormément des Espagnols qu’il juge trop solitaires et mystérieux à son goût. Avec Carlos Sastre, son autre leader chez CSC, le courant passe mal une grande partie du film. Riis lui reproche entre autres de ne pas s’entraîner sérieusement, de ne pas utiliser les capteurs de puissance mis à sa disposition, de lever le pied à la moindre contrariété physique et de trop s’investir dans sa vie de famille (Sastre devient père d’une petite fille juste avant le départ du Tour de France 2004). Le Danois a d’ailleurs débauché Ivan Basso à l’intersaison pour supplanter Sastre en qui il ne croit pas. Riis répète à foison que Basso est un crack, qu’il le considère comme son fils et qu’il gagnera un jour le Tour de France. 17 ans plus tard, Basso n’a jamais remporté la Grande Boucle. Carlos Sastre, lui, l’accrochera à son palmarès en 2008, sous les ordres d’un certain… Bjarne Riis. Pas franchement visionnaire tout ça !

Overcoming s’articule autour de la personnalité complexe, taciturne et mégalomane de Bjarne Riis. Celui-ci ne s’entend bien avec personne. Ni avec ses coureurs (hors Ivan Basso), ni même avec les membres de son staff. A la fin du film tourné à l’arrivée du Tour de France 2004, le Danois effectue même un début de psychanalyse pour tenter de s’améliorer dans son rôle de directeur sportif qui a tendance à brider ses coureurs plutôt qu’à les sublimer. Bref, rien de nouveau sous le soleil de Copenhague pour « Monsieur 60 % », surnom en référence à son hématocrite supposé du temps où il faisait passer le peloton du Tour 1996 pour des simples cyclotouristes dans la montée d’Hautacam.

Au début du reportage, nous découvrons une image exclusive d’Ivan Basso dans une piscine tentant d’améliorer sa respiration en s’adonnant à la pratique de l’apnée. Cela pourrait s’apparenter au scoop du film… sauf que deux ans plus tard, au printemps 2006, la presse révélera que Basso travaillait davantage sa respiration dans un laboratoire madrilène en y faisant prélever et congeler son sang en vue des grandes échéances. C’est le début de l’Opération Puerto qui aboutira sur la suspension d’une cinquantaine de coureurs cyclistes de premier plan pour fricotage avec l’infréquentable docteur Eufemanio Fuentes.

Lâché par son équipe CSC et suspendu ensuite deux ans pour dopage, Ivan le Terrible ne retrouvera jamais son niveau d’avant. Il ne gagnera par conséquent jamais le Tour de France que Bjarne Riis lui prédisait tant. La grande histoire d’amour entre les deux hommes s’arrêtera d’ailleurs à l’occasion de cet énorme scandale de dopage modifiant une grande partie des classements des années 2000 (Jörg Jaksche, Frank Schleck et Tyler Hamilton, également passés un temps sous les ordres de Riis chez CSC, se feront également rattraper par ce vaste coup de filet).

Comme la majorité des sports collectifs, le cyclisme n’échappe pas à la loi des clans. Dans cette équipe CSC de Riis, on voit clairement qu’il y a les Italiens au service d’Ivan Basso et les autres au service d’eux-mêmes ou de Carlos Sastre. Riis reproche constamment à ce dernier de ne pas être assez professionnel, ce qu’il faut traduire dans son langage de ne pas assez faire le métier (comprendra qui pourra). En effet, Sastre est un doux rêveur qui préfère se réfugier dans les valeurs familiales que dans le travail acharné. Il ne conçoit pas le cyclisme de la même façon que le milieu de l’époque prêt à tous les subterfuges pour gagner, ce qui lui vaudra l’immense honneur de ne jamais se faire contrôler positif, ni d’être impliqué dans la moindre affaire de dopage de toute sa carrière : une performance rare pour un vainqueur du Tour de France, encore plus pour un Espagnol. Il suffit juste pour cela de regarder la liste des clients du docteur Fuentes…

Au milieu du reportage, Sastre évoque la mort de son beau-frère José María Jiménez, lui aussi coureur cycliste professionnel, emporté par les ravages de la drogue très jeune, comme Marco Pantani, une fois sa carrière terminée. Son témoignage émouvant en dit long sur sa relation fusionnelle avec Jiménez comme sur sa vision du monde. Sastre fait souvent banc à part dans cette équipe CSC, ne s’embarrassant pas de communiquer plus que ça avec ses coéquipiers (il justifie d’ailleurs souvent son mutisme par le fait qu’il parle très mal anglais). A la naissance de sa fille juste avant le départ du Tour, il invite pourtant plusieurs membres de l’équipe à El Barraco, dans ses montagnes perdues à l’ouest de Madrid, où il vit humblement en famille. Entre ces vieux Castillans jamais descendus de leurs collines et cette CSC mondialiste rêvant de conquérir le Tour de France à tout prix, la scène en est parfois dérangeante.

Jakob Piil a un message à vous faire passer dans ce reportage et son majeur tendu en l’air en dit long. Avec son bronzage sexy propre aux coureurs cyclistes faisant rêver toutes les femmes du monde, sa dégaine nous rappelle immédiatement celle d’un certain Benoît Poelvoorde dans Le Vélo de Ghislain Lambert tourné trois ans plus tôt, en 2001. On mettrait presque notre main à couper que cette scène a été tournée en hommage au film culte de Philippe Harel.

Comme Ghislain Lambert, Jakob Piil est une véritable pile électrique qui écrase constamment ses pédales déraisonnablement, que ça soit en échappée à l’assaut d’une hypothétique victoire d’étape, ou dans le peloton pour protéger ses leaders. Cela lui coûtera des douleurs musculaires en deuxième partie de Tour de France le contraignant à l’abandon. Avec Kurt Asle Arvesen et Jens Voigt, il est le roule-toujours de l’équipe. Piil n’est pas considéré à sa juste valeur par Riis qui lui préfère naturellement Ivan Basso, leader comme lui du temps de sa régence. Là aussi, on n’apprend pas grand-chose de sensationnel. On nous rappelle juste que le rôle de domestique est le plus ingrat qui soit dans le sport cycliste.

Overcoming se termine par la désarroi total de Michele Bartoli qui se saoule abondamment le soir de son retrait du Tour de France. Numéro 1 mondial au paroxysme des années EPO, le champion italien n’est plus que l’ombre de lui-même à 34 ans. Il vit très mal cette fin de carrière loin de ses espérances et ne remontera d’ailleurs jamais sur un vélo après cela. Là encore, le reportage nous montre combien le métier de coureur cycliste est un sacerdoce et combien la détresse morale peut envahir tout coureur à n’importe quel moment, même un type qui a gagné une cinquantaine de courses dont les plus grandes classiques du calendrier.

Bjarne Riis, son directeur sportif, semble là aussi peu réceptif aux états d’âme de Bartoli contre qui il a couru en compétition quelques années auparavant. Le film se termine par une introspection de Riis qui n’apporte rien au documentaire si ce n’est sa connivence avec le réalisateur Tomas Gislason. A défaut de remporter la Grande Boucle 2004 avec Ivan Basso, Bjarne Riis se sera donc consolé en se faisant filmer le temps d’un été par un vieux pote sur les routes de France (la piètre qualité des images par rapport à aujourd’hui rappelle en outre l’âge d’or du caméscope). Ça n’envoie pas du rêve mais ça aura eu le mérite de m’évader une heure et demie au cœur de cette pandémie interminable.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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