Vuelta 2020 : résumé

Disputé inhabituellement au cœur d’un automne frais et humide suite à l’épidémie de coronavirus, la Vuelta aura accouché d’un duel haletant entre le tenant du titre Primoz Roglic et le vainqueur du Giro 2019 Richard Carapaz. Si le Slovène aura couru une nouvelle fois en épicier, il tiendra finalement bon le dernier samedi sur les pentes frisquettes de la Covatilla, où un Carapaz déchaîné lui aura mené la vie dure jusque dans les ultimes kilomètres de ce Tour d’Espagne si particulier. De l’autre côté des Pyrénées, on retiendra les stratégies toujours douteuses chez Movistar, l’ascension mythique de l’Angliru ainsi que les deux victoires de David Gaudu en haute montagne. Refermé un 8 novembre, la Vuelta aura été l’épilogue d’une curieuse saison 2020 entamée aux antipodes en janvier, arrêtée en mars pour cause de COVID-19 et dont les rendez-vous majeurs furent disputés finalement sur 100 jours entre fin juillet et début novembre. Vivement un vaccin, vivement 2021 !

La paix des braves entre Carapaz et Roglic sous le regard de Dark Vador !

1. Enfin un duel intense entre Jumbo et Ineos en Grand Tour

Si l’équipe Ineos Grenadiers n’avait pas existé en septembre sur le Tour de France suite au cuisant échec de son leader, le vainqueur sortant Egan Bernal, son principal adversaire Jumbo-Visma en aura fait de même en octobre sur le Giro après le test positif de son homme fort Steven Kruijswijk, entraînant dans la foulée le retrait de toute l’équipe néerlandaise. Ces deux fiascos inattendus nous auront donc privés d’un duel féroce entre les deux plus grandes équipes du moment sur les deux plus grandes courses du monde. Ne restait alors plus que la Vuelta pour voir enfin les machines en jaune défier les robots en noir sur un Grand Tour en cette saison 2020 raccourcie de moitié.

En Espagne, le duel attendu entre Primoz Roglic (Jumbo-Visma) et Richard Carapaz (Ineos Grenadiers) aura tenu toutes ses promesses d’Irun à Madrid, du Pays basque à la capitale. En effet, les deux hommes se seront échangés le maillot rouge de leader à tour de rôle sans que l’un ne prenne jamais plus d’une minute d’avance sur l’autre (Roglic fut 13 fois leader de la course contre 5 à Carapaz sur cette Vuelta réduite à 18 étapes après le départ avorté des Pays-Bas).

Les vainqueurs du Giro et de la Vuelta 2019 firent globalement jeu égal en montagne mais Roglic chassait comme toujours les fameuses secondes de bonifications, cruciales lorsque les écarts restent minimes. Le Slovène en amassera 48 contre 16 à Carapaz, soit une différence de 32 secondes qui aurait inversé le résultat final de cette Vuelta que le leader de Jumbo remportera finalement pour 24 petites secondes sur la place de Cybèle devant Carapaz, et 75 sur le surprenant grimpeur britannique Hugh Carthy.

Après son craquage total en fin de Tour de France face à son compatriote Tadej Pogacar, « Rogla » conserve donc la Vuelta dans son escarcelle avec en prime quatre victoires d’étape : les arrivées au sommet d’Arrate et Moncalvillo, le sprint pour puncheurs à Suances ainsi que le seul contre-la-montre disputé cette année, en Galice.

Entre ces deux Grands Tours inhabituellement rapprochés, le Slovène aura également fini 6ème du Mondial à Imola et braqué son premier Monument, Liège-Bastogne-Liège, sur un malentendu. En effet, survolté par son maillot arc-en-ciel décroché une semaine plus tôt en Italie, Julian Alaphilippe lança son sprint de bien trop loin sur le quai des Ardennes et fit un écart qui coupa l’élan de Marc Hirschi et Tadej Pogacar. Non content de cette faute grossière, le Français leva ensuite les bras trop tôt et finit par se faire sauter sur la ligne par Roglic qui n’en demandait pas tant. Ce dernier conclut donc sa saison avec 12 victoires au compteur. Un sacré exploit quand on sait que le leader de Jumbo-Visma n’avait même pas eu le temps de renfiler un dossard cet hiver avant la suspension de la saison pour cause de COVID-19.

Il est à noter également que les écarts en Grand Tour cette année n’auront jamais été aussi faibles entre le vainqueur et son dauphin. Si Tadej Pogacar domina Primoz Roglic pour 59 secondes sur la Grande Boucle, Tao Geoghegan Hart remporta le Giro d’Italia pour 39 secondes face à Jai Hindley, avant que Primoz Roglic ne domine donc Richard Carapaz sur la Vuelta pour seulement 24 secondes. Drôles de différences enregistrées fin 2020 après trois semaines et trois mille kilomètres de baston dans les trois grands pays du vélo. Comme l’EPO en son temps, le coronavirus aura bien entraîné un nivellement par le haut et un suspense haletant jusqu’au dernier week-end.

Papy Valverde prodiguant ses stratégies douteuses à ses fils Enric Mas et Marc Soler…

2. Les errances habituelles de l’équipe Movistar

Bien que cette Vuelta 2020 reposait sur un duel intense Roglic – Carapaz sur fond de guerre Jumbo – Ineos, l’équipe Movistar ne put s’empêcher comme chaque année de mettre son grain de sel dans la danse. Affaiblie par les départs conjoints à l’intersaison de Mikel Landa, Nairo Quintana et Richard Carapaz (on se demande encore comment leurs dirigeants ont pu faire ce choix aussi stupide) qui ne furent compensés que par l’arrivée du seul Enric Mas, la vieille structure ibérique aura montré ses limites comme rarement dans son pays. Seulement cinquième du général avec Mas comme au Tour de France, elle sauvera ses deux Grands Tours par une nouvelle victoire au classement par équipes. Classement dont tout le monde se contrefout au passage, surtout en cette année de pandémie.

La vérité est qu’à 40 ans, leur capitaine de route Alejandro Valverde avance moins. D’un côté, on a envie de se dire enfin. De l’autre, on ne comprend pas comment le coureur le plus complet du XXème siècle décline, lui qui finissait déjà troisième de la Vuelta en 2003 et encore deuxième l’an passé, seize ans après. Moins performant, El Bala signera pourtant un nouveau Top 10 en Grand Tour : le 20ème en carrière, le 11ème sur la Vuelta.

Le Murcian apparaît aujourd’hui comme le recordman de Top 10 sur les courses de trois semaines, devant des mastodontes de longévité comme Gino Bartali, Felice Gimondi ou encore son compatriote Pedro Delgado, tous trois bloqués à 18 en carrière, dans une époque où le cyclisme n’était pas encore mondialisé. Cela classe un peu le niveau de performance du bonhomme , tout comme l’étendue de son palmarès. Mais depuis son titre de champion du monde acquis de haute lutte à Innsbruck en 2018, Valverde s’inscrit davantage dans un rôle de père fédérateur que dans celui de leader unique. Pour preuve, il a pris Marc Soler et plus récemment Enric Mas sous son aile, avec qui il semble même avoir noué une complicité sans faille.

Sur cette Vuelta disputée tardivement dans l’année, Movistar disposait donc de trois cartes dans son jeu. Elle aura envoyé à tour de rôle Soler et Valverde dans les échappées, tout en préservant Enric Mas pour le classement général. Si Marc Soler remporta la deuxième étape à Lekunberri sur les terres navarraises de son employeur, il courra le reste de cette Vuelta à contretemps. Fort sous la pluie comme dans le froid, le Catalan espérait logiquement une course d’usure pour tirer son épingle du jeu. Mais Jumbo et Ineos le tinrent parfaitement en respect dans les dix premiers jours de course et Soler finira par s’épuiser seul dans le vent. Valverde en fera plus ou moins de même quand Mas découvrira progressivement ses limites à la pédale face à Roglic, Carapaz et Carthy.

Perdu pour perdu, la téléphonie ibérique se rappellera au bon souvenir de Richard Carapaz dans la dernière grande étape de montagne, la veille de l’arrivée à Madrid. Parti dans la polémique l’an passé de Movistar pour Ineos, l’Équatorien était sur le point de renverser Roglic dans les derniers kilomètres de la Covatilla pour s’adjuger ni plus ni moins la Vuelta. Mais Soler et Mas se regroupèrent derrière pour emmener face au vent le Slovène dans les ultimes pourcentages de l’ascension. Primoz sucera ces roues inespérées avant de sprinter dans le dernier kilomètre pour limiter la casse et remporter pour moins de 30 secondes son second Tour d’Espagne.

Après les affronts infligés à Quintana ces dernières saisons, l’Amérique du Sud se mettra une nouvelle fois à conspuer Movistar en l’accusant ce coup-ci d’avoir volontairement empêché Carapaz de gagner cette Vuelta. Beau perdant et grand homme, l’Équatorien esquivera la polémique à Madrid. Incapable de remporter un Grand Tour avec un coureur du sérail depuis une décennie (Valverde est le dernier d’entre eux à avoir réussi cette performance mais cela remonte déjà au Tour d’Espagne 2009), Movistar annoncera dans la foulée le recrutement de Miguel Angel Lopez, le cascadeur colombien d’Astana qui traitait pourtant Valverde et ses coéquipiers d’idiots ici-même l’an passé. Ça promet pour 2021 !

Les monts Cantabriques remettent au goût du jour les séances de zigzag dans du 23% !

3. Toujours magique, l’Angliru accouche d’une souris

Pour avoir gravi les plus grands cols d’Europe à vélo avant de me casser la jambe, je peux dire que seulement deux ont failli me faire mettre pied à terre dans ma vie d’avant : le Zoncolan en Italie, cher à Chris Froome, et l’Angliru en Espagne, propriété d’Alberto Contador. Il est difficile de différencier ces deux monstres sacrés tellement ils présentent des caractéristiques similaires : un endroit sauvage digne du bout du monde, des pourcentages la plus grande partie du temps à deux chiffres, des passages parfois supérieurs à 20% et un défi athlétique qui ferait passer n’importe quelle autre escalade de col pour une balade de santé.

Pour un simple amateur comme moi, gravir l’Angliru n’est déjà plus du vélo mais de la survie. Pour un cycliste professionnel, l’expérience est parfois sensiblement la même comme en atteste la photo ci-dessus montrant un modeste coureur de l’équipe Burgos BH zigzaguer dans la partie la plus raide à 23%, appelée La Cueña les Cabres pour les intimes et située à 3 kilomètres du sommet. En découvrant ce cliché improbable, tu sens clairement que le grand gaillard en violet aurait préféré passer son dimanche 1er novembre affalé dans son canapé à regarder Michel Drucker ou Celta Vigo – Real Sociedad plutôt que de se coltiner cette vacherie infâme asphaltée en 1999 pour magnifier les exploits de mobylettes alors sous EPO (le premier coureur à s’être imposé au sommet de l’Angliru, José María Jiménez, est d’ailleurs décédé des ravages du dopage et de la drogue quatre ans plus tard, fin 2003).

Sur ce Tour d’Espagne 2020, tous les coureurs se valent dans la montée mythique des Asturies. Enric Mas tente bien de s’extraire du groupe des favoris pour sauver la Vuelta (et la saison) de son équipe Movistar mais il est rapidement pris en chasse par Carapaz, Vlasov et Carthy. Ce dernier l’emporte à 1570 mètres d’altitude dans l’indifférence générale étant donné que les supporters et les vaches n’ont pas été autorisés à se hisser sur la pente en ces temps difficiles de pandémie.

Réputé pour creuser habituellement des écarts pharaoniques, le classement général se resserre cette année au sud-ouest d’Oviedo. En ne reprenant qu’une poignée de secondes à Roglic sur un terrain censé lui être plus favorable, Carapaz sait que la Vuelta est sur le point de lui échapper après deux semaines de baston dans le nord de l’Espagne. Héroïque le surlendemain sur le contre-la-montre disputé le long de l’Atlantique en Galice, l’Équatorien devra malgré tout céder son beau maillot rouge de leader au Slovène et ne le reverra plus d’ici Madrid. Bien qu’accrocheur jusque sur les dernières pentes de la Covatilla, le vainqueur du Giro 2019 aura manqué le coche là où il était le plus en mesure de faire basculer la course, sur l’inhumain Alto del Angliru.

Délesté de son leader Thibaut Pinot, David Gaudu lève enfin les bras en Grand Tour.

4. Petit prince de Bretagne, Gaudu devient roi d’Espagne

L’équipe Groupama-FDJ vit une saison 2020 en dents de scie. Méconnaissable sur le Tour de France après la cabriole initiale de son leader Thibaut Pinot dans les rues de Nice, elle a survolé le Giro d’Italia grâce à Arnaud Démare, victorieux de quatre sprints massifs et lauréat du maillot violet cyclamen.

Sur cette Vuelta tardive, la formation française recompose son fameux duo de grimpeurs Pinot – Gaudu. Mais comme au Tour de France, tout débute mal pour elle puisque Pinot est contraint à l’abandon dès le troisième jour de course, toujours pas remis de ses maux de dos contractés sur la Grande Boucle et clairement soucieux d’en finir au plus vite avec cette saison 2020 décevante pour lui. Avec ce retrait précoce, le Franc-Comtois entretient également sa légende peu glorieuse d’un Grand Tour sur deux terminé. En effet, il totalise maintenant 4 abandons en 8 participations au Tour de France, 1 sur 2 au Giro et 2 sur 4 sur la Vuelta, ce qui porte son bilan à 7 désertions en 14 participations sur un Grand Tour : une hérésie pour un coureur de sa trempe.

Libéré de son leader affaibli, David Gaudu monte lui progressivement en régime. Incapable de suivre les meilleurs à la pédale, il décide d’anticiper en prenant les échappées de loin. Cela se solde par deux succès retentissants au sommet de la Farrapona en enrhumant au sprint Marc Soler dans les Asturies, puis sur les hauteurs de la Covatilla en l’emportant en solitaire dans les montagnes du nord de Madrid.

Adepte du mauvais temps, le petit prince de Bretagne devient roi d’Espagne en ce frisquet mois de novembre 2020. Il finit également 8ème de sa première Vuelta, son premier Top 10 en Grand Tour, ce qui ouvre les portes à toutes les spéculations chez nos voisins français, toujours prêts à s’enflammer à la moindre performance d’un de leurs jeunes compatriotes.

Avec le profil du Tour de France 2021 qui s’élancera d’ailleurs de chez lui en Bretagne, il est clair que David Gaudu en sera, comme il est également évident que ce dernier apparaîtra encore trop tendre et trop isolé au sein de sa formation (Arnaud Démare revient dans le même temps sur la Grande Boucle avec son train dédié) pour peser réellement sur le classement général.

Alors amis français, restez calme avec votre prétendue relève. Car il y a de grandes chances que le tennis helvétique remporte encore plusieurs Grands Chelems avant que vous ne réussissiez un jour à vous trouver un successeur à Bernard Hinault sur le Tour de France…

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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