Edito : le sport retrouvera-t-il vraiment un jour tout son public ?

DIX MOIS. Cela fait plus de dix mois que le sport occidental se joue sans public ou presque. Et c’est chiant du sport sans public. Mais en fait, à part les mordus de chez mordus et les sportifs eux-mêmes, est-ce que cela dérange vraiment quelqu’un ?

Les fêtes de Noël sont passées. C’était chouette de se voir à dix. Ou à onze ou douze si la fenêtre ne donne pas directement sur celle du voisin. On s’est bien marrés. Mais de quoi avez-vous vraiment parlé devant le sapin ? Peut-être de votre cousine qui est enceinte. Ou de votre neveu qui suit ses cours universitaires depuis sa chambre en bordel. Ou encore d’Alain Berset. Et puis des complotistes (est-ce qu’ils le sont vraiment ? Toussa, toussa…). Ou de la courbe, cette fameuse. Et enfin, si votre famille est blagueuse, vous avez peut-être lancé les paris sur lequel des invités aura envoyé mémé à l’hosto, voire pire si son système immunitaire défend aussi bien que la Nati. Bref, vous avez parlé de tout et de rien. Mais qui a parlé de sport ? Pas un « Tieu t’as vu la branlée qu’ils se sont prise hier ? ». Ni de « quel bras cassé ce Petkovic » ou de « Djokovic, mais je le déteste tellement ce type ». Pourtant, il y a du hockey, du foot, de la voile et de la pétanque (oui je regarde La Chaîne l’Equipe) tout le temps à la télé mais tout le monde s’en fout visiblement.

Ah oui en passant, si vous avez jamais vu le best of de Philippe Quintais, vous avez raté votre vie. Et c’est très sérieux. 

Quand je dis que tout le monde s’en fout, j’exagère un poil. Il y a bien les journalistes sportifs qui essaient de s’enflammer mais bon c’est leur boulot après tout. Les vignerons vont pas arrêter leur production juste parce que le Dry January est à la mode… Ben pour les journaleux, c’est pareil. Et n’oublions pas les mordus, les vrais ! Ceux qui mettent leur treizième dans l’abonnement de chaînes payantes pour suivre les autres équipes que la leur ou ceux qui vont regarder 150 fois le résumé du match de leur formation sur YouTube. Ceux-là sont et seront toujours là. Tout comme le fils de Bernard Challandes, la mère d’Etienne Froidevaux et la soeur de Neymar mais ils sont un petit peu obligés aussi. Ou encore les inconditionnels de Fantasy Premier League ou de Mon Petit Gazon. Mais au-delà de ça ? Les deuxièmes lames, les supporteurs-consommateurs comme on dit, où sont-il ? Volatiles au point qu’ils ont déjà tourné le dos au sport et trouvé d’autres types d’activité à consommer ?

Cela serait vraiment embêtant car le modèle économique de beaucoup de clubs dont les nôtres est basé sur eux, les supporteurs-consommateurs. La présidente du HC Biou Stéphanie Mérillat mettait le doigt sur cette problématique début novembre sur le plateau des Puckalistes : « Même quand on avait le droit d’avoir 3’700 personnes dans la patinoire (2/3 de la capacité), on ne les avait pas tout à fait (…). C’est dommage parce qu’on avait un produit en National League qui était excellent, une des meilleures ligues en Europe qui amenait du public dans les patinoires. Et ça on risque de le perdre à plus long terme. »

Pas de ruée sur la télévision

Les enceintes sont vides, dont acte. Mais personne dans les stades veut-il dire plus de monde devant la télé ? Bingo, encore raté ! Dans cet excellent article de La Liberté qui interroge les responsables de la RTS, MySports et Blue Sports sur cette question, on apprend que les audiences n’ont pas augmenté. On y parle de « base qui est restée fidèle » pour les uns, de chiffres d’audience « consolidés » pour les autres. Bref, entre les lignes, ça veut dire que tous sont déçus et qu’ils limitent la casse. Et honnêtement, c’est un brin surprenant. C’est comme si on interdisait aux gens de s’envoyer en l’air mais que personne ne se réfugiait vers le porno pour remédier à ce manque. C’est à ne rien n’y comprendre. Pour ne rien vous cacher, on ressent la même chose en scrutant les chiffres de Carton-Rouge à la fin du mois. Hors ski alpin et John Nicolet, le nombre de vues n’est pas folichon. Et pourtant, on est tout aussi nuls qu’avant. Fichue morosité ambiante !

Peut-être que dans quelques mois le sport redeviendra à la mode, que le manque sera trop grand, même chez les supporteurs-consommateurs volatiles. Après tout, cette crise nous apprend à être humble et à ne pas faire de conclusion hâtive. Reste que le pressentiment général (rien de moins que le mien donc…) n’incite pas à beaucoup d’optimisme.

Et comme d’habitude, si l’éloignement des supporteurs-consommateurs vers d’autres centres d’intérêt se poursuit, les petits trinqueront alors que les dominants s’en foutront. Franchement, est-ce que Jack à la compta d’Arsenal, Gérard à la négociation des droits télés de la Ligue 1 et John-Connard, analyste financier à la FIFA, en ont quelque chose à foutre d’avoir du public dans les stades ? Ok le produit serait plus attractif avec des tribunes pleines mais le but premier est de se faire un max de pognon non ? Et si le modèle qui veut que l’on aille au stade doit changer, il changera.

Consommer le sport tout seul

Aujourd’hui, hors compétitions internationales ou grandes affiches sur la chaîne publique, quasiment plus personne n’invite des potes pour voir un match car trop peu d’entre-nous ont accès aux chaînes payantes. Et en plus les bars sont fermés pour remédier à cela. Les mordus sans argent matent ainsi leur équipe sur des sites de streaming piratés tout seul sous leur couette. On ne va pas reparler de porno mais c’est la même idée. Aucun partage, pas plus d’échange ni de transmission. L’ancrage du sport dans la société risque de sauter une voire deux générations mais tout le monde s’en fout. Enfin surtout les puissants. Mêmes les supporteurs-consommateurs volatiles ne les intéressent plus. Ben oui, désormais, c’est les super-super consommateurs super-super-super volatiles qu’ils faut viser. C’est un plus gros marché vous comprenez. Jusqu’au jour où on aura la bonne idée de recentrer le sport sur ce qui se passe dans son antre.

J’espère me tromper. Et qu’est-ce que je ne donnerais pas pour retourner dans un stade plein ou une patinoire bondée. Mais ce n’est pas pour tout de suite. D’aucuns qui ont peut-être raison diront que je me plante et que tout reprendra comme avant. C’est leur théorie. Et comme disait Desproges : « Un jour, j’irai en Théorie car en Théorie tout se passe bien. »

Sur ce, un grand merci aux mordus qui nous suivent et qui continuent à le faire. On se voit l’année prochaine comme disent tous les relous.

 

Crédits photographiques :

Stade vide : bigup21/CC0/Wikimedia Commons: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Stade_de_France_vide_-_panoramio.jpg 

A propos Pierre Diserens 75 Articles
Comment est votre blanquette ?

Commentaires Facebook

1 Commentaire

  1. Déjà quand on voit que la plupart des jeunes fan de foot s’affichent avec un maillot d’un club anglais ou espagnol et ne connaissent pas les résultats du « club cantonal » ça montre dans quelle direction on se dirige.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.