Arnaques, Corée – Italie et Botanique

Ah, la période de Noël. Peut-être la plus propice pour se poser au coin du feu, un bon stout chocolat chaud à la main, et écouter Père Castor nous raconter une histoire. Sauf qu’autant je veux bien faire Père Castor, autant j’aime pas trop Noël. Je préfère même Halloween. Donc, comme compromis, je vous propose une histoire qui fait peur : la descente aux enfers de Byron Moreno. Booooouuuuh ho ho ho !

Naissance et jeunesse d’El Justiciero

Cette histoire commence le 23 novembre 1969 à Quito, en Equateur, lorsque naît le alors très très jeune Byron Aldemar Moreno Ruales. Qui ? N’ayez crainte, vous le saurez bien assez vite. En ces temps immémoriaux, pour moi en tous cas, l’Angleterre est encore championne du monde. Le Paris Saint-Germain n’existe pas. Et Michel Drucker n’a que 27 ans (j’avais dit que cette histoire allait faire peur). Mais revenons sur Byron. Dans son enfance, il s’intéresse, comme nombre de ses amis, au football. Adolescent, il passe même par le centre de formation du Deportivo Quito. Mais hélas, comme tant de jeunes talents manifestement pas assez talentueux, il ne percera jamais chez les pros. Notre ami est donc « frustré » – ce n’est pas moi qui le dis, mais un journaliste équatorien – et, comme beaucoup de footballeurs frustrés, décide de devenir arbitre afin d’apaiser sa jalousie en se défoulant sur ceux qui étaient meilleurs que lui.

C’est ainsi qu’à 19 ans seulement, le jeune Byron dirige son premier match officiel et qu’à 22 ans il sévit en première division. Moreno est alors un jeune arbitre mais qui a visiblement dû être eunuque au manoir Playboy dans une autre vie pour avoir autant de frustration en stock. Il se distingue notamment par sa facilité à distribuer des cartons de toutes les couleurs – on reste dans le thème de Noël et du partage -, quitte à faire se terminer des matchs prématurément si une équipe ne compte plus assez de joueurs pour aller au bout. Aux dires de ses pairs, il était très respecté. Ça doit être comme ça que l’on dit « craint » en Equateur. Mais le fait est qu’il se fait rapidement son surnom : El Justiciero. Première ironie de l’histoire, vous allez comprendre.

Malgré ses méthodes extrêmes, le jeune Byron gravit rapidement les échelons de l’arbitrage national, puis international, étant officialisé arbitre FIFA en 1996, à 27 ans à peine. À partir de là, le conte de fée commence pour le justicier à la carte aisée. Il arbitrera en Copa America, en Copa Libertadores, aux éliminatoires pour la Coupe du Monde et même au Mondial M17. Mais dans l’ombre, les polémiques commencent. Fleurissent ça et là des mythes à propos de la sauvagerie de Byron. Trois expulsions lors d’un match entre Medellin et Universidad de Chile. Cinq puis sept lors de matchs du championnat équatorien. Trois encore en Copa America lors d’un Argentine-Bolivie que les albicelestes ont fini à huit. Le véritable Byron rouge. La Nacion, un journal Argentin, pointe d’ailleurs du doigt ses scandales en 2000. Cela n’empêche pas El Justiciero de poursuivre son irrésistible ascension, malgré les paroles d’un membre de la Confédération sud-américaine qui le qualifie de « meilleur du pire » parmi les arbitres du continent. Remarquez, c’est toujours mieux que d’être le pire du pire hein.

Petit défi : À votre avis, quelle est la couleur préférée de Byron ? (Il y a un indice sur la photo)

Un certain 18 juin 2002…

Mais Byron Moreno s’en fiche. Lui, son rêve, c’est de participer à une Coupe du Monde. C’est même pour cela, en plus de sa frustration, qu’il a voulu faire arbitre. Et aussi parce qu’il dit aimer la justice, deuxième ironie de l’histoire. Quoi qu’il en soit, ce rêve se réalise en 2002, lorsqu’il est nommé pour diriger des rencontres du Mondial qui se dispute au Japon et en Corée. Non, pas cette Corée-là. C’est à cette occasion que tout bascule pour le justicier pas masqué : après un premier match sans histoire en phase de groupes, il est désigné pour arbitrer le tristement célèbre Corée du Sud – Italie… Je sais que, pour tout fan transalpin lisant ces mots, cela provoque instantanément des symptômes proches du SSPT. Si cela est ton cas, passe le prochain paragraphe qui retrace ce match.

Car lors de ce dernier, ce cher Byron produit l’une des pires performances arbitrales de l’histoire. La preuve, tous ceux qui ont vu ce match s’en souviennent, presque 20 ans après. Cela commence par un pénalty très généreux sifflé pour les locaux, que Buffon détournera. Puis il enchaîne avec deux grosses fautes coréennes – dont une qui coûta une cuisse à ce pauvre Zambrotta – qui auraient pu, chacune, valoir un rouge mais qui seront traitées avec une extrême clémence. Byron continue son récital. Une première situation litigieuse avec Totti dans la surface asiatique n’est pas sifflée. Puis viennent les prolongations, alors que le score est de 1-1. Des prolongations stressantes, suffocantes même, car se jouant avec le fameux but en or. Et des prolongations qui sont le théâtre de la suite de la masterclass de l’homme – pour le coup vraiment – en noir. Tout d’abord, Totti s’écroule à nouveau dans la surface. Byron siffle mais… expulse l’Italien ! Si ne pas donner de pénalty est compréhensible, puisque le Coréen joue bien le ballon, il y a tout de même un contact et donner un second jaune à l’idole de Rome pour simulation est invraisemblable. Puis vient ce que tout le monde pense être le but de la victoire, signé Tommasi, annulé pour un hors-jeu fictif. Comme vous le savez, la nation chère à à Michel Morganella gagnera ce match, sur un but qui ne devra toutefois rien au « justicier » de Quito.

L’Italie toute entière hurlera au scandale. Trappatoni, alors coach de la Squadra, parlera de complot pour favoriser le pays hôte. Cela prendra même une tournure politique avec des ministres italiens qui s’en mêlent. Blatter, chantre du fair-play et de la bonne foi, estimera même que le rouge de Totti est une erreur. La FIFA ouvre une enquête mais ne trouve rien (comme quoi ça ne date pas de ces dernières années que les enquêteurs de la FIFA sont d’aussi bons détectives que Scooby-Doo), même si l’Equatorien sera semble-t-il vu au volant de voitures de luxe peu après le match. Et Byron dans tout ça ? Il juge avoir arbitré « l’un des meilleurs matches » de sa carrière à cette occasion et rigole des polémiques. Il accepte même d’aller faire le pitre en se couvrant de ridicule à la TV transalpine contre une grasse rémunération. Notez qu’une telle avidité est tout de même cocasse pour un arbitre déjà suspecté de corruption. Troisième ironie de l’histoire.

La même carrière politique que Pablo Escobar…

Mais c’est pas fini ! Deux mois après le fameux Corée du Sud – Italie, Byron Moreno est nommé pour diriger le match entre le Liga Universitaria Quito et le Barcelona SC. Petit aparté d’ailleurs, il existe un club équatorien, basé à Guayaquil, qui s’appelle SC Barcelona, qui a quasiment le même logo que le vrai Barça et un stade presque aussi grand. J’implore mon collègue Olivier di Lello de faire un clubbing à son sujet. Mais revenons sur Byron. Lors de ce match, il continue à creuser alors qu’il avait déjà atteint le fond quelques semaines auparavant : deux penalties litigieux, un but validé avant d’être annulé parce que tunnel et les traditionnels deux cartons rouges. Malgré cela, Barcelona mène 3-2 à la 90ème, moment choisi par le 4ème arbitre pour indiquer 6 minutes supplémentaires. Finalement, 13 (!) minutes plus tard, Moreno sifflera la fin du match, peu après le 4-3 de Quito, qui aura donc inscrit deux buts dans ce temps additionnel du temps additionnel.

Le problème ? Enfin, le problème en plus des problèmes précités ? El Justiciero – maintenant vous avez compris l’ironie de ce surnom ? – vient de se porter candidat à un poste électoral dans sa ville de naissance. Un grand nombre de votants étant de fait fans du Liga Universitaria, il serait bien vu de favoriser une victoire du club local… En tous les cas, ça n’a pas suffi puisque Byron n’a pas été élu. Par contre, ça a suffi pour qu’il se ramasse une suspension de 20 matches par la Fédération équatorienne. Et par conséquent soit rayé de la liste des arbitres FIFA. Et qu’il prenne sa retraite. La spirale infernale quoi…

Le fameux Byron (bouche) bée.

… Et une même proximité avec les substances illégales

Mais c’est pas fini ! Peu après, entre quelques boulots comme consultant et animateur, notamment à la RAI – quatrième ironie de l’histoire – il ouvre une académie pour arbitres. Cinquième ironie de l’histoire, combo ! Il osera même dire qu’il a ainsi pu transmettre « transparence, honneur et discipline » à de nombreux directeurs de jeu. Las, cette académie mettra rapidement la clé sous la porte, la faute à une faillite personnelle. El Justiciero larguera alors son épouse pour une compagne plus jeune et emménagera avec elle à… Guayaquil ! Sixième ironie de l’histoire. Comme tout Sud-Américain un peu connu et ayant un lien avec le foot, il tombera dans une nouvelle spirale, celle du monde de la nuit. Et de ses dérives en tous genres.

C’est ainsi que mi-septembre 2010, notre héros est arrêté à l’aéroport JFK de New York. Celui qui est, pour rappel hein, surnommé « le justicier », a tenté de passer six (oui, oui, six) kilos d’héroïne dans son calbute. Ce qui, selon les chiffres peu précis glanés sur internet en tapant « prix kilo héroïne », représenterait environ 180’000 francs. On peut donc dire qu’il en avait dans le caleçon, un vrai Byron de la drogue. Quoiqu’il en soit, il n’écopera que de deux ans et demi de prison – pas d’ironie ici, Lord Byron ne sera pas retenu prisonnier à Chillon mais bien aux Etats-Unis – sur les dix encourus . Le juge a en effet été attendri par ses explications, l’ex-arbitre ayant besoin d’argent car sa compagne, enceinte, était gravement malade. Selon ses dires, il a donc emprunté la somme à des gens relativement peu recommandables, avec un intérêt de 25%. Ce qui n’est pas facilement remboursable, vous l’aurez compris. Et l’aurait donc conduit à faire la mule en contrepartie. En tous cas, tomber sur un juge clément pour un arbitre réputé pour sa sévérité nous offre la septième et dernière ironie de ce récit.

En fin de compte, Byron aura un point commun avec de nombreux footballeurs : son embonpoint après la fin de sa carrière.

Aujourd’hui, Byron Moreno est sorti de prison et ne fait plus trop parler de lui. Mais son histoire a clairement sa place dans cette rubrique. Je laisse le mot de la fin à Buffon, un brin rancunier, qui dira peu après l’arrestation d’El Justiciero que ce dernier avait déjà 6 kilos de drogue dans le corps en 2002.

 

Crédits photographiques :

Byron et son embonpoint : Brandonortiz355/CCO/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Byron_Moreno.jpg

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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