Quand toutes les autres lumières seront éteintes

Petit voyage dans le temps rien que pour vous.

« Ami lecteur, je m’excuse d’avance pour cet article. Il a peu de chance de t’intéresser, il est long, et il n’est même pas humoristique. À se demander ce que le rédac’ chef de Carton Rouge fume quand il accepte de publier ce genre de papier. […] Mais si tu as au fond des tripes une flamme bleue et blanche, tu es le bienvenu. Ma vision des choses vaut ce qu’elle vaut. Je n’ai pas la prétention d’avoir plus raison que d’autres. Et si ça se trouve, je suis le dernier sur cette planète qui en ai encore quelque chose à foutre de ce club, j’aurai tout aussi bien pu écrire cette tartine dans mon journal intime… »

Yves Martin, Une saison en enfer, le 7 juin 2007.

L’avertissement vaut également pour cet article-ci.

Les supporters du LS vivent un supplice que la mythologie grecque racontait déjà de plein de manières différentes : le tonneau percé des Danaïdes – ou, selon les interprétations, le Stade de la Tuilière – qui se vide perpétuellement même avec du matos tout neuf, des loges et le G Bar ; Sisyphe qui ne parvient jamais à pousser son rocher – ou, selon les interprétations, son équipe – jusqu’au sommet de la pente et se voit obligé de recommencer depuis la 2e ligue interrégionale ; Tantale qui meurt de faim et de soif, et voit des grappes de raisin – ou selon les interprétations, les rêves de Coupe d’Europe – lui filer entre les doigts dès que ça devient tangible.

Il y a aussi une théorie de comptoir qui stipule qu’un métier ne peut pas être à la fois intéressant, lucratif et légal. Au mieux, il peut avoir deux de ces caractéristiques, mais jamais les trois d’un coup. Par analogie, on commence à craindre que le LS ne pourra jamais avoir à la fois 1) un stade accueillant, 2) un marketing performant, et 3) une équipe de jeunes issus du centre de formation qui fait rêver le public. C’était déjà difficile de combiner les deux premiers éléments avec la Pontaise et le marketing de Grand Chelem Management (société propriétaire dont c’était pourtant censé être la spécialité). Alors qu’enfin l’un comme l’autre semblaient acquis sur le moyen terme avec la Tuilière et le marketing efficace d’Ineos, l’équipe qui nous a fait rêver lors de la promotion de 2020 a été méticuleusement décimée, avec les résultats que l’on connaît. Et au début de chaque match à la Tuilière, on continue d’entendre l’hymne vaudois, qui célèbre… une indépendance.

J’ai passé la semaine dernière à relire des articles, des interviews et des éditos d’Yves Martin sur ce site, pour essayer de prendre un peu de recul par rapport à ce que vit le LS depuis un an et demi. Je vous invite à un petit hommage avec des extraits choisis, qui se passent la plupart du temps de commentaires. On va se balader à travers les décennies vécues auprès du club par mon éminent confrère et ami qui, sans que je sois capable de le suivre dans son jusqu’auboutisme, et même s’il devait ne jamais mettre un pied à la Tuilière, restera toujours pour moi un point d’ancrage indissociable avec ma passion pour le LS, une personne à qui me référer quant à ce qui m’anime et me fait continuer ou non d’aller au stade. Puissent ses réflexions aider les quelques personnes qui saignent et pleurent en bleu et blanc à se resituer dans le marasme sportif et identitaire actuel, à côté duquel le brouillard de la Tuilière passerait pour la lumière d’Eärendil.

Juin 2007

Dans l’article Une saison en enfer cité plus haut, Martin résume la saison 2006-2007 et en profite pour retracer le parcours du club, avec ses hauts et ses très bas depuis la fin des années 80. J’ai 17 ans quand paraît cet article, je connais Martin depuis quelques années et je n’ai vécu « que » les victoires en Coupe en 98 et 99, l’élimination de l’Ajax 2000 et la faillite 3 ans plus tard. L’article m’éclaire sur la profondeur des désaccords et incompréhensions qui ont jalonné les relations du LS avec ses supporters et la population vaudoise. Ce même été 2007, je rejoins le comité du Blue-White Fanatic Kop, 1er groupe de supporters du LS, nouvellement présidé par… Yves Martin, qui d’autre ? Si on se base uniquement sur la situation sportive du club, un tel engagement de ma part relève alors de la psychiatrie. Mais à l’époque comme maintenant, les résultats n’expliquent jamais à eux seuls qu’on soit prêt à traverser horizontalement la Suisse un soir de semaine pour voir son équipe prendre une claque contre le vainqueur de la Coupe du Liechtenstein. N’en déplaise à ceux qui prétendent que seuls les bons résultats ou le maintien en Super League suffiront à faire taire les critiques actuelles.

Février 2007

Quelques mois avant cet article, en février 2007, Carton-Rouge avait publié en deux fois (une, deux) une immense interview d’Yves Martin que je vous recommande tout autant. Dans la deuxième partie, il parle de la communication du club vis-à-vis de son public, et de la présidence du club, reprise la même année (mais on ne le savait pas encore) par Jean-François Collet puis en 2013 par Alain Joseph, qui l’un et l’autre géraient leur propre boîte à côté :

« Lorsque certains dirigeants sont bénévoles et viennent travailler pour le LS après avoir bossé 12 heures pour leur société, ils n’ont pas la même disposition d’esprit ni le temps pour bien travailler vu qu’ils arrivent déjà avec tous leurs problèmes, qu’ils bossent sept jours sur sept et qu’ils ont de lourdes responsabilités. Tous les aspects qu’ils estiment comme accessoires tels que la communication, ont été complètement sabordés. Et qu’est-ce qui fait l’interface entre un club et son public ? C’est la communication ! Quand je parle avec les dirigeants, ils admettent qu’ils ne sont pas bons au niveau de la communication mais ne veulent pas comprendre à quel point c’est important. Pourtant, avec un bon communiqué de presse, tu peux tout faire passer si c’est bien expliqué, de façon claire, sans mentir aux gens. […] Il y a un avis que je défends qui est sûrement irréaliste et archi minoritaire : il nous faudrait un président professionnel, une personne qui aime le LS ou, en tout cas, qui connaît très bien le foot et ce milieu-là. Sur un budget annuel de 2,5 millions, il faudrait 200’000 francs pour salarier un président. À l’heure actuelle, on ne peut plus travailler avec des gens qui font ça bénévolement à côté de leur boulot. On l’a vu, on a « cramé » Vité à cause de ça et on n’était pas très loin de « cramer » Guignard aussi. Il nous faudrait un président à plein temps, qui bosserait 15 heures par jour pour le LS, qui serait compétent, qui aurait à disposition le réseau de connaissance de la Confrérie et du Onze d’Or. Je crois en cette solution. Après c’est clair, il faut 200’000 balles par année… Certaines personnes disent qu’il faudrait un président-mécène qui puisse injecter quelques millions. C’est une solution à laquelle je ne crois plus. S’il y avait un mécène dans le canton de Vaud, on l’aurait déjà trouvé depuis le temps qu’on le cherche ! En plus, on voit les résultats quand le mécène quitte le club. »

Février 2018

J’avance d’une dizaine d’années pour rappeler en deux mots l’affaire (documentée ici par Martin) où Ineos a essayé d’envahir le blason du LS avec son visuel, mais a su faire machine arrière devant les protestations d’une partie des supporters. Je dis bien une partie, car tout le monde alors n’avait pas osé s’exprimer. Et sans surprise, ce sont aujourd’hui les mêmes personnes et groupes de personnes qui osent être ouvertement en désaccord avec la politique sportive actuelle. Le prochain extrait sera conséquent même si je l’ai un peu sabré; mais il a toute sa place ici car il représente bien le malaise qui peut régner entre le club et ses supporters, et entre les supporters eux-mêmes. Et puis, depuis cette histoire, je ne rate pas une occasion de me défouler sur la Confrérie avec les mots des autres:

« La confrérie du LS (pour le faire très vite : un club de soutien de 130 membres qui paient en moyenne 2500 francs au Club par année) cristallise parfaitement la rancoeur de certains supporters. Car enfin, personne ne leur a demandé de boycotter les matches ou de mener des actions coups de poing, mais juste d’avoir le courage de donner leur avis. Tout simplement parce que si chaque personne dans l’entourage du club qui estimait que ce changement de logo était une mauvaise idée l’avait communiqué à Ineos, la situation aurait très certainement été différente dès le départ.

Or la Confrérie a eu deux façons bien distinctes de communiquer sur le sujet. À l’interne, le message véhiculé est le suivant (extraits de mail reçu par les membres) :

« Chacun est libre de penser ce qu’il veut. Sachez que la position du comité de la Confrérie est assez simple : nous ne l’aurions pas fait, nous ne l’aurions pas suggéré, mais allons de l’avant! Laissons les dirigeants travailler. En totale symbiose avec les dirigeants ou en parfait désaccord, la Confrérie a connu tous les états d’âmes dans son histoire. Mais elle a toujours gardé un cap, notre acte fondateur depuis 45 ans : le soutien au Lausanne-Sport. »

C’est assez clair qu’officiellement le comité de la Confrérie était plus que mitigé sur cette initiative. Et il suffisait par ailleurs de discuter avec certains des confrères pour s’en rendre compte. Mais crois-tu qu’ils l’auraient verbalisé auprès de Ineos ? On ne leur demandait pas plus ! Juste prendre officiellement position, même en ces termes modérés, aurait suffi. « Messieurs de Ineos, la Confrérie, ses 130 membres et les 250’000 frs qu’ils représentent ont ceci à vous dire au sujet de la modification du logo du LS : Nous ne l’aurions pas fait, nous ne l’aurions pas suggéré. »

Au lieu de cela, la communication officielle tournée vers l’extérieur a été la suivante:

Les opposants sont donc officiellement des cons et nous, qui sommes pourtant plutôt contre, fermons bien nos gueules pour ne surtout pas déranger Not’ Bon Maître.

Vous vous souvenez la phrase qui résume l’histoire de la conf dans le mail ? Je la remets : « En totale symbiose avec les dirigeants ou en parfait désaccord, la Confrérie a connu tous les états d’âmes dans son histoire. Mais elle a toujours gardé un cap, notre acte fondateur depuis 45 ans : le soutien au Lausanne-Sport ».

C’est exactement ça que je vous reproche. Même en parfait désaccord, vous avez toujours gardé le cap en fermant vos gueules. Vous n’avez rien dit quand Kita a massacré le Club et provoqué la faillite. Vous n’avez rien dit quand Collet a inversé le match de Coupe à YB, vous n’avez rien dit pour sauver le logo et on peut compter sur vous pour être toujours aussi couards quand Ineos ou un autre changera le nom et les couleurs du LS. Vous êtes plus que des lâches: vous êtes de parfaits petits collabos. »

Janvier 2020

On est bientôt au bout. Edito de janvier 2020 sur Carton-Rouge:

« Dans un article du Matin daté du 15 janvier, Pablo [Iglesias], son pin’s de directeur sportif à la boutonnière, déclarait sans téléprompteur au sujet des tentatives du FC Bâle de débaucher certains de nos joueurs : « […] Zeqiri, Turkes, Ndoye, le capitaine Kukuruzovic et d’autres encore sont jugés intransférables par Ineos. […] Aujourd’hui, le club passe avant tout autre intérêt. On n’entre pas en discussion, peu importe l’offre, ce qui n’aurait sans doute pas été le cas avec un autre propriétaire. »

Ce que je n’avais pas compris à la première lecture, c’est qu’il fallait prendre l’avant-dernière phrase au pied de la lettre. « Aujourd’hui, le club passe avant tout autre intérêt ». Aujourd’hui, le 15 janvier 2020, donc. Parce que dans le 24 Heures, 13 jours plus tard :

Alors tu vois, finalement, l’intérêt du LS, tu le prends, tu le roules et tu le fumes, hein ! […] Parle-t-on encore vraiment de transfert et de clubs ? Nous sommes plutôt en présence d’un collaborateur qui change de département au sein de la Division Football d’INEOS.

[…]

Je termine avec cette phrase ahurissante de Pablo Iglesias (© 24 Heures) :

Ce qui est valable pour les joueurs est valable pour les directeurs sportifs, je suppose. Ainsi Pablo n’est pas le directeur sportif du Lausanne-Sports, c’est un directeur sportif INEOS. Dans l’intérêt du club (ce même intérêt dont Iglesias parlait le 15 janvier), il faudra bien à terme en trouver un qui pense un peu au LS d’abord. Mais ce serait contraire aux intérêts de INEOS. »

Pablo Iglesias a été remercié par le LS 5 petits mois après cet édito de Martin, pour se faire remplacer par Souleymane Cissé.

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