Quand l’arbitrage suisse tire la langue

Le monde du football connaît des aberrations arbitrales qui ont le don de rendre les supporters fous de rage et, parfois, un chouilla virulents. Souvent à raison. En Suisse, ce phénomène ne diminue pas, surtout d’un point de vue romand où par exemple la saison actuelle semble être une farce (et pas celle de la dinde). Que ce soit Lausanne, Sion ou Servette, les décisions d’arbitres suisse-allemands sont devenues risibles, voire aussi ridicules que le combo sandales-chaussettes selon les circonstances. Et aujourd’hui même avec l’aide de la VAR, qui ne sert définitivement à rien. Alors, est-ce que la langue influence ces décisions ? Éléments de réponse à la lecture d’un article académique paru récemment sur le site ResearchGate. 

« La Constitution suisse interdit explicitement toute discrimination linguistique ». C’est avec ces premiers mots qu’est rythmée l’introduction de « Rot-Jaune-Verde : on Linguistic Bias of Referees in Swiss Soccer« , un papier co-écrit par les chercheurs en économie, Pr. Alex Krumer de l’Université de Molde et Dr. Michael Lechner de l’Université de Saint-Gall. Ces mots sont d’ailleurs lourds de sens, puisque l’on constate, d’un point de vue évidemment subjectif, que les arbitres suisse-allemands peuvent désavantager les équipes suisse-romandes. 

Il faut dire que l’un des derniers scandales en date a eu lieu dimanche 13 mars au Parc St-Jacques, là où M. Bieri a sifflé des expulsions pour Diallo et Clichy lors du match entre Bâle et Servette. Dans les deux cas, il y a matière à discussion en voyant la vidéo. Le doute est permis, mais force est de constater que N’Doye s’encouble lamentablement aux côtés du jeune défenseur français et le fils Chipperfield ne subit pas une charge volontairement violente de l’ancien d’Arsenal. Outre le fait de choisir de mettre un carton rouge ou non dans les deux cas (ce qui est possible), c’est la décision incompréhensible chez l’arbitre de ne pas s’appuyer sur la VAR pour acter ces décisions lourdes de conséquences (surtout dans le cas de Diallo qui a été expulsé dans la première demi-heure du match). Un manque de psychologie qui a été vivement critiqué côté Servettien, appuyé par le capitaine Jeremy Frick et surtout l’entraîneur Alain Geiger qui n’a pas sa langue dans poche : « Ces décisions étaient lamantables. (…) Bieri a décidé qu’il y aurait rouge, sans même regarder la VAR. Naturellement en Suisse, on n’a pas besoin de la VAR… Si on veut être aveugle, c’est facile », avouait-il dans les colonnes du Matin. 

Et ce n’est pas la première fois que le technicien Grenat se plaint de ces incohérences du corps arbitral. On se souvient bien que M. Piccolo, lors d’un match entre Saint-Gall et Servette en automne dernier, avait omis de visionner la VAR suite à une violente charge d’un joueur suisse-allemand sur un Genevois à mi-terrain, ce qui a engendré un but victorieux pour les Brodeurs. Malgré des excuses publiques de la SFL et une rétrogradation de l’incompétent arbitre, le mal était fait et des points furent perdus à jamais. 

Deux anecdotes, qui se comptent sûrement par dizaines pour les clubs phares romands et qui hantent les souvenirs leurs suiveurs assidus, à l’image d’un Christian Constantin remonté contre M. Sandro Schärer qui distribua pas moins de 17 cartons (dont 3 rouges) lors du match nul entre le FC Sion et le FC Zurich le 20 février dernier. 11 d’entre eux étaient destinés aux Valaisans, ce qui a eu le don de mettre El Presidente dans tous ses états dans Le Matin : « Chaque fois qu’il y avait faute en face, il n’y avait curieusement rien. La VAR intervient toujours plus facilement sur les Romands. On a beau le savoir, on a de la peine à s’y faire. Visiblement, il y a toujours ce p**** de röstigraben ». Ça, c’est dit !

Plus de 5000 matches analysés et des conclusions édifiantes

Alors, cette idée reçue peut-elle être véridique? Pour se donner quelque peu un air scientifique vis-à-vis des allégations de l’entraîneur servettien et du président sédunois, retour sur cette recherche publiée dans le courant du mois de février. Alex Krumer et Michael Lechner ont pour cela analysé pas moins de 5’010 matches de Super League et de Challenge League entre les saisons 2005-2006 et 2018-2019, dernière année avant l’introduction de la VAR. Cela inclut les arbitres concernés, avec le nombre de cartons jaunes et rouges qu’ils délivrent chaque saison aux équipes de leur propre aire linguistique comparé aux équipes d’une aire linguistique différente. Sur l’analyse des équipes en compétition et des arbitres qui ont pris part à toutes ces rencontres, il ressort dès lors que 68% des arbitres étaient de langue allemande, pour seulement 22% de francophones et 10% d’italophones. Des chiffres proches de la réalité linguistique de la Suisse, qui mettent déjà la puce à l’oreille (comme le rappelle la leçon de géographie de Marie-Thérèse Porchet).

S’il apparaît évident pour les chercheurs que les équipes à domicile obtiennent en moyenne plus de points que les équipes à l’extérieur, qu’importe la zone linguistique (une finalité conforme aux multiples études sur l’avantage du terrain en football), d’autres conclusions s’avèrent édifiantes car selon eux, « en contrôlant différentes mesures, nous constatons que les arbitres émettent significativement moins de cartons aux équipes de leur propre région linguistique par rapport aux équipes qui arrivent d’une région linguistique différente ». Ils ajoutent que le biais est plus prononcé en Super League, plus prestigieuse selon eux, et que les analyses de données « suggèrent que le parti pris des arbitres est probablement subconscient et réflexif plutôt qu’un acte délibéré de discrimination ». Porté par des analyses approfondies, disponibles ici, il est estimé que cette discrimination serait donc implicite. 

Il n’empêche que les conséquences peuvent être désastreuses selon les chercheurs. Il est constaté que les équipes qui partagent la même zone linguistique que l’arbitre engrangent en moyenne 0,41 point de plus, et que les équipes jouant à l’extérieur reçoivent environ 0,1 carton rouge de plus et 0,18 carton jaune de plus lorsqu’un arbitre partage la même zone linguistique avec l’équipe locale. L’égalité semble donc ne pas exister et la prise de décision des arbitres en Suisse constitue un biais selon la recherche, violant ainsi le principe de fair-play à l’origine d’employés censés être hautement qualifiés… sans oublier la violation de l’article 8 de la Constitution suisse.

Ces données analysées créent donc une aberration dans ce football moderne  »censé » ne pas être corrompu, confirment que ladite aberration est « considérable, surtout dans un championnat serré où les équipes peuvent terminer la saison avec le même nombre de points, signifiant que toute différence peut avoir de graves conséquences financières pour les équipes (comme la relégation en Challenge League ou la non-participation à des coupes européennes) ». Selon les conclusions du groupement, la tension existante entre les langues au sein même du football peut également être une préoccupation plus générale pour la société suisse. Ballot.  

La biscotte, c’est au petit-déjeuner M. Bieri !

Une remise en cause nécessaire

Comme le soulignent Krumer et Lechner, la discrimination et le favoritisme linguistique sont « une préoccupation, avec des implications immédiates pour la conception des tournois de football suisses, ainsi que pour les politiques générales anti-discriminatoires. Il est donc crucial que les décideurs soient conscients de ce problème, car une formation adéquate des arbitres peut réduire les préjugés ».

En outre, les chercheurs des Universités de Molde et Saint-Gall soulignent que le processus de sélection des arbitres, bien que choisis par un comité, est quelque peu opaque puisque les critères de sélection ne sont pas connus du public. Ils émettent donc quelques recommandations : « En supposant que le comité souhaite garantir l’équité et la qualité de l’arbitrage, les critères pertinents seraient les compétences et l’expérience d’un arbitre, ainsi que sa capacité à éviter les conflits d’intérêts potentiels. Il n’est pas clair si la langue elle-même est prise en compte comme source de conflit d’intérêts, mais le processus de sélection devrait garantir que la discrimination linguistique éventuelle n’est pas simplement due à une corruption pure et simple  ». C’est ce que l’on espère à l’avenir.

Sinon on va encore entendre longtemps Christian Constantin dans les médias ! Et c’est sûrement pire que de vivre une expulsion au stade…

A propos Vic Perrin 21 Articles
Un peu casse-cou, mais pas trop casse-couilles

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