Les losers légendaires, version fôte

Durant la trêve forcée imposée par le Covid (le quoi ?), votre rubrique préférée, Born to Lose, vous avait offert un florilège des losers les plus légendaires de l’histoire du sport. Mais parmi ces légendes, aucune ne pratiquait le sport roi. Dès lors, il devenait urgent de combler cette lacune et de vous présenter les losers légendaires, version foot !

Tasmania Berlin

Le Tasmania Berlin personnifie mieux que quiconque la nullité dans le foot, qui plus est dans l’un des grands championnats européens. Et quand on dit nul, c’est vraiment à neuf sur dix sur l’échelle Aleksandar Prijovic. Mise en contexte : dans la Bundesliga « occidentale » de 1965, il faut qu’il y ait un représentant de Berlin au sein de l’élite, pour montrer que la capitale actuelle compte pour l’ouest. Alors quand le « grand » Hertha se fait rétrograder administrativement, il faut bien quelqu’un pour le remplacer. Ce sera le Tasmania. Un club pas vraiment pro, provenant de Neukölln, qui est aujourd’hui l’un des quartiers les plus populaires de la ville, et avec un nom quand même assez improbable pour un club allemand. Il manquait juste un mec nommé Taz dans l’équipe pour que la blague soit totale. Imaginez un peu la scène : vous jouez dans un club correct de division régionale et vous vous faites parachuter en Bundesliga, au milieu des ogres de l’époque (entre autres les futurs grands dominateurs Bayern et Gladbach), le tout à deux semaines (!) du premier match.

« Et entrée du numéro 9 berlinois sur le terrain, devant 827 fans en délire ! »

La belle histoire ne s’arrête d’ailleurs pas là, puisque pour le match d’ouverture, le Tasmania vient à bout de Karlsruhe, devant 80’000 personnes ! Par contre, elle s’arrête ici. La suite ? 28 défaites en 33 matches. Une seule autre victoire, lors de l’avant-dernière journée. 31 matches de suite sans victoire. 10 défaites consécutives. 15 buts marqués contre 108 encaissés (dont un joli 0-9 contre Duisbourg). Un seul point engrangé à l’extérieur. Et la plus faible affluence de l’histoire du championnat, avec 827 supporters à domicile contre Gladbach. Tous ces chiffres sont bien entendu des records qui tiennent encore à ce jour, malgré la courageuse tentative de Schalke en 2021. Au final, 8 petits points auront été engrangés, pour ce qui est probablement l’un des plus faibles totaux pour une équipe, tous championnats confondus.

Et pour le coup ce n’est que le début, le club ayant fait faillite quelques années plus tard. Loser un jour…

Derby County

À peine mieux, et plus proche de nous, parlons de la saison 2007-2008 de Derby County. Le club des Midlands avait en effet amassé la somme astronomique de 11 points en Premier League ! Et contrairement aux diables berlinois, on parle ici d’une équipe promue normalement et dont tous les joueurs étaient pros. Bon après, parmi les joueurs de l’effectif, le seul nom un tant soit peu familier était celui l’ancienne gloire du FC Bâle Mile Sterjovski…

Là aussi, les records ont plu. 32 matches sans victoire de suite, 89 buts encaissés pour 20 marqués, une seule et unique victoire (shame on you, Newcastle… Comme quoi les temps changent) et bien sûr la relégation la plus rapide de l’histoire, dès le 29 mars 2008… Le tout pour échouer quand même à 25 points du 17ème et premier non-relégué, le terrible Fulham. Et il faut voir les foudres de guerres qui ont devancé le club à l’emblème de mouton. On parle quand même par exemple de Birmingham, de Bolton ou de Reading. Le meilleur buteur du club, l’Écossais Kenny Miller, a éclaboussé l’équipe de sa classe et marqué 20% des buts de Derby en championnat. Soit quatre. Et on terminera avec les plus beaux scores de l’incroyable saison des Rams : 0-6 contre Liverpool, 0-5 contre Arsenal, 0-5 face à West Ham, 1-6 contre Chelsea, 0-6 face à Aston Villa, 0-4 contre Reading (qui finira relégué la même saison) ou encore 2-6 au retour contre Arsenal. Il est à noter quand même que 10% des buts de la saison ont été inscris ce jour-là (et pas un seul par Kenny Miller). Avec une telle collection de casquettes, les joueurs ne craignaient en tous cas pas le pâle soleil des Midlands. Le club semble avoir eu du mal à se remettre de sa désastreuse saison 2007-2008 car, après s’être établi pendant plusieurs saisons comme l’une des solides formations de Championship (2e division) sans jamais parvenir à retourner en Premier League, il a connu une relégation supplémentaire en 2022.

Cet homme doit être au Hall of Fame des Midlands à l’heure qu’il est.

Salvador, Zaïre, Arabie Saoudite

Parlons maintenant un peu foot international. En général, on part du principe que si une équipe est en Coupe du monde, c’est qu’elle est un minimum potable. Sauf le Qatar en 2022. Mais à part celui-ci, une équipe doit, pour se qualifier, passer par des qualifications, ce qui en fait quand même l’un des meilleurs représentants de son continent d’origine. Eh ben ça ne suffit pas toujours à être compétitif au niveau mondial. On pourrait penser au Salvador lors de l’édition 1982, qui s’est pris la branlée du siècle à ce niveau, un cinglant 10-1 au premier tour face à la Hongrie, qui n’était déjà plus le monstre des années 50 et 60. Ou à l’Arabie Saoudite version 2002, défaite 8-0 par l’Allemagne de Miroslav Klose et qui terminera son pensum nippon avec 12 buts encaissés et aucun marqué.

Mais l’équipe qui est probablement la plus mémorable dans la défaite lors d’un mondial (excepté la France à Knysna) est le Zaïre, en 1974. Le pays qui est depuis devenu la République Démocratique du Congo se retrouve convié à la grand-messe du football en tant que seul représentant africain après sa victoire assez écrasante à la CAN la même année. Sauf que rien n’est jamais simple dans le foot africain, encore moins quand un dictateur sanguinaire vient se mêler de ce que fait son équipe nationale.

Le doux et paisible Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga.

Lors de son premier match, l’équipe composée en grande partie de joueurs du fameux Tout-Puissant Mazembe perd 2-0 face à l’Écosse, un résultat assez logique lorsque l’on se rappelle que les Britanniques comptaient alors dans leurs rangs des joueurs comme Kenny Dalglish ou Denis Law. Mais c’est ensuite que tout se gâte. Le dictateur Mobutu, qui suit de très près le foot car il le considère un peu comme un instrument de fierté nationale et donc de propagande, décide de garder les primes pour lui. Le début d’une longue et peu glorieuse tradition pour les nations africaines lors de Coupes du monde… Les joueurs ne sont pas d’accord et menacent de faire grève. Mais après d’âpres négociations et combats en coulisse, ils sont bien là pour leur 2e match, face à la Yougoslavie. Enfin ils sont là physiquement, parce que dans l’envie… Après trois buts encaissés en moins de 20 minutes, le gardien Kazidi est remplacé par le numéro deux, qui mesure… 1 mètre 65. Le score est de 6-0 pour les Yougoslaves à la mi-temps et sera même aggravé ensuite pour finir à 9-0 et avec une expulsion en prime.

Mais ce n’est pas fini ! Ce brave Maréchal Mobutu, vexé de voir son joujou de propagande se prendre une piquette pareille, fait ensuite comprendre qu’en cas de mauvais résultat face au Brésil (comprenez une défaite par plus de quatre buts d’écart, le type avait quand même un certain sens des réalités), il y aurait des représailles. Alors les sources diffèrent mais même si on parle de menaces de mort, la version la plus fréquente serait que les joueurs n’auraient pas eu le droit de rentrer au pays. Quoi qu’il en soit, les joueurs cessent leur mouvement de rébellion avec effet immédiat et se remettent à bosser pour ne pas se prendre une rouste contre le grand Brésil. Heureusement pour eux, à l’issue d’un match bizarre, ils ne s’inclinent « que » 3 à 0, ce qui leur permet de revoir leur famille.

Le Zaïre aura marqué l’histoire du foot au point de faire oublier qu’Haïti était également en lice (défaite 7-0 contre la Pologne quand même) dans ce même mondial. Mobutu arrêtera de miser gros sur le foot, ce qui fait qu’une bonne partie de l’équipe disparaîtra des radars. Et, pour la petite histoire, la Yougoslavie terminera première du groupe… À la différence de buts !

Suisse (2006)

Comment ne pas terminer cet article sans mentionner un représentant helvétique, pays spécialisé depuis longtemps par les caca-culottes en tous genres ! Mais, si l’on aurait pu parler du FC Sion ici, il n’en sera rien. Car une mouture de notre Nati a réalisé un exploit en tout point légendaire. Et quelle mouture ! Zuberbühler, Magnin, Müller, Senderos, Degen, Vogel, Wicky, Cabanas, Barnetta, Frei, Streller, ces noms qui respirent le foot approximatif mais tellement volontaire de la Nati des années 2000 (un peu l’inverse de ce que l’on traverse aujourd’hui, en fait). Mes premières grandes émotions footballistiques… Bref, une grande Suisse. Pour un sacré exploit.

Attention, que des légendes sur cette image.

On en reparle souvent, mais on a tout aussi souvent du mal à mesurer la portée de la lose que représente le fait de se faire éliminer d’un mondial sans encaisser le moindre but. L’exploit de ne pas encaisser sur les trois matches de groupe est déjà très rare en soi. Mais tenir encore un match de huitièmes, et des prolongations, quand en plus ton gardien est Zubi, sans prendre de but, ça confine au miracle. Et réussir à être éliminé aux tirs aux buts, par des mecs ayant plus de particules radioactives dans le corps que de talent dans les pieds, le tout sans être foutu de mettre un péno au fond (record là aussi, codétenu depuis 2022 avec l’Espagne), c’est simplement du génie. Oh bien sûr, on a tous pleuré ce soir-là. Mais avec le recul, qui d’autre que notre belle Nati aurait pu réussir une performance pareille ? Voilà. Et ça, c’est beau. Personne ne nous l’enlèvera.

Crédits photographiques:

Taz : David Dixon/CC-BY-SA/Creative Commons https://www.geograph.org.uk/profile/43729

Kenny Miller : Ronnie Macdonald/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://www.flickr.com/photos/7332125@N04

Mobutu Sese Seko : Nationaal Archief/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://www.nationaalarchief.nl/onderzoeken/fotocollectie/ac33cfac-d0b4-102d-bcf8-003048976d84

Nati 2006 : R. Niemeyer/CC-BY-SA/Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Swiss_national_football_team.jpg

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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