Paris-Nice 2020

Paris-Nice 2020 restera donc comme la dernière course cycliste de l’histoire de l’humanité, cette époque où l’on se gavait de vélo au quotidien sans savoir qu’on n’attendrait bientôt plus que de suivre les aventures trépidantes de la dernière biquette de Thibaut Pinot, cloîtré et confiné sur son canapé comme un prisonnier de guerre attendant sa libération. Triste époque.

1. L’humeur du moment

Difficile pour moi de rigoler comme d’écrire des histoires hilarantes en cette période sombre et bizarre de coronavirus que nous traversons tous à des degrés différents. Pourtant, je vais bien essayer de m’y atteler pour vous distraire un tant soit peu comme pour mieux comprendre ce qui se joue en ce moment sur la planète cyclisme.

Vision actuelle du coronavirus au sein du peloton…

2. La Course au soleil 2020

Amputé de nombreuses équipes dès le départ pour raisons sanitaires (Ineos, Jumbo-Visma et Astana sont notamment absentes par mesure de précaution), le plateau n’en était pas pour autant moins relevé car beaucoup de leaders se sont reportés sur Paris-Nice après l’annonce de la suppression de Tirreno-Adriatico courue au même moment en Italie. Tout au long de la semaine, l’actualité sportive n’était cependant pas au rendez-vous suite à l’épidémie de coronavirus gagnant chaque matin un peu plus de terrain sur le territoire français, les coureurs se demandant même jusqu’où ils iraient avant d’être arrêtés par les autorités. L’organisateur ASO a malgré tout sauvé l’intérêt de la course en l’amenant jusqu’au week-end suivant, et cela en ne supprimant que la dernière étape traditionnelle autour de Nice.

La Course au soleil s’est donc quasiment courue dans son intégralité et cela avec du suspense. Maximilian Schachmann a confirmé son excellent début de saison en l’emportant de justesse devant  le classicman Tiesj Benoot et le grimpeur Sergio Higuita. Le jeune Allemand a construit son succès lors des deux premières étapes disputées dans des conditions météorologiques épouvantables en banlieue parisienne. Vainqueur à Plaisir le premier jour, il a accru son avance le second à Châlette-sur-Loing en profitant des malheurs de Julian Alaphilippe et Nairo Quintana, piégés respectivement sur crevaison et chute.

Quintana se vengera en remportant la dernière étape sur les hauteurs de Valdeblore en s’envolant dans les trois derniers kilomètres du col Saint-Martin. Conclure ce début de saison, et éventuellement cette saison 2020 tout court, par une nouvelle victoire de Nairoman en altitude confirme le retour au premier plan du talentueux grimpeur du Boyacá qui avait fini par perdre la motivation ces dernières années chez Movistar, à force de devoir partager le leadership avec Alejandro Valverde et Mikel Landa sur les courses par étapes.

Warren Barguil tentant « une Bardet » sans succès vers Plaisir.

3. Les Français dans le dur

Débarrassée de Primoz Roglic, Egan Bernal ou Superman Lopez, la France s’était mise à rêver d’un triomphe français sur Paris-Nice pour la première fois depuis Laurent Jalabert en 1997. Tous les voyants semblaient au vert puisque les leaders du cyclisme tricolore dans leur intégralité étaient présents au départ de Plaisir à l’exception de Pierre Rolland dont le calendrier reste incompréhensible depuis qu’il a rejoint l’équipe B&B Hotels-Vital Concept l’an passé. Mais rapidement, comme trop souvent, ils ont déchanté. Bardet éliminé d’entrée sur chute, Barguil mis hors course pour avoir justement effectué « une Bardet », c’est-à-dire profité du sillage abusif de la voiture de son directeur sportif après une cabriole comme l’intellectuel de Brioude ici-même en 2017, il ne restait déjà plus que Alaphilippe ou Pinot pour l’emporter dès le premier soir.

Vers Châlette-sur-Loing le lendemain, Julian crèvera au plus mauvais moment et devra dire adieu au classement général. Quant à Thibaut Pinot, il déchantera lui deux jours plus tard lors du contre-la-montre autour de Saint-Amand-Montrond pour se contenter à son tour de jouer les accessits. Sa troisième place tardive lors de la dernière étape en haut du col Saint-Martin lui permettra de finir cinquième et premier Français de ce Paris-Nice très particulier. Insuffisant pour un coureur de sa trempe comme pour tout le cyclisme tricolore.

Enric Mas parti chez Movistar, Julian Alaphilippe a recruté Marion Rousse à l’intersaison pour l’emmener vers les sommets. Sans succès pour le moment…

4. Le point sur les courses annulées

Toutes les classiques du printemps sont d’ores et déjà annulées. Beaucoup croient qu’elles seront reportées à l’automne dans la foulée du Tour de Lombardie alors qu’on ne sait même pas pour le moment si le cyclisme reprendra réellement ses droits en 2020. Le Tour d’Italie, premier Grand Tour de la saison au mois de mai, n’aura logiquement pas lieu puisque la Botte est l’épicentre de la pandémie de coronavirus en Europe.

Le Tour de France normalement prévu en juillet est lui aussi sérieusement menacé. Étant donné qu’il est le point culminant de chaque saison et confère de lourds revenus financiers au monde du cyclisme, l’organisateur ASO joue la montre pour tenter de le sauvegarder. On parle de course à huis clos, de modification de parcours, de réduction du nombre d’étapes… bien loin de l’esprit originel de la Grande Boucle. Mais s’il doit y avoir une course à sauver cet été, cela sera bien évidemment le Tour, et cela peu importe le prix à payer comme les concessions à effectuer. Les autres compétitions du World Tour disputées à la même époque comme le Critérium du Dauphiné, le Tour de Suisse ou le Tour de Pologne ne bénéficieront assurément pas du même soutien et sont déjà selon moi à ranger aux oubliettes.

Avec le report des Jeux olympiques de Tokyo 2020 dont la course en ligne avait lieu six jours après la dernière étape du Tour de France, ASO peut également miser sur un déplacement de deux ou trois semaines du départ de la Grande Boucle de Nice pour se donner encore un peu plus de temps, quitte à rendre impossible l’enchaînement Tour-Vuelta. Des trois Grands Tours, le Tour d’Espagne est encore à ce jour celui qui a le plus de chances de se dérouler en 2020 car il se court plus tard dans la saison, sans réel public au bord de ses routes, et dans des zones plus ou moins désertées par la population ibérique, regroupée majoritairement en Catalogne et en communauté de Madrid.

La seule année où Romain Bardet avait dit oui au Giro, le coronavirus lui a répondu non.

5. Pas le même confinement pour tous les pays

Les courses arrêtées et la moitié du monde confinée, les coureurs cyclistes professionnels ne peuvent désormais plus s’entraîner comme bon leur semble pour maintenir un minimum de condition physique au cas où les compétitions viendraient à reprendre dans quelques semaines. A titre d’exemple en Europe, chaque nation a ses propres règles de confinement. Ainsi les pays germaniques comme ceux du nord autorisent la pratique du vélo quand tous les pays latins l’interdisent strictement. La fameuse Union européenne…

Ainsi, Thibaut Pinot ne peut théoriquement plus pédaler en Haute-Saône quand l’Allemand Maximilian Schachmann s’entraîne quasiment sans restriction de l’autre côté du Rhin à 100 kilomètres de là. Quid de l’équité dans tout ça ? En attendant une éventuelle uniformisation sur la pratique du vélo en Europe, Pinot s’éclate dans sa ferme de Mélisey avec ses animaux. Pour tuer l’ennui, il a même ouvert avec sa copine vétérinaire un compte Instagram pour l’une de ses jeunes chèvres. Suivre ses stories devient plus ou moins l’attraction de chaque nouvelle journée passée confiné. Ce n’est pas très excitant mais c’est toujours mieux que d’analyser les pamphlets philosophiques de Romain Bardet nombreux sur les réseaux sociaux en ces temps de crise…

La saison de cyclisme à l’arrêt, Thibaut Pinot a déjà entamé sa reconversion dans sa ferme.

6. Home trainer et cacophonie

L’épisode unique que nous traversons avec le coronavirus donne évidemment lieu à toutes sortes de photos et défis improbables. Comme tout sportif de haut niveau moderne, les coureurs cyclistes adorent se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Ceux vivant totalement confinés dans le sud de l’Europe s’exhibent chaque jour depuis leur balcon en train de pédaler sur leur home trainer avec une certaine fierté. Laquelle ? Celle d’indiquer qu’ils sont propriétaires d’un splendide appartement dans un paradis fiscal andorran ou monégasque… ou celle de montrer l’exemple afin d’encourager les cyclistes amateurs à rester chez eux alors que la tentation d’aller rouler à l’air pur est grande, et pas si compliquée à mettre en place que cela si vous vivez loin des grandes villes ?

Au-delà de cette interrogation bizarre, je me demandais si un policier français aurait le cran de mettre une amende à Chris Froome s’il l’apercevait seul en train d’effectuer des interval training à 400 watts de moyenne dans l’arrière-pays niçois. Dans le cas d’une réponse positive, qu’est-ce que le Britannique en aurait à cirer de devoir payer la maudite somme de 135 euros d’amende alors qu’il touche plus de 5 millions d’euros annuels pour reconquérir son fémur droit et le Tour de France cet été ?

En Belgique où rouler à vélo n’est pas interdit par la loi en ces temps de COVID-19, Oliver Naesen a effectué une petite sortie de 365 kilomètres à l’air libre pour passer ses nerfs sur son printemps de classiques annulées… quand son leader Romain Bardet suppliait dans le même temps en France de rester chez soi. Comme en course, les coureurs d’AG2R La Mondiale semblent avoir du mal à se coordonner. Pour rester dans le ridicule, leur manager Vincent Lavenu décrétera le lendemain que toute son équipe ne roulera désormais plus dans la nature jusqu’à nouvel ordre, et cela peu importe le pays où réside chacun de ses protégés.

Depuis cette intervention divine, Oliver Naesen ne fait donc plus part de ses exploits sur les réseaux sociaux mais continue probablement de s’entraîner discrètement sur les pavés du Nord. Incapable de gagner une course chez les professionnels, le cycliste-rappeur ou plutôt rappeur-cycliste belge d’Astana Laurens De Vreese défie Naesen le surlendemain en réalisant 368 kilomètres… mais lui sur home trainer. Devant ce spectacle puéril, tous les cyclistes amateurs du monde entier se mettent à commander des vélos d’intérieur pour pédaler en ligne sur internet à l’assaut de courses et cols virtuels. Stupéfiant.

Forte immortalisation de balcons monégasques observée depuis la mi-mars 2020.

7. Et maintenant, on fait quoi ?

Le confinement total a été prolongé autour de la mi-avril minimum dans les trois grands pays du cyclisme que sont l’Italie, la France et l’Espagne, ainsi que dans leurs paradis fiscaux concomitants Monaco et Andorre. Comment les coureurs professionnels vivant dans le sud de l’Europe pourront-ils continuer à s’entretenir physiquement sans pouvoir accéder légalement aux routes ouvertes ?

Thibaut Pinot va-t-il prendre sa bagnole prochainement pour aller grimper dans le Jura suisse non confiné comme un Haut-Savoyard emprunte l’autoroute Blanche chaque matin pour aller chercher un salaire à cinq chiffres dans une banque genevoise ? Julian Alaphilippe profitera-t-il de ce léger temps mort pour se marier secrètement avec Marion Rousse en haut du col d’Envalira ? Romain Bardet se rapprochera-t-il de l’Académie française en se rendant à Paris en VTT par des chemins de traverse ? Chris Froome s’exilera-t-il au Kenya pour pédaler sans la moindre restriction au milieu de la jungle ? Le Tour de France se courra-t-il uniquement sur home trainer en mode jeux vidéos ?

En attente des réponses à ces questions insensées il y a encore un mois, l’équipe Movistar vient de sortir une série documentaire de six épisodes sur Netflix retraçant sa saison 2019. Vous y découvrirez notamment Mikel Landa et Nairo Quitana en profond désaccord lors du dernier Tour de France. Probablement le seul scoop du printemps en cette époque vide et arrêtée que nous traversons actuellement…

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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