La mutation ratée de l’Impact de Montréal

Quand un club modifie son écusson, un tremblement de terre se produit dans la base de supporters. Elle peut y voir un affront, souvent justifié, à l’égard d’une riche histoire parfois bafouée au service d’une stratégie d’expansion, en témoignent les exemples du Paris-Saint-Germain et de la Juventus. Alors quand s’ajoute un changement de nom du club, c’est un véritable tsunami qui se combine à un mouvement sismique déjà dévastateur. Cette métaphore sied parfaitement au dernier « exploit » des dirigeants de l’Impact de Montréal, seul club québécois de la Major League Soccer (MLS). 

Déjà que l’année 2020 n’était pas dingue, autant dire que 2021 ne s’annonce pas des plus glorieuses pour ses supporters, dont je fais partie. Depuis le départ de l’artificier Drogba fin 2016, et plus récemment du feu follet argentin Piatti, la flamme du football s’est, à l’inverse de celle du hockey, quelque peu dissipée. Comparé à la mythique équipe du Canadien de Montréal, l’Impact est un lilliputien bien loin du voisin centenaire : une fondation en décembre 1992, puis une intégration au championnat de MLS vingt ans plus tard. Cette courte histoire ne se pare pas de trophées majeurs dans un championnat généralement dominé par les cadors du Galaxy de Los Angeles ou des Sounders de Seattle, avec cinq titres cumulés sur la dernière décennie.

Pas nécessairement âgé, l’Impact de Montréal a tout de même réussi au fil du temps à s’imposer dans le paysage sportif québécois. Par l’apport de grands joueurs sur le déclin (Di Vaio, Drogba, Sagna, Nesta) ou d’icones montréalaises (Biello, Bernier, Leduc), les émotions étaient souvent au rendez-vous pour réussir à imposer progressivement le soccer comme une alternative crédible au hockey, véritable religion au Québec. D’une certaine façon, c’est aussi une offre estivale qui a de nouveau existé depuis le retrait des Expos, franchise qui a quitté le circuit de la Major League Baseball (MLB) en 2004.

Pourtant, c’est lorsque tout va bien (ou presque) que le pire est à venir…

Didier Drogba en 2016, qui ne se doute pas du raté marketing à venir (source : YouTube).

Un changement de stratégie qui passe mal auprès des supporters

Comme pressé par l’envie de changer radicalement la dimension de son club, le propriétaire Joey Saputo, riche héritier d’une entreprise laitière du même nom, opère un virage à l’aube de 2019. Après vingt-cinq ans de présidence, celui qui possède également le Bologna FC décide de se mettre en retrait au profit de Kevin Gilmore, un homme qui n’hésite pas à bousculer les vieilles habitudes. D’emblée, l’ancien vice-président du Canadien de Montréal marque son arrivée au fer rouge en faisant une tabula rasa du passé. Il licencie rapidement Rémi Garde, ex-lyonnais apprécié des supporters malgré plusieurs contre-performances sportives, avant d’engager quelques mois plus tard le médiatique Thierry Henry. On parle bien de l’ancien grand attaquant, dont la carrière d’entraîneur-chef est aussi faible en goût qu’un yaourt allégé en matières grasses. C’est à se demander si l’AS Monaco était un club n’ayant jamais existé aux yeux de Kevin Gilmore, probablement aveugle au moment de la pige catastrophique de l’ancien Gunner entre octobre 2018 et janvier 2019 (20% de victoires avec 11 défaites en 20 matches).

Thierry Henry et Kevin Gilmore déjà circonspects par la tournure des événements (source : YouTube).

Sur le papier, le jouet du laitier Saputo semble bien séduisant mais sa crème ne monte pas malgré les recrutements de Taïder, Bojan ou Wanyama. Et c’est évidemment dans ce contexte franchement peu glorieux que l’Impact a dévoilé l’une des plus importantes pièces de son espéré retour au haut niveau : une refonte complète de l’image du club. Une stratégie ratée qui a eu comme conséquence de fâcher quasiment la totalité des partisans et de recevoir la désapprobation de l’ensemble des Québécois.

Du grand art, surtout que dix-huit mois de réflexion intense ont été consacrés à cette réalisation bâclée qui démarra par une campagne de promotion interminable sur les réseaux sociaux. Elle montre la supposément vibrante ville de Montréal sous un angle triste, où se mêlent des images monochromes enneigées promptes à rendre la déprime encore plus importante en période de coronavirus. S’en suivit le 14 janvier un drame grandeur nature : le dévoilement du nouveau nom illustrant un écusson sans vivacité. Exit l’Impact, c’est désormais le Club de Foot de Montréal (CFM ou CF Montréal) qui est censé faire vibrer les supporters. On dit bien censé, hein, parce que la joie des dirigeants a dû être bien courte en voyant l’avalanche d’insultes et de moqueries déferler pour ce choix de nom insensé qui désigne à la fois un terme hard en anglais (Come F*** Me), qui représente dignement le nom d’un club junior du quartier voisin et qui est magnifié par un slogan kitsch, « Droit Devant ». On était à un mot près de créer un incident diplomatique avec l’Olympique de Marseille.

Du bouclier au flocon, ou la désolante chute (de neige)

Alors certes, le slogan sonne faux. Mais le nœud du problème provient du rebranding. Le logo met l’emphase sur l’hiver et ses températures négatives à travers un flocon de neige formé de plusieurs « M » (pour Montréal, ça ne s’invente pas) et de flèches reprenant la signalétique du métro de la métropole. Un choix qui, certes, valorise la nomination de Montréal comme ville de design par l’UNESCO, mais qui repose aussi sur des incohérences flagrantes, comme celles d’utiliser des termes inappropriés (« sacrebleu » ne se dit pas au Québec) ou de prôner le multiculturalisme avec un nom exclusivement francophone.

Souvenez-vous : DIX-HUIT MOIS pour ça!

Le nouveau logo CF Montréal, inspiré du club de ski de fond de la région (source: cfmontreal.com).

« Ce qui nous rend complètement uniques, c’est que presque tout le monde communique en français et en anglais, parfois dans la même conversation », annonce le communiqué. Une bonne raison donc de remplacer « Impact », terme neutre et bilingue, par « Club de Foot », un mot incompris pour un quart des montréalais anglophones qui prononcent le mot soccer pour se représenter le football que l’on connaît. C’est dire que même certains Québécois francophones se laissent le soin de parler de soccer quand le football représente plutôt l’équipe des Alouettes, le club de football US de la ville. Et que dire du discours accompagnant ce triste élan marketing, qui pourrait largement rendre hommage à la Reine des Neige de Disney avec un discours lunaire :

« Nous sommes des flocons de neige. Aucun n’est pareil, mais ensemble, nous devenons une tempête, une force de la nature. »

Pour beaucoup, l’identification à l’Impact passait par un bouclier de combat, celui qui fait face à la forte présence anglophone en Amérique du Nord. Il n’est plus. Elle se faisait aussi grâce à une imposante fleur de lys, symbole de la Belle Province et signe de l’indépendance linguistique face au reste du Canada. Elle s’est réduite, devenant presque insignifiante avec deux mouches de part et d’autres du cercle. Et là, le flocon de neige fait tout de suite un peu tache à côté, affublé d’une couleur grise à rendre dépressif quand les hivers québécois sont déjà suffisamment longs. Certains supporters ont donc essayé d’améliorer la situation à leur manière sur les réseaux sociaux, notamment avec une page Twitter de memes ou des commentaires à donner des rictus.

Face au ridicule, les supporters préfèrent en rire (source : Club de Foot Montréal Memes).

Enfin, sûrement plus constructif et moins humoristique, il y eut la contribution graphique d’un certain Philippe Deschenes, qui aura offert aux déçus une plateforme d’échange pour réaliser un logo en moins d’une semaine. Une bien maigre consolation pour des supporters en colère de perdre soudainement une identité qu’ils ont façonnée avec le temps. Et un bel exemple de co-construction qu’il serait bon de considérer quand vient le temps pour un club de football de créer de nouveaux visuels.

Mais bon, d’après Joey Saputo en conférence de presse, « les vrais gagnants cherchent toujours à s’améliorer »… des propos qui s’apparentent à bon vieux tacle à la hauteur des tibias de ses propres partisans. Finalement, le grand patron du nouveau CFM n’a pas réellement compris la leçon. Ou alors il ne reste plus à son équipe qu’à allier la parole aux actes en jouant à -10°C sous la neige. Mais ce sera peut-être le moment de ressortir les patins et le puck.

A propos Vic Perrin 21 Articles
Un peu casse-cou, mais pas trop casse-couilles

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