Les équipes cannibales

« La glorieuse incertitude du sport ». Cette courte expression décrit à elle seule l’essence-même de l’intérêt gigantesque suscité dans le monde entier par les compétitions sportives. Il y a cependant des clubs « cannibales », mot redevenu convenable depuis que la série sur Jeffrey Dahmer fait un tabac sur Netflix, qui alignent les titres et écrasent la concurrence, rendant la compétition sans sel et bien moins intéressante pour le supporteur moyen.

Et ça m’énerve. Je zappe dorénavant le Bayern de Munich et j’ai résilié mon abonnement à Sky Sports. Bien que j’aie la carte annuelle pour voir Union Neuchâtel basket, je n’assiste plus aux matches contre Fribourg Olympic.

Les Américains l’ont déjà compris il y a bien longtemps, puisque des plafonds salariaux par équipe ont été introduits dans toutes les ligues professionnelles (NBA, NHL, NFL et dans une moindre mesure MLB) dès les années 80: pour maintenir l’intérêt du public, et donc des taux d’audience élevés permettant des rentrées publicitaires importantes, il est essentiel que le suspense demeure, que les succès soient partagés, que les parties ne soient pas décidées à l’avance simplement parce qu’une équipe a une capacité économique démesurée. Voici les exemples les plus frappants:

Bayern Munich : le « Rekordmeister »

Rien que ce surnom, ça mériterait des claques avec une pelle à neige.

Le Bayern Munich, c’est 30 titres de champions d’Allemagne en 50 ans, dont les 10 derniers. Fait à relever, durant cette période ils n’ont remporté que 15 coupes d’Allemagne, démontrant ainsi leur intérêt plus que relatif pour cette compétition secondaire. Comme c’est cocasse. Et je parie volontiers mon testicule gauche (qui n’a d’ailleurs plus une très grande utilité à mon âge) que le titre ne pourra pas leur échapper cette saison, les contradicteurs principaux des Bavarois (Borussia Dortmund, Borussia Mönchengladbach, etc…) ayant l’art d’égarer bêtement des points contre des équipes de deuxième partie de tableau.

La tactique du Bayern de Munich est simple: on a le double du budget de tous les autres, donc quand un joueur d’une autre équipe se démarque et nous cause du souci, on l’achète. Ainsi on se renforce et en même temps, on affaiblit son « concurrent ». Par contre, il est très difficile de sortir de la relève du club et de s’imposer en première équipe: actuellement, seul Thomas Müller a réussi cet exploit.

La roue tournera forcément un jour, puisque le club commence de plus en plus à faire preuve d’arrogance envers ses adversaires. Deux exemples:

En avril 2022, suite au match de quart de finale aller de la Ligue des Champions perdu 1-0 contre le « petit » Villareal, l’entraîneur bavarois Julien Nagelsmann a déclaré à la presse: « « Nous avons fait beaucoup d’erreurs à l’aller. Ils en ont fait une: nous laisser en vie. Et nous devons les punir pour ça ». Ses propos ont en fait surmotivé les joueurs espagnols, qui sont venus chercher le 1-1 à Munich et qui ont ainsi éliminé le Grand Bayern.

Début septembre 2022, Hasan Salihamidžić, directeur sportif du Bayern, a expliqué que « certaines séances d’entraînement du club étaient plus relevées que les matches de Bundesliga qu’ils disputent » et que « le deuxième onze du Bayern Munich serait aussi champion ». Comme dirait mon gamin: « Qui fait le malin tombe dans le ravin ».

Fribourg-Olympic Basket: « L’Ogre »

En tant que fan d’Union Neuchâtel, j’avoue que Fribourg-Olympic m’énerve au plus haut point, tout simplement car le club est trop fort pour le championnat suisse. La saison vient de débuter, et cela serait un séisme si Olympic ne gagnait pas un nouveau titre de champion de Suisse, le 5ème consécutif (je suis prêt à parier mon testicule droit cette fois). Ce club est tellement supérieur à ses concurrents ces dernières saisons qu’il réalise très régulièrement le quadruplé championnat-coupe de Suisse-coupe de la Ligue-Supercoupe. Fribourg Olympic dispose d’une salle dédiée de presque 3000 places, d’une excellente académie, d’un large effectif composé d’internationaux, du budget le plus haut de Suisse et probablement du meilleur entraîneur du pays, Petar Aleksic, qui bouêle (on est à Fribourg je rappelle) et gesticule sur le banc même quand son équipe mène de 50 points à 2 minutes de la fin.

Pour ceux qui ne me croient pas…

Pour faire simple, si Fribourg Olympic veut un joueur suisse, il va l’avoir, car tous les basketteurs veulent y gagner des titres et des salaires plus confortables. Les autres clubs se partagent les joueurs dont Olympic ne veut pas ou plus.

Contrairement au Bayern de Munich, ses dirigeants sont plutôt humbles, puisque le président, Philippe De Gottrau a affirmé dernièrement sans rire à un journaliste qu’il considérait que son club était « co-favori du championnat avec SAM Massagno ». Lorsqu’on tape sur Google « Fribourg Olympic scandale », on ne trouve rien. Tout au plus peut-on reprocher à ses joueurs d’être parfois suffisants, ce qui entraîne de temps en temps des défaites inattendues, comme par exemple contre le BBC Monthey en ouverture de la saison 2022-2023. Mais ce genre de situation allume le Petar, et j’imagine que durant les entraînements qui suivent, les joueurs doivent transpirer deux à trois fois leur poids total.

Comme FO est le seul représentant du basket suisse à l’échelon européen, tout fan helvétique de la balle orange supporte cette équipe lorsqu’elle joue contre les Hollandais de Den Bosch Heroes, les Allemands de Niners Chemnitz ou les Estoniens de Pärnu Sadam (à vos souhaits). J’ouvre une petite parenthèse pour vous faire part de ma perplexité face à ce nom rappelant celui d’un ancien dictateur irakien. Eh bien après un travail journalistique fouillé, il apparaît que le mot Sadam veut dire en estonien « port », et que le club de Pärnu s’appelle ainsi depuis peu car son nouveau sponsor est le port de la ville, qui a sauvé l’équipe in extremis de la faillite en 2019. Tout est donc bien qui finit bien.

Paris Saint-Germain FC: « les hors-réalité »

Le site Sportune.20minutes.fr nous apprend que le PSG a le 4ème budget le plus haut d’Europe (700 Mio €, à égalité avec Liverpool FC) après le FC Barcelone (820 M qui ne s’est pas qualifié pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions 2022-2023 !), le Real de Madrid (790 Mio €) et Manchester City (750 Mio €).

Le problème, c’est que dans tous les classements divers et variés qu’on peut trouver sur internet, le PSG est toujours le seul club français y figurant, car ses moyens sont absolument hors-réalité par rapport aux revenus générés par la Ligue 1. Le déficit entre les joueurs achetés et vendus par le PSG depuis 2010 est d’ailleurs estimé à 868 Mio € d’après le site Statista.com. Le PSG a un budget 3 fois plus élevé que ses poursuivants directs comme l’Olympique Lyonnais ou l’Olympique de Marseille (environ 250 Mio €). Lorsque Paris joue en ligue 1 contre Clermont-Ferrand (Clermont-Foot 63), la club de la capitale dispose d’un budget 28 fois supérieur à celui de l’équipe auvergnate. Comment s’étonner que cela finisse en branlée monumentale…

Depuis 10 ans et l’arrivée des Qataris à la caisse du PSG, le club a remporté 8 championnats (ils ont fini 2x deuxièmes, en 2017 derrière Monaco et en 2021 derrière Lille), 6 coupes de France et 6 coupes de la Ligue. Eh bien on a envie de dire qu’avec une telle différence de moyens, c’est un scandale qu’ils n’aient pas tout raflé ! Par contre, au niveau européen, ils ont seulement joué une finale de la Ligue des Champions, perdue en 2020 contre le Bayern de Munich dans ce qu’on aurait pu appeler « la finale des cannibales« .

Cela démontre que la Ligue des Champions ne peut pas uniquement être achetée. Et ça fait du bien.

Là où le PSG est champion hors-catégorie, c’est au niveau du classement des scandales. On citera pêle-mêle, rien que pour 2022: l’armée des trolls pour harceler ses propres joueurs, la fils de l’entraîneur prévenu pour « exercice illégal de l’activité d’agent de joueur », la saga Mbappé, les déplacements de l’équipe en avion privé (et les plaisanteries sur les voyages plus écologiques), les soirées bling-bling et les voyages de Neymar, et les ennuis judiciaires du président Nasser Al-Khelaïfi. Même le PSG féminin s’y met, puisqu’une des joueuses, Aminata Diallo, a été arrêtée pour avoir organisé l’agression à la barre de fer de sa rivale dans le club Kheira Hamraoui. A ce niveau, même le FC Sion et le LHC réunis ne peuvent que s’incliner.

Bref… Malgré ses millions et ses vedettes, le PSG n’est pas pris au sérieux ni par ses concurrents, ni par les suiveurs.

L’Olympique Lyonnais féminin : « les Fenottes » (leur surnom officiel, rien de misogyne)

Le club a été fondé en 2004, suite à la fusion de deux équipes féminines à Lyon. Elles ont fêté leur premier titre seulement 3 ans plus tard, en 2007, et ont depuis remporté le titre chaque année, sauf en 2021 (mais il s’est passé quoi bordel les filles ?). Cela représente 15 titres en 16 ans. Depuis 2010, elles ont encore gagné à 8 reprises la Ligue des Champions. À côté, le Real Madrid masculin c’est un Playmobil dans un évier (pour ceux qui connaissent leurs classiques).

Il est de notoriété publique dans le milieu que le surnom des Fenottes a été trouvé par Noël Le Graët.

Le New-York Yacht-Club : les précurseurs

Alors là il y a du pognon: le NYYC a même son site internet parrainé par Rolex. Il n’y a que 3000 millionaires membres dans ce Gentlemen’s club, où il est plus difficile de rentrer qu’au conseil fédéral.

Le New-York Yacht-Club a remporté en 1851 l’aiguillère d’argent qui récompense le vainqueur de la Coupe de l’America, considérée comme le plus ancien trophée du monde.

Ils réussiront à conserver la coupe pendant 132 ans, gagnant les 23 éditions suivantes, jusqu’en 1983, lorsque les Australiens du Royal Perth Yacht Club réussiront enfin à les vaincre ! Imagine la dépression post-partum du barreur qui est rentré à New-York sans le trophée après 132 ans !

Si le Bayern de Munich veut battre ce record, ils devront gagner le championnat chaque année jusqu’en 2142. Avec leur effectif, c’est possible.

Pour la petite histoire, le NYYC a annoncé en 2017 en grande pompe qu’ils allaient tenter à nouveau de gagner la Coupe de l’America en 2022. Après un chavirage lors de la Prada-Cup (qualificative pour la Coupe de l’America) en 2021, l’équipe a été éliminée en demi-finales malgré un des plus gros budgets de la compétition.

N’est pas Alinghi qui veut…

Si vous voulez en savoir plus sur la Coupe de l’America, voici un excellent article de mon collègue Paul Carruzzo paru cet été.

Lincoln Red Imps Gibraltar: les imbattables

Logo du Lincoln Red Imps

J’ai honte de l’avouer, mais je ne m’étais jamais vraiment intéressé au championnat de football de Gibraltar. Pourtant cela en vaut la peine. Saviez-vous par exemple que sur un territoire 23,5 fois plus petit que le Liechtenstein et avec la population de la ville de Neuchâtel, le championnat a 4 divisions ? Cette information a changé durablement ma vision de la vie en général.

Et bien Bayern, Olympic, PSG, NYYC, OL féminin, allez tous vous coucher ! Je décrète officiellement le championnat de football de première division de Gibraltar comme le moins indécis de la planète :

Le Lincoln Red Imps de Gibraltar a été créé en 1976 et a commencé en 4ème division. En 1984, il y a donc 38 ans, il a été promu en 1ère division. Il a gagné depuis : 26 championnats, dont 19 depuis 2001 (règne sans interruption de 2003 à 2016), et 19 coupes.

J’ai (difficilement) réussi à trouver le classement actuel du championnat de Gibraltar 2022-2023. Vous ne devinerez jamais qui est en tête après 5 matches…

L’exploit le plus retentissant du LRIG a été de se qualifier pour la phase de poule de la « Ligue Europa Conférence » en 2021-2022 en éliminant le redoutable Riga FC en barrages. Le club finira bon dernier du groupe après 6 défaites, 2 buts marqués et 17 buts encaissés.

 

Si vous connaissez d’autres clubs cannibales, je suis preneur dans les commentaires !

 

Crédits photographiques:

Jeffrey Dahmer : DAHMER – Monster: The Jeffrey Dahmer Story | Official Trailer (Trailer 1) | Netflix – YouTube (printscreen)

A propos Mike Gouverno 29 Articles

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3 Commentaires

  1. Bonjour,
    Article intéressant mais il n’y a rien de nouveau. Pas de comparaison chiffré (€, USD ou CHF).
    Pour ma part c’est depuis 1984 que j’ai abandonné le football car ce sont les Hannibal des cannibales.
    Concernant le Basket Suisse je pense que votre commentaire ressort plus de jalousie.
    Petar, que j’ai fait revenir en Suisse voilà plus d’une décennie et a Union de surcroît, c’est un battant et un perfectionniste.
    Il y a aussi de grande différence de coaching entre les occidentaux et les autres.
    Différence de budget dans le basket suisse des top 3 ou top 5 ne sont plus si grande je pense.
    Il y a aussi un grand problème de support politique (salle de Fribourg, Riveraine ou il faut se battre avec des tournois de scrabbles sans parler des problème pour les entraînements).
    Le volley manque ici. Sachant que Volero Zurich avait un budget X fois supérieur à ces adversaires dont un des direct était le NUC.

    • Bonjour Fabrizio et merci pour votre commentaire avisé et développé. Vous avez donné beaucoup à Union et cela permet à des mecs comme moi d’aller m’enthousiasmer au match, j’en suis conscient.
      Je plussoie vos remarque et c’est vrai, Volero Zurich est un exemple criant, je n’y avais pas pensé. ça pourrait figurer dans un deuxième volet !
      Pour essayer d’être plus précis concernant les chiffres des budgets, voici ce que j’ai pu trouver en open sources:
      Budget d’Olympic : environ CHF 1’600’000.- (frapp.ch)
      Budget d’Union : environ CHF 800’000.- (rtn.ch)
      on est quand même loin de PSG-Clermont.
      Quant à ma mauvaise foi, je l’assume, même si je dois bien admettre supporter FO quand ils sont en coupe d’Europe (comme précisé) et admirer Petar. Si vous voulez encore plus de mauvaise foi, je ne peux que vous conseiller la lecture de mon article sur la qualification d’Union pour la finale en mai 2022: https://www.carton-rouge.ch/2022/05/18/uni-on-est-en-finale/
      Meilleures salutations
      Mike Gouverno

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