Plus vil, plus loin, plus riche

Association : nom féminin. Convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager des bénéfices ; personne morale née d’une telle convention. (Larousse).

Partez pas ! On fait encore deux petites définitions, histoire de planter le décor :

FIFA : Fédération Internationale de Football Association (non, ça ne veut rien dire).

UEFA : Union of European Football Associations.

Deux associations donc. Qui ne devraient pas avoir comme but, premier en tous cas, de faire de l’argent. C’est important de poser les bases car cet article va traiter de ces deux entités comme si elles étaient des entreprises, ce qu’elles sont en pratique, alors qu’elles devraient simplement, selon leurs statuts, avoir pour but de promouvoir et développer le football. Maintenant que c’est dit, passons à un petit historique.

Petit historique (on y est)

Pour faire simple, de l’origine du foot « moderne », il y a environ 150 ans, à son développement récent, on trouve surtout deux zones géographiques. L’Europe, qui a inventé ce sport, et l’Amérique latine, qui l’a rendu populaire. D’ailleurs, tous les vainqueurs de la Coupe du Monde de Football à ce jour sont issus de ces contrées. Pour les autres parties du monde, le développement du « sport roi » a été freiné soit par un intérêt supérieur pour d’autres disciplines, soit par le simple fait que le contexte géopolitique ne laissait pas tellement la possibilité aux citoyens de s’y intéresser.

Et cela a duré pendant longtemps. Par exemple, au Mondial 1962, aucune équipe non Européenne ou Latino-Américaine ne participait. Suite à la démocratisation de la télévision qui a permis au foot d’être visionné par presque tout un chacun, on retrouvait jusqu’en 1978 le nombre astronomique d’un pays africain et un asiatique à la Grand-Messe mondiale. Puis, finalement, les tickets pour ces continents se sont multipliés à l’orée du troisième millénaire et grâce à l’arrivée d’internet qui permet à n’importe qui dans le monde de voir n’importe quel match. Moyennant bien sûr de vendre un rein en abonnements ou d’accepter d’avoir le SIDA du net sur son PC via des sites de streaming peu recommandables.

Ainsi, jusqu’à ces tournants, l’UEFA, créée en 1954, n’avait pas tellement de pouvoir. Quant à la FIFA de l’époque, elle s’en foutait royalement des autres continents, puisque là-bas le foot n’existait pas vraiment et que, le cas échéant, c’était des pays pauvres. Mais justement, les deux inventions technologiques précitées ont changé la donne. Ces présomptueux Africains ou Asiatiques ont commencé à vouloir exister sur la carte du foot, puisque ce sport avait l’air sympa. En Europe, un monstre a aussi été créé avec l’arrivée de la Coupe des clubs champions européens – aussi considérée comme le championnat du monde des clubs, merci pour les autres encore une fois -, l’ancêtre de la Ligue des Champions. Une vraie prouesse médiatique et financière, qui fait rêver de nombreuses équipes et fans à travers tout le continent.

Vous l’avez sûrement compris, ce sont ces évènements qui ont transformé de vénérables institutions en vraies machines à faire du bénéfice. Le véritable point de bascule se trouve probablement dans ces années-là. Les présidences respectives de Joao Havelange à la FIFA et de Lennart Johansson à l’UEFA ont transformé les instances en « entreprises de spectacle ». Et c’est pas Carton-Rouge qui le dit, mais la page Wikipédia du Suédois. Leurs successeurs l’ont bien compris et ont continué dans ce sens. Et on en vient au but de cet article : discuter de qu’est ce qui a vraiment merdé.

Je recherche des thunes, pour être à l’aise financièrement

En stratégie économique, on dit généralement qu’il y a deux axes dont dispose une entreprise pour se développer. Elle peut soit diversifier son offre, soit diversifier son marché. Pour une instance d’un sport unique, tout le monde s’accorde à dire que diversifier son offre est compliqué. Pourtant, tant la FIFA que l’UEFA l’ont tenté. On peut parler notamment pour la première de la création du Futsal et du rachat des compétitions de Beach Soccer, comme de la création prochaine d’un Mondial des clubs plus conséquent. Déjà que l’actuel déchaine les passions, avec la participation d’équipes dont le budget total ne dépasse pas le salaire mensuel du gardien remplaçant du représentant européen… En parlant de compétition foireuse que personne ne regarde, on citera du côté de l’UEFA la nouvelle Europa League Conference. Et des deux côtés, on notera également le développement artificiellement rapide du foot féminin, non pas dans un but d’égalité mais bien de bénéfices supplémentaires potentiels. Mais malgré ces efforts, la diversification de la gamme a eu un succès très relatif, pour rester gentil. La FIFA continue de faire son beurre avec le Mondial, l’UEFA avec la C1 et dans une moindre mesure l’Euro. Tout le reste n’est que garniture, financièrement parlant.

Mais alors, « comment faire plus de fric », se sont demandé nos amis de Nyon et Zurich ? En conquérant de nouveaux marchés ! En plus maintenant c’est simple, tout le monde a internet ! Forcément, vu que la corruption c’est sympa mais peu durable, comme Havelange, Blatter et Platini l’ont constaté, il faut trouver des alternatives pour s’en mettre plein les fouilles. Mais alors, comment atteindre efficacement ces nouveaux marchés ?

Pour la FIFA, c’est simple. Il faut les impliquer. D’où une ouverture toujours plus grande à l’Asie, notamment, via sa merveilleuse Coupe du Monde des clubs qui amènera la paix dans le cœur des petits Chinois qui vont coudre les ballons du tournoi. Via, aussi, son ouverture à des pays super cools genre le Qatar. Via, toujours, un passage à une Coupe du Monde à 48 équipes. Soit presque un quart des pays affiliés. Et donc pourquoi pas voir arriver des pays comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie ou l’Ethiopie, qui, à eux cinq, représentent presque 3 milliards et demi d’habitants, soit pas loin d’un terrien sur deux. Imaginez seulement les audiences pour les matchs de ces pays…

Le Lex Luthor du prochain Superman fait vachement plus peur que Jesse Eisenberg…

Du côté de l’UEFA, la problématique est différente. Elle dispose certes de la compétition de clubs la plus lucrative du monde, mais étant une association européenne, il est par définition compliqué d’amener d’autres pays d’un claquement de doigts. Bien sûr elle pourrait – et va probablement – faire comme la fédé sud-américaine et convier, au hasard, le Qatar à ses compétitions. Mais la pétaudière de Nyon a une meilleure idée : pourquoi se faire chier à inviter plein de monde quand on peut les faire raquer à distance ? Un bon marketing et le tour et joué !

Et les fans ?

Car, vous l’aurez peut-être remarqué, mais à aucun moment de cet article les fans historiques n’ont été mentionnés. C’est tout simplement parce que les instances s’en foutent. Qui se soucie d’une poignée d’européens nostalgiques quand on peut avoir 3 milliards de nouveaux fans prêts à claquer chaque saison leur salaire dans un maillot officiel parce que depuis leur naissance on leur a dit que pour être un vrai fan de Manchester United ou du Real Madrid il le fallait ? Et prêts à payer à prix d’or ensuite des exhibitions de leur équipe préférée qui viendrait sur leur continent ? Au pire, les anciens fans pleurnicheront comme ils l’ont fait pour la création de la Super League

De ce point de vue-là, on peut dire que tant la FIFA que l’UEFA ont réussi leur développement stratégique dans de nouveaux marchés. Peut-être déjà trop bien… Et peut-être n’est-ce que le début. La FIFA entend bien lancer sa Coupe du Monde tous les deux ans, histoire de maximiser les chances d’atteindre les pays visés. Et l’UEFA condamne ça. C’est bien. Mais elle prévoit encore pire. C’est moins bien. En effet, on a parlé de l’échec de la Super League plus haut. Enfin, échec… Quand on sait que les dernières réformes de la C1 répondent quasi mot pour mot aux exigences des grands clubs sans qu’ils n’aient à devoir eux-mêmes organiser quoi que ce soit, ça remet les choses en perspective.

Tout pour les grands

Car oui, au contraire de la FIFA qui veut viser des nations petites au foot mais grandes dans le potentiel, l’UEFA veut directement aider les grands. Pour une raison toute simple. Un Bangladais sera sûrement d’accord de vendre sa fille sur un marché pour un pay-per-view d’un PSG-City. Mais c’est peu probable qu’il le fasse pour un Ajax-Steaua Bucarest, même si ces deux clubs sont historiquement bien plus riches. Dès lors, pourquoi s’encombrer de tocards qui viennent de petits championnats ? Alors qu’il suffit de les parquer dans une compète créée rien que pour eux, qu’on nommera Conference League.

Dans le même ordre d’idée, et vous l’aurez sûrement remarqué, la règle du but à l’extérieur n’est plus en vigueur en C1. Officiellement, pour permettre plus de spectacle et moins de calcul. C’est sûrement en partie vrai. Mais, surtout, ça va limiter les surprises ! L’Ajax en demie, c’est marrant une fois, ça fait plaisir aux nostalgiques. Mais ça ne fait pas vibrer Bombay ni Lagos ! Si on vend du merchandising de grands clubs, c’est pas pour qu’ils se plantent contre des nuls… Pareil pour la fameuse règle des cinq changement, pour laquelle le covid fut un cadeau du ciel ! « Ça aide les clubs à préserver leurs effectifs. » Mmh, oui, sûrement, quand la fin de saison devait être expédiée en quelques semaines en 2020. Mais aujourd’hui, les effectifs ne sont pas plus mis à contribution qu’avant la pandémie. Pourtant, on n’est pas près de voir cette règle être abandonnée – sauf en Angleterre, où pour chaque décision de ce genre, les clubs sont consultés et leurs voix ont toute une importance égale -. Pourquoi ? Parce que les gros clubs ont un effectif bien plus profond que les petits. La qualité du cinquième remplaçant à entrer n’est absolument pas comparable entre un Chelsea et même un bon club comme Benfica. Et donc de nouveau, on limite les surprises, pour vendre plus de chocs entre gros clubs sur des marchés qui ne demandent que ça.

Conclusion

Alors, ça va être quoi la suite ? Difficile à dire. Mais tant que ça marche, pourquoi la FIFA et l’UEFA arrêteraient ? En tous cas pas pour faire plaisir. On le redit mais ces instances n’ont plus qu’un but, générer du profit. Le problème qui pourrait survenir est en revanche d’aller trop loin dans cette logique. De plus en plus d’anciens fans se détachent du foot car ils ne le reconnaissent plus. Et le problème avec la stratégie de tout à outrance (grosses affiches permanentes, coupe du monde tous les deux ans, …), c’est que tout ce qui est rare et spectaculaire ne le sera plus. Et donc que tous ces nouveaux supporters si durement gagnés se tourneront vers de nouveaux divertissements. Vous connaissez le mythe d’Icare qui se voyait trop beau et a fini par se brûler les ailes en volant trop près du soleil ?

 

Crédits photographiques :

Image d’en-tête : Ben Sutherland / Flickr https://www.flickr.com/photos/bensutherland/

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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